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9 artistes brésiliens à découvrir en France, de Sonia Gomes à Antonio Obá
Cette année, l’Hexagone vibre au rythme d’expositions organisées dans le cadre de la riche saison France/Brésil. Une mise en lumière inédite pour de nombreux artistes brésiliens talentueux, qui s’emparent ainsi d’une multitude d’institutions. De Jonathas de Andrade à Antonio Obá en passant par Sonia Gomes et Anna Maria Maiolino : Numéro présente neuf plasticiens à découvrir absolument.
Par Matthieu Jacquet,

Sonia Gomes : la maîtresse du textile au Louvre-Lens
Une pluie de couleurs tombe depuis deux mois dans le Pavillon de verre du Louvre-Lens. Baignées par la lumière qui pénètre les grandes baies vitrées du bâtiment, des assemblages de tissus se déroulent depuis le plafond : fins par endroits, plus épais par d’autres, ils sont rythmés par une variété de motifs et de formes rappelant parfois des protubérances. Avec ce projet inédit, la magie de la maîtresse du textile Sonia Gomes opère à nouveau.
Si l’artiste brésilienne, aujourd’hui âgée de 77 ans, dispose d’une reconnaissance dans le monde entier, son entrée dans le monde de l’art est en réalité assez tardive puisqu’elle remonte au milieu des années 90, alors qu’elle avait déjà plus de quarante ans. C’est alors que cette originaire du Minas Gérais délaisse sa carrière dans le droit pour se consacrer à la spécialité de sa région : le textile. Depuis, elle compose des assemblages à l’aide de tissus et de dentelles récupérés, le plus souvent offerts, qu’elle enroule et structure à l’aide de fils de fer.
La plupart du temps abstraites et asymétriques, ses pièces rappellent la poésie des compositions – plus figuratives – d’une Annette Messager mais s’inspirent surtout des danses folkloriques de son pays. En 2015, elle est la seule artiste brésilienne invitée à participer à la 56e Biennale de Venise, ce qui lui offre une visibilité de la critique internationale. L’année dernière, elle y revenait pour présenter une exposition personnelle au Pavillon du Saint Siège. Elle est également représentée par la galerie Mendes Wood DM, qui présentait l’an passé sa première exposition à Paris. (MJ)
“Sonia Gomes. Raio de sol (Rayon de soleil)”, exposition jusqu’au 12 janvier 2026 au musée du Louvre-Lens, Lens.

Anna Maria Maiolino : une légende de l’art brésilien au musée Picasso-Paris
En 2024, Anna Maria Maiolino remportait, à 82 ans, le Lion d’Or à la Biennale de Venise pour l’ensemble de sa carrière. Une récompense méritée pour cette artiste révélée par le mouvement brésilien Nova Figuração (Nouvelle Figuration), depuis connue pour ses dessins poétiques, gravures sur bois, performances et sculptures en argile crue aux formes organiques.
D’origine italienne, mais installée au Brésil depuis le début des années 70, la plasticienne a en effet tracé son propre chemin en véritable touche-à-tout, faisant saillir dans ses pièces la fragilité du monde, des corps et de la nature. Ses sessions de marche sur des parterres d’œufs et ses sculptures en colombins serpentant sur les socles ou les sols font partie de ses créations les plus emblématiques.
Dans le cadre de la saison France/Brésil, le musée Picasso à Paris lui consacre une exposition bienvenue permettant de saisir, à travers une centaine d’œuvres, l’essence d’une pratique pluridisciplinaire entamée il y a maintenant six décennies. Rejetant toutefois le terme de rétrospective, l’artiste préfère voir les œuvres réunie ici comme “des présences actives qui continuent à générer des conversations”, soulignant ainsi toute leur contemporanéité. Le titre de cette exposition nous en avertit d’ailleurs dès le départ : “Je suis là. Estou aqui”.
“Anna Maria Maiolino. Je suis là. Estou aqui.”, exposition jusqu’au 21 septembre 2025 au musée Picasso, 5 rue de Thorigny, Paris 3e.

