La photographie comme art du contact : Katinka Bock à la Fondation Pernod Ricard
L’artiste allemande, nommée au prix Marcel Duchamp en 2019, présente à la Fondation Pernord Ricard sa première exposition consacrée à ses travaux photographiques. Nourrie par sa pratique de la sculpture, ses clichés puissants et graphiques (ce qui n’empêche pas un humour à froid de poindre) témoignent de son attention à la singularité de la forme et aux sensations des matières.
Par Thibaut Wychowanok.
“Piqûre de soleil” (ou « insolation »), c’est ainsi que Katinka Bock a choisi d’intituler son exposition à la Fondation Pernod Ricard . Soit en allemand, sa langue natale : “Der Sonnenstich”. L’expression qui lui vient d’un poème de son grand-père dit beaucoup de sa pratique. Chez elle, la photographie est un art du contact. Elle vient capturer ces moments où les corps – humains, objets, naturels – viennent s’entrechoquer, se rencontrer et parfois provoquer une démangeaison, une piqûre sensorielle ou intellectuelle : un visage où se descelle encore les traces de l’oreiller, un objet inattendu contre une peau, des cheveux ébouriffés, un T-shirt recevant les premières gouttes de pluie… Photographie de sensations – comme ces peaux de citron contre des peaux de main, la série que présente Katinka Bock va chercher ces impressions dans le plus simple quotidien, des hasards que l’artiste ne met jamais en scène mais capture sur le vif. Ce qui n’empêche pas un sens extrême du cadrage et de la lumière. Sa lumière, justement, capture les formes à l’origine de ses sensations, elle les rend d’autant plus sensible par des jeux d’ombres graphiques et un grand sens du détail des matières. Une matière qui importe tant pour l’artiste qu’elle en a fait l’un des rares parti pris de sa scénographie épurée. Présentées généralement en petits formats sur fond blanc (comme sur des pages blanches d’un magazine), ses images apparaissent parfois sur des panneaux suspendus : l’un légèrement coloré en tissu, chaud et texturé ; l’autre en aluminium, froid, lisse et réfléchissant. Des pièces en céramiques viennent également ponctuer l’exposition comme pour là-aussi rappeler la présence essentielle de la matière et appeler aux sensations du toucher qui n’est plus avec Katinka Bock l’apanage de la sculpture mais aussi une propriété photographique.
Ces clichés trouvent souvent leur origine dans la pratique artistique (sculptures et installations) de l’artiste. Ils n’en sont pourtant jamais une documentation, mais plutôt une excroissance sensorielle et conceptuelle, une périphérie. Comme ce sol de son exposition au Mamco de Genève dont les défauts et traces d’usure se transforment sous son regard en constellations. Ou ce radiateur – objet paradoxal à la matière froide et pourtant source de chaleur – photographié lors du prix Marcel Duchamp au Centre Pompidou. Katinka Bock y voit un exemple frappant de l’idée de flux (celui de la plomberie) qui traverse l’architecture, et plus largement la vie. Ce flux entre chaud et froid ne pouvait évidemment qu’intriguer une artiste de la sensation et du contact. Ailleurs, des enfants jouent avec des objets archéologiques. Une fois encore, cette rencontre inattendue trouve sa source dans une invitation artistique, celle d’un marchand lui proposant un show avec sa collection. Bock préfèrera inviter des enfants à s’en emparer, déjouant une rencontre trop attendue entre un artiste contemporain et des pièces historiques. Que Katinka Bock ait choisi le jeu d’enfant est sans doute un indice exprimant tout autant une certaine approche candide et ludique du monde où toute forme peut devenir l’objet d’un jeu.
A l’origine, les photographies de Katinka Bock étaient réunies par ses soins au sein de fanzines, ses One of Hundred publiés à seulement 100 exemplaires. L’artiste ne les vend pas mais les offre. Ils ne contiennent aucun texte. L’explication se fait seulement oralement lors de la rencontre. L’image libérée de toute intention et d’un trop grand contrôle devient page blanche fragmentaire pour l’esprit du regardeur, obligé à son tour au contact avec elle s’il souhaite la comprendre et la ressentir.
“Katinka Bock, Der Sonnenstich”, du 14 février au 29 avril 2023 à la Fondation Pernod Ricard, Paris 8e