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Saint Laurent
Né en 1936 à Oran, Yves Mathieu-Saint-Laurent incarne l’un des créateurs les plus marquants du XXe siècle. En fondant sa maison en 1961 avec Pierre Bergé, il révolutionne la couture, invente le prêt-à-porter de luxe et impose une esthétique audacieuse, nourrie par l’art, la littérature et l’histoire. Plus de six décennies après, la maison Saint Laurent reste un emblème de liberté, d’élégance et de modernité.

Origines et naissance d’un mythe
Yves Saint Laurent voit le jour en 1936, dans une famille bourgeoise d’Oran, alors colonie française. Dès son enfance, il s’évade par le dessin, créant des silhouettes de papier, inspirées des récits littéraires et des héroïnes mythiques. Ce goût précoce pour la mise en scène du corps s’affirme comme un langage intime.
Arrivé à Paris, il est remarqué par Christian Dior, qui l’engage comme assistant. À la mort de ce dernier en 1957, Saint Laurent prend la tête de la maison Dior. Il impose alors sa première collection, « Trapèze », qui séduit immédiatement par ses lignes modernes et sa fraîcheur.
En 1961, avec son compagnon de vie et futur partenaire professionnel Pierre Bergé, il fonde sa propre maison grâce au soutien du mécène américain J. Mark Robinson. Dès 1962, le premier défilé affirme un style nouveau : rigueur des coupes, audace des matières, élégance sans ostentation. Le logo « YSL », imaginé par le graphiste Cassandre, devient rapidement une icône visuelle, aussi identifiable qu’un manifeste.
La révolution du prêt-à-porter
En 1966, Saint Laurent bouleverse les règles du monde de la mode avec l’ouverture de Saint Laurent Rive Gauche, première boutique de prêt-à-porter de luxe. Jusque-là, la haute couture restait réservée à une élite. Lui choisit d’élargir son audience en offrant des pièces pensées pour la vie quotidienne.
Ainsi, le vêtement devient démocratique sans perdre son prestige. Le public, jeune et urbain, adopte ce geste de modernité. Le prêt-à-porter de luxe s’impose alors comme un pilier de la mode contemporaine. Ce modèle permet aux femmes d’accéder à une garde-robe inventive, pratique et élégante, tout en affirmant leur indépendance.
Parmi ses créations, Le Smoking (1966) s’impose comme une révolution esthétique et sociale. En transposant l’habit masculin sur le corps féminin, Saint Laurent déconstruit les codes du genre. Ce vêtement devient un manifeste : la féminité ne se limite plus aux robes, elle peut aussi se déployer dans l’autorité du noir et la géométrie d’un tailleur. Dès lors, les frontières entre masculin et féminin s’effacent au profit d’une élégance nouvelle, agile et libérée.
Yves Saint Laurent et la beauté
La maison ne se limite pas au vêtement. En 1971, Yves Saint Laurent lance son premier parfum féminin, Rive Gauche, au flacon bleu et argent conçu par Pierre Dinand. Ce geste prolonge la philosophie de la maison : beauté et mode s’entrelacent pour construire un univers global.
Dans les années suivantes, il crée une ligne de maquillage, puis en 1977 le parfum Opium, scandaleux par son nom et son image publicitaire. Ce parfum devient un best-seller mondial, mais aussi un symbole d’audace. Il illustre la capacité de Saint Laurent à transformer la provocation en désir universel. Ainsi, la beauté devient un prolongement naturel de son esthétique, diffusant ses valeurs de liberté et d’audace.
L’esthétique comme manifeste

L’univers Saint Laurent s’ancre dans un dialogue permanent avec les arts visuels. Inspiré par la littérature, le théâtre ou la peinture, le couturier transpose ses passions dans ses collections. Les robes Mondrian (1965), graphiques et colorées, traduisent l’art moderne en vêtement. Les références aux Ballets russes, à Picasso, Matisse ou Van Gogh confirment sa volonté de lier couture et culture.
En 1971, sa collection Libération, inspirée des années 1940, provoque un scandale. Les épaules larges, les jupes courtes et les talons compensés rappellent l’Occupation, période encore douloureuse. Pourtant, cette audace ouvre une nouvelle décennie esthétique. Saint Laurent prouve que la mode n’est pas qu’un art décoratif : elle dialogue avec l’histoire, dérange et questionne.
Il fut l’un des premiers couturiers à défendre une vision inclusive du défilé. Ses mannequins reflétaient une diversité rarement représentée à l’époque, affirmant que la beauté ne se limite pas à un seul canon. Ainsi, son œuvre a autant façonné la mode que l’image de la société.
Successions créatives
Après son départ en 2002, la maison entre dans une nouvelle ère. Déjà à la fin des années 1990, Tom Ford avait apporté une sensualité provocatrice et un glamour hollywoodien. En 2004, Stefano Pilati impose une allure plus sobre, élégante et intellectuelle.
En 2012, Hedi Slimane prend la direction artistique, rebaptise la maison « Saint Laurent » et insuffle une esthétique rock, androgyne et contemporaine. Son travail divise, mais réinvente l’image de la maison. Depuis 2016, Anthony Vaccarello prolonge cet héritage en créant des collections sensuelles et affirmées, tout en réinscrivant Saint Laurent dans son ancrage parisien.
Identité visuelle et culture

Le logo « YSL », imaginé en 1961 par Cassandre, reste l’un des plus puissants de l’histoire du design. Qu’il soit apposé sur un sac, un trench ou un parfum, il impose une identité claire : prestige et intemporalité.
La maison cultive aussi sa mémoire. Le Musée Yves Saint Laurent Paris, inauguré en 2017 avenue Marceau, expose ses créations et archives. La Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent veille à préserver cet héritage. Par ailleurs, en 2023, la maison franchit une nouvelle étape en lançant Saint Laurent Productions, société de cinéma qui accompagne auteurs et réalisateurs. Ce projet illustre sa volonté d’étendre son influence au-delà de la mode.
Innovation et durabilité
Aujourd’hui, sous l’impulsion d’Anthony Vaccarello, Saint Laurent associe créativité et responsabilité. La maison travaille à des collections respectueuses des savoir-faire, explore des matériaux durables, tout en conservant son aura de luxe. Ainsi, elle s’inscrit dans une stratégie moderne où désir et conscience coexistent.
Plus de soixante ans après sa création, Saint Laurent demeure un fleuron de la mode française. De l’audace du prêt-à-porter à l’esthétique inspirée par les arts, du parfum scandaleux à l’élégance du Smoking, la maison a su traverser les décennies sans perdre son pouvoir de fascination. Yves Saint Laurent, architecte de la féminité et du style moderne, a transformé la mode en un manifeste. Aujourd’hui, son héritage se perpétue à travers les collections, les musées et les nouvelles explorations culturelles. La maison continue d’incarner une idée essentielle : la mode n’est pas un simple vêtement, elle est une libération !