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Provocation, sexe… Gregg Araki en 5 obsessions
Révélé par la trilogie culte “Teenage Apocalypse”, le réalisateur queer Gregg Araki s’est imposé comme une figure essentielle du cinéma indépendant américain en s’attachant aux amours contrariés et aux tourments intérieurs d’une jeunesse en marge. Alors que Mysterious Skin fête ses vingt ans, trois de ses œuvres les plus marquantes, furieusement irrévérencieuses et saturées de désir, reviennent aujourd’hui sur grand écran dans des versions restaurées.
par Alexis Thibault.

Plusieurs films de Gregg Araki de nouveau disponibles au cinéma
Il filme la jeunesse comme une tempête et capture les amours désordonnés, les errances nocturnes et les fascinations secrètes. À soixante-cinq ans, le réalisateur américain Gregg Araki est l’un des visages essentiels du cinéma indépendant américain.
Tout débute dans les années 1990 lorsqu’il signe une série de longs-métrages désormais cultes, regroupés sous le nom de “Teenage Apocalypse”. Cette trilogie informelle, composée de Totally F**ed Up* (1993), The Doom Generation (1995) et Nowhere (1997), s’impose comme un manifeste punk, insolent et sensuel, qui déchire les conventions du septième art hollywoodien…
Restaurés en 4K, ces trois films ont ressurgi en salles – depuis le 17 septembre 2025 –, rappelant combien Gregg Araki a su filmer, avec rage et tendresse, les désirs et les abîmes d’une génération désinvolte et désemparée. À cette occasion, retour sur cinq de ses obsessions.
Le sexe filmé comme une expérience viscérale
Chez Gregg Araki, le sexe ne sera jamais un simple motif narratif. Il est une expérience viscérale, une force libératrice, une provocation joyeuse et parfois douloureuse. Dans The Living End (1992), disponible sur MUBI, l’amour fou entre deux hommes séropositifs prend ainsi la forme d’une fuite en avant, à la fois romantique et suicidaire. Avec Kaboom (2010), l’érotisme se déploie plutôt dans une luxuriance pop où les corps s’entrelacent au-delà des genres et des sexualités.
Le sexe est un territoire mouvant, un espace de résistance aux normes et une façon de survivre au chaos ambiant. On y lit à la fois la jubilation et la peur, l’abandon et la vulnérabilité. Car Gregg Araki filme l’étreinte comme une déclaration de guerre aux tabous et une quête de vérité.
L’adolescence au cœur de ses films
Gregg Araki filme la jeunesse comme s’il s’agissait d’une épopée. Il lui donne la densité d’une tragédie antique. Dans Nowhere (1997), par exemple, ses personnages semblent flotter dans un monde où la fin du monde est imminente, où chaque fête ressemble à une veillée funèbre.
Dans Mysterious Skin (2004), qui célèbre aujourd’hui son vingtième anniversaire, Gregg Araki explore l’adolescence comme un territoire traversé par des fractures irréparables. Le film met en lumière la violence inqualifiable de l’abus sexuel et ses répercussions psychiques à long terme. En incarnant Neil, adolescent prostitué qui refuse de reconnaître la blessure originelle qui l’habite, Joseph Gordon-Levitt livre une performance d’une intensité exceptionnelle, marquant le véritable point de départ de sa carrière.
Chez Gregg Araki, l’adolescence n’a rien d’un âge tendre ou d’un moment de transition idéalisé : elle constitue un champ de bataille où s’effondrent les illusions d’innocence et où s’élabore, dans la douleur, une conscience aiguë du réel. Cette lucidité brutale, presque insoutenable, confère à l’expérience adolescente une dimension tragique et en fait le cœur battant de son cinéma. Ses adolescents portent les contradictions de l’époque. Ils sont tour à tour flamboyants et désespérés.
Une fascination pour les outsiders
Les films de Gregg Araki sont peuplés d’êtres rejetés, trop étranges et trop libres pour se fondre dans la norme. Totally F**ed Up* (1993) brosse d’ailleurs un portrait bouleversant d’adolescents queer en marge de la société, naviguant entre la dérision et la désespérance. Dans Smiley Face (2007), la marginalité se fait plus comique, mais toujours révélatrice : les héros sont toujours hors-cadre, hors-jeu, hors du temps.
À l’instar des personnages du New-yorkais Harmony Korine, ils refusent de se plier à l’ordre social, préférant le chaos d’une vérité intérieure à la sécurité d’une appartenance. Gregg Araki les filme avec tendresse et rage, comme s’ils incarnaient la pureté de la rébellion. Dans leurs regards se lisent les fractures d’une Amérique trop étroite pour eux.
Une obsession pour l’underground
Coloriste radical, Gregg Araki a construit un univers où la saturation visuelle devient un langage. The Doom Generation (1995), qui met en scène Rose McGowan, impressionne par son explosion de rouges criards, ses néons et ses contrastes violents.
Dans Kaboom (2010), l’esthétique pop underground envahit cette fois le récit comme une seconde peau : affiches, posters, vêtements… Tout dialogue avec la musique alternative qui imprègne – en BO – son cinéma depuis ses débuts.
Cet univers esthétiquement excessif traduit une vision du monde où le bruit, la couleur et la vitesse demeurent les seules armes contre l’ennui et la norme. L’underground, chez Gregg Araki, est une patrie sensorielle, un territoire où l’imaginaire est plus vrai que la réalité.
La provocation comme art de vivre
L’une de ses provocations les plus marquantes demeure la séquence finale de The Doom Generation (1995). Ce road movie saturé de sexe et de violence estt conclu par Gregg Araki par une scène d’une brutalité inouïe. Le lynchage et la mutilation de l’un des personnages principaaux. Ce geste radical, qui fit fuir une partie de la critique américaine, illustre sa volonté de ne jamais édulcorer la violence homophobe et puritaine de l’Amérique des années 1990.
Dans Mysterious Skin (2004), il affrontee frontalement le tabou absolu des abus sexuels sur mineurs, en filmant avec pudeur mais sans détour. La provocation chez lui n’est pas une coquetterie mais une nécessité artistique et un refus de taire ce qui dérange. C’est aussi une arme politique, une façon de dire que le cinéma doit gratter la plaie plutôt que la recouvrir timidement. Le cinéaste veut réveiller, déranger et ouvrir les yeux. Il ne cherche pas le scandale pour lui-même mais dans le but de donner à voir ce que l’Amérique refoule.
Le rétrospective Gregg Araki – “Teenage Apocalypse” –, est actuellement diffusée au cinéma.