14
14
Expo : rencontre avec le skateur et photographe Atiba Jefferson
Jusqu’au 25 octobre 2025, les photographies d’Atiba Jefferson envahissent le sous-sol du skateshop Arrow & Beast, dans le Marais. Entre tricks de skate et style streetwear, ses clichés racontent l’évolution de la communauté skate, de la fin des années 80 à aujourd’hui. Alors qu’il dévoile une collection capsule avec Vans, le célèbre skateur et photographe revient, pour Numéro, sur ses deux passions et sur son parcours atypique.
propos recueillis par Camille Bois-Martin.

Rencontre avec le skateur et photographe Atiba Jefferson
Numéro : Vous collaborez avec Vans depuis les années 90. Comment votre relation s’est-elle construite au fil des années ?
Atiba Jefferson : J’ai commencé à personnaliser des chaussures Vans quand j’étais adolescent. Puis, quand j’ai déménagé en Californie, les premières photographies pour lesquelles j’ai été payé étaient pour Vans ! J’avais 19 ans et ça a signé le début de notre longue collaboration. J’ai fait des voyages et des campagnes avec eux au fil des années, avant de devenir ambassadeur OTW pour la marque. Aujourd’hui, je fais vraiment partie de la famille Vans, je me rends souvent dans leurs bureaux, à la rencontre de l’équipe créative, etc. Mon frère jumeau est d’ailleurs un de leurs directeurs artistiques ! Bref, on a vraiment une longue histoire. [Rires]
Et vous signez aujourd’hui toute une collection pour la marque…
Ils sont très loyaux ! Quand ils m’ont proposé d’imaginer des vêtements et des chaussures pour eux, j’étais surpris, car je n’y avais jamais vraiment pensé. Je ne suis pas un designer, je suis photographe, donc c’est une approche nouvelle, mais très intéressante pour moi. Ça m’a demandé beaucoup d’implication. Maintenant que je découvre les pièces portées par des gens dans la rue, ou sur des photos de la campagne, je suis extrêmement flatté qu’ils m’aient offert cette chance.


“Je voulais imaginer des pièces inspirées par mon style, mais qui pourraient plaire à d’autres personnes.” Atiba Jefferson
Comment avez-vous travaillé sur cette collection ?
J’ai conçu cette collaboration à partir de ce que j’aime porter. L’équipe créative a été super, elle m’a vraiment aidé car je n’y connais pas grand-chose en vêtement. Je voulais imaginer des pièces inspirées par mon style, mais qui pourraient plaire à d’autres personnes : par exemple, nous avons créé un tee-shirt court, que je ne porterais pas car ce ne serait pas flatteur sur moi. [Rires] Mais ils m’ont aidé à garder l’esprit ouvert. Toute la collection est fidèle à mon univers et puise dans ma propre garde-robe, car je ne voyais aucun intérêt à faire des choses qui ne me plairaient pas. Il y a un exemplaire inspiré de ma veste préféré, un autre de mon pantalon Vans favori… C’était très amusant de concevoir une collection qui me ressemble.
Avez-vous imaginé les pièces de cette collection avec votre œil de photographe, qui pourrait les prendre en photo sur un skatepark ?
Je n’y ai pas pensé de cette manière, mais c’est un très bon argument ! En marchant jusqu’ici, j’ai vu toute une équipe de BMX en train de faire des figures avec les chaussures de la collection et de poser pour des photos pour Vans. C’était la première fois que je les voyais “en action”, autrement que sur les réseaux sociaux notamment. Maintenant que vous me le dîtes, c’est vrai que je me suis dit que ça rendait super bien à la caméra, mais je n’y avais pas réfléchi avant. C’est vraiment très cool. Les baskets oranges en particulier, en mouvement, font un très bel effet.


