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Prix LVMH 2025 : Francesco Murano, le créateur qui sculpte le vêtement
Les silhouettes vaporeuses et sculpturales de l’Italien Francesco Murano traduisent un travail minutieux du drapé, inspiré par la statuaire gréco-romaine. Finaliste du Prix LVMH 2025, le créateur originaire de Naples retrace pour Numéro son parcours, de ses débuts auprès de Beyoncé à son premier défilé à la Fashion Week de Milan en mars dernier. Rencontre.
propos recueillis par Jordan Bako.

Francesco Murano, finaliste du Prix LVMH 2025
Né dans une petite ville du sud de l’Italie à quelques kilomètres de Naples, Francesco Murano fait ses premiers rêves de gloire devant le petit écran. Il nourrit son imaginaire des shows de la chaîne Fashion Network, où il s’émerveille devant l’audace des défilés de Martin Margiela. Pour ses études, le créateur italien pérégrine ensuite à Milan, capitale de la mode italienne qui a vu fleurir les maisons de Gianni Versace et de Miuccia Prada. Sur les bancs de l’Istituto Europeo di Design, c’est la statuaire gréco-romaine qui devient sa muse ; un trésor de la civilisation antique, qui berce les paysages de sa région natale.
Inspiré par les artisans de l’époque, Francesco Murano sculpte ses vêtements. Plutôt que de tailler des silhouettes dans le marbre, le créateur aujourd’hui âgé de 26 ans modèle ses collections à même le mannequin, selon la tradition du moulage, une technique de confection héritée de la haute couture parisienne. En résulte un vestiaire résolument féminin, adoubé par Beyoncé, Florence Pugh ou encore Simone Ashley, constitué de robes au drapé sculptural en jersey, et de vestes et pantalons taillées en cuir. Pour Francesco Murano, tout est une question d’équilibre, entre la rigueur du tailoring et la fluidité des étoffes qui volent au vent. Alors que le designer italien se hisse cette année parmi les huit finalistes du prix LVMH 2025, Numéro s’est entretenu avec lui.
Interview du créateur de mode Francesco Murano
Numéro : Devenir designer était-il un rêve d’enfant ?
Francesco Murano : J’ai grandi dans la campagne à côté de Naples, dans le sud de l’Italie. Ma grand-mère brodait, pas pour le travail, strictement en tant qu’hobby, et ma tante était couturière à Rome. Donc, j’ai commencé à jouer avec les tissus assez tôt, lorsque j’avais 4 ou 5 ans. Je voulais déjà devenir designer et rien d’autre. Et, quand j’y repense, c’était un rêve assez rare pour un jeune garçon de mon milieu. Parce qu’il n’y avait pas grand-chose autour de moi qui pouvait stimuler cette appétence.
Vous avez ensuite étudié la mode à l’Istituto Europeo di Design à Milan. Quels souvenirs gardez-vous de cette formation ?
C’est à Milan que j’ai appris les techniques de mode. J’avais déjà une inclination pour ce milieu mais, à l’école, j’ai véritablement appris comment construire un vêtement, une collection… Comment trouver ma propre créativité, en somme. C’était important pour moi d’en apprendre plus sur cet aspect du métier afin de trouver les bonnes silhouettes pour mes mannequins. Mais aussi pour réussir à traduire concrètement en vêtement les concepts qui germaient dans mon esprit.