Lucas Arruda : un peintre de l’introspection et de la contemplation
Connu pour ses petits formats d’horizons éthérés et de forêts denses, l’artiste brésilien Lucas Arruda n’avait pourtant jamais eu d’expositions d’importance en France. C’est désormais chose faite depuis ce printemps, où le jeune quadragénaire, en couverture du dernier Numéro art, a présenté simultanément un solo show au Carré d’art de Nîmes et un autre au Musée d’Orsay.
Révélé dans les années 2010, le peintre se trouvait alors à contre-courant d’une scène artistique brésilienne très concentrée sur des sujets explicitement politiques, qui abordaient les hiérarchies sociales et les blessures de l’histoire, en produisant de son côté des toiles profondément introspectives et contemplatives. Depuis, ces œuvres imprégnées par la forêt de son pays, sa région de São Paulo et l’horizon de la mer depuis les plages brésiliennes, mais aussi par le travail de Turner ou de Courbet, ont conquis le monde de l’art, son marché et rejoint des grandes collections comme la Collection Pinault.
“Lucas Arruda. Deserto-Modelo”, exposition jusqu’au 5 octobre 2025 au Carré d’Art-Musée d’art contemporain, 16 place de la Maison Carrée, Nîmes.
![Installation vidéo de l'artiste brésilien Jonathas de Andrade, O Peixe [Le Poisson] (2016) au domaine de Peyrassol](https://numero.com/wp-content/uploads/2025/05/interview-artiste-bresilien-jonathas-de-andrade33.jpg)
Le travail engagé et sensible de Jonathas de Andrade
Au Jeu de paume de Tours et à la Commanderie de Peyrassol, Jonathas de Andrade (né en 1982) profite en ce moment de deux grandes expositions personnelles sur le territoire français. Une mise en lumière importante, qui dévoile ainsi en Hexagone le travail engagé et sensible de l’artiste pluridisciplinaire. C’est dans le nord du Brésil, plus précisément à Recife, que son travail trouve sa source formelle, mais aussi conceptuelle. Une ville qui a vu le plasticien grandir et où il vit encore aujourd’hui.
Il y puise les thématiques de ses œuvres, résolument liées à son territoire et à toutes les contradictions politiques et environnementales qui l’animent, et touchent, par extension, aux problématiques des autres continents. Des pêcheurs brésiliens aux peuples indigènes d’Amazonie, en passant par les “paysans sans terre” d’Ingarassu, Jonathas de Andrade explore ses sujets à travers installations, sculptures, photographies et vidéos, et véhicule un message politique fort nourri de questionnements actuels et universels. (CBM)
“Jonathas de Andrade. L’art de ne pas être vorace”, exposition jusqu’au 2 novembre 2025 à la Commanderie de Peyrassol, 1204 chemin de la Commanderie de Peyrassol, Flassans-sur-Issole.
“Jonathas de Andrade. Gueule de bois tropicale et autres histoires”, exposition jusqu’au 9 novembre 2025 au Jeu de paume – Château de Tours, 25 avenue André Malraux, 37000 Tours.
![peinture de l'artiste brésilien Antonio Obá, Banhistas no 3 – Espreita [Bathers no. 3 – Peeking] (2020) exposé au Grand Palais et à la Bourse de commerce](https://numero.com/wp-content/uploads/2025/07/artistes-bresiliens-a-suivre-antonio-oba-grand-palais-carre-art2.jpg)
Antonio Obá, figure influente de l’art brésilien
Exposé en début d’année à la galerie Mendes Wood DM à Paris puis jusqu’à fin juillet au sein du parcours d’“Horizontes” au Grand Palais, Antonio Obá s’est imposé comme l’un des peintres brésiliens les plus intéressants du moment. Si l’on pouvait découvrir cet été ses tableaux sur les cimaises de la Bourse de Commerce, dans l’exposition “Corps et âmes”, l’artiste s’empare de médiums aussi divers que la peinture, la sculpture, la performance et la vidéo. Leur sujet central ? Son identité noire, et les blessures et l’ostracisme qui ont jalonné l’histoire de sa communauté.
Originaire du Cerrado (région de savane au centre-ouest du Brésil), Antonio Obá ne s’est pas directement destiné à une vocation artistique – après des études de publicité, il enseigne les arts visuels pendant près de 20 ans. Aujourd’hui, ses toiles empreintes de spiritualité vibrent d’influences absorbées et réinventées au fil de son pinceau, des paysages de David Hockney et Horace Pippin aux portraits vibrants de Lucian Freud. Et racontent une part de son intimité, de son territoire natal, dans des couleurs parfois sombres, parfois vivantes. Mais qui composent un univers poétique, à la frontière du réel et de l’imaginaire. (CBM)
“Corps et âmes”, exposition jusqu’au 25 août 2025 à la Bourse de Commerce – Pinault Collection, 2 Rue de Viarmes, Paris 1er.