Une collaboration avec Vans inspirée par le skateboard
En plus de cette collection, vous inaugurez des expositions de vos photographies aux quatre coins du monde, à Londres, Paris, Los Angeles, Tokyo… Vous arrivez à tenir le rythme entre les soirées, les dîners, les interviews et les voyages ?
C’est l’une des années les plus remplies de ma vie ! Et c’est l’un de mes plus grands projets à date. Mais, pour moi, ce n’est pas un travail à temps plein, c’est une petite parenthèse dans ma carrière. D’habitude, je suis de l’autre côté de la caméra, à faire des interviews ou des portraits. Je n’aime pas être sous le feu des projecteurs, mais, parler de skate, de photographie et de Vans, bref, de tout ce que j’aime, ce n’est pas vraiment ce que j’appellerais du travail. [Rires]
Vous êtes photographe depuis trente ans, et vous faites du skateboard depuis encore plus longtemps. Quel est votre premier souvenir avec un skate ?
Mon premier souvenir, c’est de regarder une démo de skate qui était devenue virale à la fin des années 80. Et ma première expérience sur un skate était de tomber avec. [Rires] Je me souviens, quand j’avais 13 ans environ, d’apprendre à faire un ollie ou un kickflip [figures de skateboard, ndlr.] Impossible d’oublier sa première chute.
Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez utilisé une caméra ?
C’était peu de temps après mes débuts dans le skate, j’avais 15 ans à peu près. C’était une expérience marquante, car j’ai d’abord fait de la photographie en négatif, en noir et blanc, que je devais développer dans des chambres noires. Ça a changé le cours de ma vie et, comme avec le skate, c’est devenu ma passion.


Des photographies mythiques depuis les années 80
Qu’est-ce qui vous a donné envie de commencer à faire de la photographie ?
C’est inexplicable. Je n’essaie pas d’éviter la question, mais ce serait comme me demander d’expliquer ce qu’est l’amour ! Il n’y a pas de mots. La photographie est une envie qui est née en moi et qui ne m’a jamais quitté. Comme pour le skate, où j’apprends des figures, j’ai appris à faire de la photo, à maîtriser une caméra. Mes deux passions ont été et sont toujours un apprentissage permanent. C’est en moi et je ne peux ni l’expliquer, ni m’arrêter.
Que faut-il toujours garder en tête quand on prend en photo un skater ? Avez-vous des conseils ou des astuces pour obtenir le cliché parfait ?
Le timing est essentiel. Une milliseconde sépare une bonne et une mauvaise photo. Après, il y a des centaines de facteurs qui composent un bon cliché de skate et il n’y a pas de meilleure technique qu’une autre. Il faut savoir gérer son focus, avec la bonne lumière, mais aussi son obturateur, qui doit être à la bonne vitesse. Tout cela rentre en compte pour parvenir à obtenir la parfaite composition.
Que pouvez-vous transmettre avec le skateboard que vous ne pouvez pas avec une caméra, et vice-versa ?
Une photographie capture une milliseconde et la fige pour l’éternité, c’est-à-dire un moment que l’on voit à peine passer et qui devient, avec la caméra, immuable. C’est une pratique que l’on prend vraiment pour acquise aujourd’hui, avec nos téléphones et les réseaux sociaux. Alors que c’est vraiment particulier de pouvoir conserver un moment qui ne se reproduira plus jamais. C’est toute la magie de la photographie. Et c’est un peu la même chose avec le skateboard : vous n’allez réussir à faire une figure qu’une seule fois. Jamais vous ne la reproduirez de la même façon.


