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Faut-il voir Pluribus, la nouvelle série du créateur de Breaking Bad ?
Le créateur de l’incontournable série Breaking Bad, Vince Gilligan, revient avec Pluribus, une fiction qui raconte la disparition du mal. Disponible sur Apple TV+ depuis le 7 novembre 2025, le show mêle science-fiction, thriller dystopique et comédie noire dans un décor devenu familier : Albuquerque. Un nouveau pari narratif qui interroge la liberté individuelle… dans un monde étrangement en paix.
par Alexis Thibault.
Publié le 12 novembre 2025. Modifié le 15 novembre 2025.

Le succès tonitruant de la série Breaking Bad
Le scénariste, producteur et réalisateur Vince Gilligan le confesse : il aurait sans doute renoncé à Breaking Bad (2008-2013) s’il avait su que la série Weeds (2005) abordait déjà un thème voisin… Mais l’ignorance a conduit l’Américain de 58 ans à recruter Bryan Cranston, en 2008, pour ce qui deviendra l’un des drames télévisés les plus célébrés de l’histoire.
Breaking Bad raconte le basculement du quotidien : un professeur de chimie réservé se transforme en baron de la drogue, anti héros fascinant qui pulvérise les conventions morales et narratives. Un programme inattendu qui dissèque la violence, la frontière, le mal ordinaire, y compris dans son ancrage américano-mexicain.
L’interprétation magistrale, l’écriture millimétrée, la mise en scène rigoureuse et l’attention obsessionnelle au détail ont forgé le statut culte de Breaking Bad. Car au-delà du thriller, la série capte, en soixante-deux épisodes (sur cinq saisons) la désillusion d’une classe moyenne désorientée. Walter White incarne la frustration d’un homme brillant, broyé par le système économique. Il trouve, dans le crime, une forme d’émancipation malsaine.
Un showrunner formé à l’école X Files
De Stanley Kubrick, le showrunner retient la géométrie glacée des cadres. Et de Quentin Tarantino, la jubilation du montage et la crudité du verbe. Walter Hill (Les Guerriers de la nuit, 1979) lui lègue la sécheresse du geste et le sens de la dramaturgie, tandis que Federico Fellini inspire à son réalisme un souffle grandiloquent, presque carnavalesque.
La mise en scène de Vince Gilligan évoque, quant à elle, le désenchantement du monde moderne. Né à Richmond (Virginie) en 1967, il s’est formé à l’université de New York avant d’intégrer la télévision. Dès ses débuts sur The X-Files, il forge un style où tension, mystère et métamorphose du héros s’entrelacent. Et malgré le triomphe critique de ses œuvres, il demeure d’une sobriété rare, se voyant davantage comme un artisan du récit que comme une vedette.
Avec Better Call Saul (2015-2022), préquel magistral de Breaking Bad, il approfondit encore sa réflexion sur la morale et la culpabilité. La série, centrée sur l’avocat véreux Jimmy McGill, se déploie comme une étude minutieuse de la compromission et de l’ambition contrariée. En explorant une fois de plus la lente corruption d’un homme ordinaire, Vince Gilligan confirme son obsession : montrer que le mal, souvent, naît d’une bonne intention.

Pluribus, la nouvelle série de Vince Gilligan pour Apple TV +
Disponible sur Apple TV+, la nouvelle série Pluribus (2025) marque un tournant pour Vince Gilligan. Loin de la méthamphétamine et du thème de la rédemption, il propose un univers SF façon Black Mirror (depuis 2011). Et évoque les dangers du conformisme dans la lignée d’Eugène Ionesco (Rhinocéros) et d’Aldous Huxley (Le Meilleur des mondes).
Le réalisateur renverse ici les codes du récit post-apocalyptique. Tout part d’un signal venu de l’espace. Sorte de virus diffusant une connexion mentale entre tous les humains, à la manière d’une fourmilière. Tels des automates lobotomisés, ou une inquiétante intelligence artificielle, chacun partage désormais les mêmes connaissances. Du pilotage d’un avion à la racine carrée d’un nombre à six chiffres. La peur et la colère n’existent plus. Sauf pour Carol Sturka (Rhea Seehorn, révélée dans Better Call Saul), romancière désabusée qui refuse l’utopie imposée. Elle déclenche, à chaque montée de stress, de véritables crises mondiales assimilables à des bugs du système.
Le mélange proposé par la série est explosif : satire sociale, drame existentiel, thriller, comédie subtile. Le programme interroge la liberté dans la conformité heureuse. Vince Gilligan retourne et réhabilite le mal, la colère et le conflit pour en faire des piliers de la subjectivité. Refusant la béatitude de masse, l’héroïne questionne l’isolement dans la perfection. Pluribus apparaît alors comme la suite logique pour le réalisateur. Après la noirceur brute de Breaking Bad et la culpabilité tourmentée de Better Call Saul, voici le piège du bonheur universel.
Pluribus (2025) de Vince Gilligan disponible sur Apple TV+