L’artisanat contre l’activité industrielle : les installations de Luana Vitra
Au sein de l’exposition collective “Eaux souterraines” au Frac Poitou-Charentes, une salle isolée nous immerge dans une atmosphère presque sacrée. Au sol, des vases en céramique sont posés sur un rond formé par de la poudre de minerai de fer, semblables à des offrandes, voire à un autel. Signée par Luana Vitra, cette installation raconte la pratique et les préoccupations de l’artiste brésilienne. Née en 1995 à Contagem (Minas Gerais), elle puise dans l’histoire de sa région marquée par l’activité industrielle et minière, et l’impact de cette exploitation sur les ressources naturelles ainsi que sur les paysages.
Ses œuvres, mêlant divers matériaux et travaux plastiques, remettent ainsi l’artisanat manuel et la spiritualité au cœur de sa pensée. Ici, le minerai de fer acquiert une dimension quasi symbolique, intégré dans sa forme brute au sein d’un musée, et séparé d’une industrie polluante et dévastatrice qui régit la région natale de Luana Vitra depuis des décennies. (CBM)
“Eaux souterraines. Récits en confluence”, exposition jusqu’au 28 septembre 2025 au Frac Poitou-Charentes, 63 Bd Besson Bey, Angoulême.

Les motifs poétiques (et symboliques) de Tadáskía
Pour la première fois en France, Tadáskía dévoile une exposition personnelle. Entre les murs du château de Rochechouart, elle déploie un imaginaire foisonnant, nourri de couleurs et de motifs abstraits, signatures de la plasticienne, qui font référence aux cosmogonies ancestrales d’Amérique latine. Née en 1993 à Rio de Janeiro, la jeune artiste brésilienne (lauréate du prix K21 en juillet dernier) construit sa pratique sur l’art de l’improvisation.
Armée d’un fusain ou d’une bombe aérosol, elle recouvre les espaces des institutions qui l’invitent de dessins, qu’elle qualifie d’“apparitions”. À l’image de son papillon de nuit, présenté à Rochechouart, son travail explore, au travers de croquis, de sculptures ou d’installations, le thème de la métamorphose – faisant ainsi écho à son histoire personnelle, en tant que femme transgenre noire. (CBM)
“Tadáskía. Jour nuit papillon” exposition jusqu’au 31 août 2025 au musée d’Art contemporain de la Haute-Vienne – Château de Rochechouart, place du Château, Rochechouart.

Afonso Pimenta : un portrait de la jeunesse brésilienne des années 70 et 90
Dans le cadre de la Saison France/Brésil, les Rencontres d’Arles dédient une large partie de leur programmation à des figures majeures comme émergentes de la photographie brésilienne. Au sein de l’espace Croisière, on découvre ainsi le travail de João Mendes mais aussi de son assistant, à son tour devenu une figure incontournable : Afonso Pimenta (né en 1954). Sur près de soixante ans, ces derniers ont documenté la vie et le paysage des habitants de la favelas de Serra (l’une des plus grandes du Brésil), située à Belo Horizonte.
Témoins d’époques révolues ou de souvenirs familiaux émouvants, les clichés d’Afonson Pimenta, originaire de São Pedro do Suaçuí, développent une série d’images colorées, dont le grain vintage et les visages qui les peuplent révèlent une mère et son enfant, sourire aux lèvres, une soirée dansante, ou encore un goûter d’anniversaire. Et livrent ainsi un portrait saisissant de la jeunesse brésilienne des années 1970 à 1990. (CBM)
“Retratistas do Morro. João Mendes et Afonso Pimenta. Reflets de la communauté de Serra, Belo Horizonte (1970-1990)”, exposition jusqu’au 5 octobre 2025 dans le cadre des Rencontres d’Arles, Croisière, 65 boulevard Émile Combes, Arles.

Les paysages majestueux et menacés de Bianca Dacosta
Installation, photographie, vidéo, peinture : Bianca Dacosta explore tous les médiums à sa disposition pour mieux exprimer son message engagé, profondément lié aux urgences climatiques. Dans son travail, l’artiste brésilienne évoque ce qu’elle décrit comme “la mémoire des territoires”, nourrie au gré de ses recherches historiques, scientifiques et expérimentales.
Paysages montagneux ou champs à perte de vue : ses images déploient une nature dépeuplée, souvent majestueuse, mais dont les ressources sont menacées par les activités humaines. À la Fondation du doute de Blois, elle présente notamment son installation Corpo d’água (2023), où l’eau, incarnée par des vidéos, des photographies mais aussi des extraits sonores, prend possession des lieux. Une vision triomphante de la nature, contrastée par deux clichés exposés tout près, où d’immenses incendies ravagent la forêt amazonienne… (CBM)
“Bianca Dacosta. Territórios feridos, corpos vivos”, exposition jusqu’au 31 août 2025 à la Fondation du doute, 14 Rue de la Paix, Blois.