“Quand j’ai commencé, à la fin des années 80, il n’y avait pas beaucoup de skaters.” Atiba Jefferson
Vous photographiez la communauté du skateboard depuis les années 80. Comment a-t-elle évolué au fil des trois dernières décennies ?
Je ne pense pas que la communauté en elle-même a vraiment changé. Elle est toujours très inclusive et créative, c’est d’ailleurs cela qui m’avait attiré quand j’étais adolescent. C’était la première communauté que j’ai rejoint qui n’était pas vraiment liée aux sports collectifs. J’ai eu l’impression de faire partie d’une famille et d’avoir plein de grands frères qui m’inspiraient et me protégeaient. J’y ai appris ce qu’était une vraie communauté, qui me suit encore aujourd’hui.
Ce qui a changé est peut-être, qu’aujourd’hui, tout le monde veut faire du skate. Quand j’ai commencé, à la fin des années 80, il n’y avait pas beaucoup de skaters et ce n’était pas du tout cool d’en être un. C’est une pratique qui est devenue beaucoup plus mainstream. Mais je ne dis pas du tout ça de façon négative ! Je trouve génial que ce soit un sport qui attire et qui inspire de plus en plus de monde et qui soit même intégré aux Jeux olympiques.
Comment la culture skate a-t-elle influencé la pop culture et la mode ?
Je pense que le skate a eu une grande influence de la même façon que toutes les communautés qui s’implantent dans la rue, mais aussi le sport, ont imprégné la mode et la pop culture. Je pense notamment au golf, à la communauté punk, au hip hop, etc. Mais, la différence est que l’univers du skateboard est perméable : tu peux être punk ou faire du jazz et adorer pratiquer le skateboard !


Atiba Jefferson inaugure une exposition chez Arrow & Beast à Paris
Vous dîtes souvent que vous photographiez des skaters principalement pour leur style. Comment décririez-vous le style d’un skateur ?
Il n’y a pas d’uniforme ou de style prédéfini pour un skater. Évidemment, il y a certains looks très répandus pour des questions de confort, comme les shorts ou les pantalons cargo. Mais chacun cultive son style : aujourd’hui, j’ai notamment rencontré quelqu’un en train de faire du skate avec un jean très serré ! C’est une communauté très ouverte où chacun façonne son propre univers créatif.
Parmi tous vos projets, avez-vous toujours le temps de faire du skate ?
Je n’en fais plus tous les jours, mais au moins une fois par semaine ! J’ai une petite rampe dans mon jardin et je me rends souvent dans des skateparks autour de chez moi. D’ailleurs, quand je fais des photos, je fais toujours quelques figures avec les skaters sur place, afin de m’échauffer. Je pense que, pour un skateur de 49 ans, je suis probablement l’un des plus actifs ! [Rires]

Skate et photographie : une passion et un métier
Vous imaginiez-vous, adolescent, pouvoir vivre du skateboard et de la photographie ?
Absolument pas. Je ne savais pas ce que serait ma carrière, je me voyais continuer de travailler au 7-Eleven [enseigne de commerces de proximité, ndlr] toute ma vie. On dit toujours que, si l’on fait ce qu’on aime, on ne travaille jamais vraiment, non ? Je pense que c’est un peu mon cas, je n’ai jamais l’impression de travailler. Regardez-moi, je suis à Paris, pour répondre à vos questions, inaugurer mon exposition et présenter ma collaboration avec Vans. Tout le monde me demande si je ne suis pas trop fatigué, mais de quoi devrais-je me plaindre ? J’ai juste à répondre présent et à parler de ce qui me passionne. C’est fou.
Avez-vous un souvenir en tant que photographe qui a impacté votre carrière ?
La première fois que j’ai vu mes photographies imprimées dans les pages d’un magazine ! En tant que photographe, c’est toujours une émotion particulière de voir son travail en couverture d’un livre ou dans un cadre. En 1996, j’ai notamment fait l’affiche de promotion du film Happy Gilmore [de Dennis Dugan, ndlr]. Je me souviens de voir mes photos partout sur des panneaux d’affichages à travers Los Angeles : c’était incroyable. C’est un sentiment que je ressens encore aujourd’hui, quand je découvre mes expositions, comme ici à Paris.
L’exposition d’Atiba Jefferson est ouverte jusqu’au 25 octobre 2025 à la galerie Galerie Bête chez Arrow & Beast, 17 rue Réaumur, Paris 3e.
La collaboration Atiba x Vans est disponible en boutique et sur vans.com.