La statuaire grecque en inspiration
Quels designers vous inspirent ?
Je sépare mes inspirations en deux catégories. Les créateurs du passé – comme Madeleine Vionnet, pour l’art de la proportion, Madame Grès pour l’art du drapé, ou encore Thierry Mugler, pour la puissance qu’il insufflait à ses silhouettes féminines. La seconde partie est plus contemporaine. J’adore John Galliano pour le drame qu’il insuffle à ses collections. J’aime beaucoup le travail d’Azzedine Alaïa pour la manière de confectionner ses collections à même le corps des mannequins. Comme si ces dernières devenaient des sculptures, dont il modèle les silhouettes.
À ce sujet, vous parlez souvent de l’art de la sculpture et du moulage comme une inspiration pour créer vos vêtements…
Quand j’imagine une collection, j’aime trouver l’équilibre entre le rationnel et ce qui relève de la fantaisie, de l’imaginaire. J’essaie de trouver le juste milieu entre la structure que m’apporte le tailoring et la fluidité du drapé. Le moulage me permet de canaliser cette part d’irrationalité parce que, selon moi, c’est une approche plus instinctive de penser le vêtement car je travaille directement sur le mannequin. Je commence avec une forme particulière et je l’altère à mesure que je la façonne, jusqu’à trouver la silhouette celle qui me semble exacte.
Des débuts soutenus par Beyoncé
Vous décidez très tôt de créer votre label, en 2020, directement après votre sortie d’école. Était-ce important, pour vous, d’avoir une forme d’indépendance rapidement ?
J’ai lancé mon label directement après avoir fini mes études parce que Beyoncé et son équipe ont vu mon travail sur Instagram, lorsque je présentais une collection lors d’une compétition organisée à Milan. J’ai gagné cette compétition et, après plusieurs apparitions dans les médias, les stylistes de Beyoncé m’ont contacté pour imaginer des vêtements sur mesure pour sa garde-robe personnelle. Puis, j’ai aussitôt commencé à travailler dessus et pour lancer cette production, j’ai fondé mon label. Six mois plus tard, elle a porté l’un de mes looks lors de la pré-cérémonie des Grammy Awards organisée par Roc Nation en 2020.
À l’ère de la fast fashion, on pourrait penser que les collections sur-mesure se font de plus en plus rares. Or, cette technique de confection semble être au cœur de votre marque.
J’ai commencé avec des collections faites sur-mesure – et ce n’est que tout récemment que je me suis mis à faire du prêt-à-porter – qui n’est vendu que dans une poignée de magasins à travers le monde. Je tiens à faire du travail de qualité pour mon prêt-à-porter, à aller à contre-courant de l’appel à la fast fashion. Mais en même temps, c’est difficile en tant que jeune designer d’y parvenir : mes collections sont assez chères parce que je produis peu, dans mon pays natal, avec de la bonne qualité. Cependant, on peut aujourd’hui trouver quelques enseignes de fast fashion qui font des articles de qualité car elles ont la possibilité de produire beaucoup, tout en gardant des prix bas…

Un premier défilé à la Fashion Week de Milan
Vous présentiez récemment votre premier défilé dans le cadre de la Fashion Week de Milan. Comment vivez-vous cela ?
J’étais aux anges parce que c’était la première fois que j’avais l’opportunité de présenter mon propre défilé automne-hiver 2025-2026 à la Fashion Week de Milan, que j’ai organisé à la Fondazione Sozzani. Tout comme Paris ou Londres, c’est une ville où il est difficile de se faire une place en tant que jeune designer parmi les autres créateurs qui rythment la semaine. Et c’était un défilé assez petit, avec des amis et des personnes qui ont cru en moi depuis le début. Avec cette collection, je tenais absolument à souligner la physicalité des textiles que j’emploie, en donnant du mouvement à mes coupes.
L’avenir du créateur, finaliste du Prix LVMH 2025
Qu’est-ce que cette place de finaliste du prix LVMH 2025 représente pour vous ?
Le prix LVMH constitue l’une des plus belles vitrines que l’on puisse s’offrir en tant que créateur émergent. Autant par la visibilité qu’il permet d’acquérir que par le soutien financier qui en découle. Et le fait d’être présent à Paris, c’est l’un des meilleurs moyens de créer des connexions et de montrer son travail. Il y a un an de cela, je voyais le prix LVMH comme quelque chose de complètement hors de ma portée. Et c’est fou de me dire que j’ai réussi à faire partie des finalistes ces années, en étant le seul Italien représenté dans ce panel.

Comment envisagez-vous le futur de votre marque ?
Le prochain cap à passer pour mon label, c’est d’y donner plus de structure, de continuer à former des relations de confiance entre la marque et les enseignes dans lesquelles elle est exposée. J’aimerais que mon travail puisse rayonner à une échelle internationale, sans ne jamais perdre des yeux cette importance d’une production de qualité. Vendre une première collection, c’est facile mais, le plus dur, c’est de parvenir à continuer de vendre. Et de réussir à se renouveler à travers le temps et à entretenir des relations de confiance entre ma marque et mes clients.