7 nov 2025

Comment Rosalía réinvente l’imagerie religieuse ?

Ce 7 novembre 2025, la chanteuse catalane Rosalía dévoile Lux, son quatrième album studio. Un opus déjà présenté comme un véritable tournant musical, dans la lignée de la frénésie suscitée par Berghain. Mis en ligne le 27 octobre, le clip de ce premier single est imprégné de références catholiques, d’archives couture et d’une aura mystique.

  • par Matthieu Bobard Deliere.

  • Rosalía, madone minimaliste

    Le décor était planté dès le 16 octobre 2025 à Madrid. Pour révéler la pochette de Lux, Rosalía se prend un bain de foule dans une silhouette qui dit tout de cette nouvelle ère. Chevelure brune auréolée d’un dégradé angélique, robe blanche aux accents southern gothic, le visage presque nu.

    De même, sur l’image de l’album, la chanteuse espagnole se présente en madone minimaliste : robe-camisole immaculée signée du label parisien AlainPaul, voile délicat, lumière quasi divine. Loin du flamenco-pop frénétique de Motomami, place à l’introspection et à la pureté. Une spiritualité, certes, mais lookée.

    Berghain, la mode comme un culte

    Puis vient le déferlement inattendu. Berghain, du nom du club techno berlinois dont la file d’attente est devenue mythique, marque une rupture nette avec les hits de la période précédente. La Rosalía convoque l’Orchestre national de Londres, chante en allemand, et s’entoure de Björk et Yves Tumor pour créer une œuvre hybride, opéra électronique à la puissance immédiate.

    Sur le papier, c’est aussi intense et intriguant que dans les oreilles. Déjà plus de 18 millions de vues pour le clip, façonné comme un film dans lequel chaque plan regorge de références chrétiennes, culturelles et mode.

    Sous l’œil de Joe Carayol, son styliste, Rosalía se drape d’archives Y2K, qu’elle détourne en objets de culte. Les Rosary heels de la collection Alexander McQueen printemps-été 2003, littéralement constellées de chapelets, qui transforment chaque pas en procession. Mais aussi ce débardeur orné de boutons issu du même défilé, et ce top foulard gris de l’ère Givenchy du créateur britannique, qui lui confère un air spectral. On y voit aussi une mini-robe Balenciaga printemps-été 2004, par Nicolas Ghesquière, mi-ingénue mi-sacrilège.

    Culottes taille basse, kitten heels, posture insolente. Ainsi, dans Berghain, le sacré se glisse dans le quotidien : tâches ménagères filmées comme des rituels, scènes pop tournées comme des liturgies. Pour le reste de la promo de son nouvel album, Rosalía assure tantôt en jupe ivoire bouffante, façon robe de mariée désuète, signée Thom Browne, tantôt en lingerie sainte-nitouche avec bandeau en dentelles noir posé sur le front dans les pages de Rolling Stone.

    Le sacré comme antidote à la superficialité

    Mais ce virage mystique est loin d’être anodin. Dans un entretien accordé à M Le Monde, Rosalía confie que Lux est “profondément spirituel” et qu’elle a “toujours eu une connexion personnelle avec Dieu”, sans pour autant se revendiquer d’une religion particulière.

    L’album explore, selon elle, “la mystique féminine, la transformation et la transcendance”. Au magazine américain ELLE, la Catalane aujourd’hui installée à Los Angeles, ville jugée comme surfaite, explique avoir besoin de freiner la cadence de son époque injectée à la dopamine. Par ce dressing-relique, elle peut exprimer ce qui la transcende, loin d’une énième provocation : le silence, la lenteur, la profondeur.

    Avant elle, Madonna et Lady Gaga…

    Mais Rosalía n’avance pas en terre inconnue. Avant elle, d’autres ont fait de la religion un terrain de mode et de provocation. Avec bien sûr, Madonna en tête. Avec Like a Prayer en 1989, elle mélange crucifix d’orfèvrerie et iconographie sulfureuse, au point de faire vaciller le Vatican.

    En 2010, sa fille illégitime, Lady Gaga a poussé la logique jusqu’au fétichisme liturgique dans Alejandro : voile de nonne en latex avec ce stylisme signé Nicola Formichetti. La tenue religieuse devient matière plastique, comme une tenue SM d’un sex-shop de Pigalle.

    Dans Born to Die, Lana Del Rey s’assoit sur un trône en robe blanche et couronne de fleurs au château de Vaux-le-Vicomte : une sainte tragédienne qui donne son destin en spectacle. Au Met Gala 2018, impulsé par le thème Heavenly Bodies, la chanteuse américaine domine le tapis rouge au bras d’Alessandro Michele, dans une robe Gucci ceinturée d’un cœur sacré hérissé de dagues, halo bleuté et ailes dorées.

    Côté français, Mylène Farmer a toujours joué la liturgie pop. Avec les créateurs Jean Paul Gaultier ou Olivier Theyskens, elle transforme ses concerts et ses clips en messe de mode. Robes longues, croix gigantesques, coiffure truffées des crucifix et de têtes de mort font partie de sa panoplie habituelle.

    Des frères et sœurs d’armes

    Même Lil Nas X participe à cette conversation. Révélé en 2019, le rappeur d’Atlanta créait le scandale en détournant l’imagerie chrétienne pour parler de désir queer. Parmi ses objets subversifs, des Satan Shoes signées MSCHF, entre pentagrammes, versets, goutte de sang dans la semelle. De son côté, la chanteuse Ethel Cain, fouille la foi et le trauma du Sud baptiste avec cols montants, manches édouardienne et vêtements prudes. Des éléments qui transmettent une mémoire douloureuse plutôt qu’un blasphème.

    Et presque au même moment que Rosalía, c’est Lily Allen qui balance son nouvel album West End Girl avec une chanson qui se démarque Pussy Palace. Dans le clip, elle apparaît telle une bonne sœur sulfureuse, réglant ses comptes avec son ex infidèle (l’acteur David Harbour), fumant lentement une cigarette. Comme quoi : dans les vieilles soutanes, on fait souvent les looks les plus actuels.