Pourquoi il faut voir La Mesías, la série espagnole qui fait sensation sur Arte
À la fois pop et mélodramatique, réaliste et fantastique, la création de Javier Ambrossi et Javier Calvo La Mesías s’impose comme l’une des plus belles séries de l’année 2024, diffusée sur la plateforme Arte.
par Olivier Joyard.
La Mesías, la série à découvrir de toute urgence sur Arte
Voilà un cadeau gratuit, à glisser sous le sapin – enfin, dans la playlist séries – de vos proches, amis, collègues, qui pourraient bien tous et toutes vous remercier. La série de l’année s’est invitée en France dans les dernières semaines de 2024, même si l’Espagne a eu la primeur de sa diffusion il y a un peu plus d’un an. Le festival de référence Séries Mania, à Lille, l’avait même intégrée à sa sélection en mars dernier, mais c’est bien aujourd’hui qu’on en découvre pleinement l’ampleur et la beauté.
Réalisée par Javier Calvo et Javier Ambrossi, 33 et 40 ans, qui travaillent en couple et se sont fait connaitre avec leur première série ultra queer Veneno, consacrée à l’icône transgenre Cristina Ortiz, La Mesías raconte l’histoire d’enfants brisés par leur famille. Original ? À priori, pas vraiment. Sauf que le ton de ceux que l’Espagne – y compris Pedro Almodóvar, leur idole – appellent “Los Javis”, ainsi que leur façon magistrale de mener le récit, portent les sept épisodes très haut, en territoire inconnu et souvent bouleversant.
Un récit de famille brisée porté brillamment par ses acteurs
Tout commence par le souvenir traumatique d’un homme. Quadragénaire employé dans le cinéma en tant que technicien, Enric voit à la télé le clip devenu viral d’un groupe de jeunes chanteuses catholiques un peu perchées : elle hurlent des louanges à Dieu dans une imagerie kitsch a souhait. On comprend très vite que ces ados sont ses sœurs et que leurs vies n’ont plus rien à voir avec la sienne. Il contacte une autre de ses sœurs, Irene, du même âge que lui, pour lui apprendre que ces vidéos existent. Et s’il fallait essayer de les retrouver ?
Plutôt qu’une simple enquête, La Mesias se déploie sur plusieurs niveaux, entrecroisés comme une symphonie intime. La durée des épisodes – plus d’une heure en moyenne – se justifie par le balancier permanent entre passé et présent que façonne la série. Ici, les personnages ont tous et toutes le droit à plusieurs existences, plusieurs facette d’eux-mêmes, plusieurs états d’âme, plusieurs corps.
Enric, le héros, ne prend pas toute la place, mais ouvre pour les autres la route de la fiction. Nous découvrons qu’enfant, il a grandi avec Irene auprès d’une mère impossible, toxique, qui se comporte avec sa progéniture de façon violente et incestueuse. Puis Monsterrat, c’est son nom, tombe sous la coupe d’un homme issu de l’opus Dei qui lui propose une vie coupée de tout, sectaire : ni elle ni les enfants n’ont le droit de sortir de la maison familiale isolée. Elle changera un jour et nous en seront les témoins.
La Mesías, un drame réaliste teinté d’une pointe de fantaisie pop
Le drame réaliste n’est pas loin, mais les créateurs ajoutent toujours une pointe de fantaisie pop dans le mélodrame, et pas mal de touches fantastiques. C’est aussi ce qui fait le prix de La Mesías : nous sommes devant un objet filmique peu identifié, aux confins des séries les plus exigeantes dans leur narration – on pense à Twin Peaks ou The Leftovers, deux grands récits de terreur et de deuil – mais aussi au cinéma d’auteur le plus engagé formellement. « Los Javis » se promènent tranquillement entre les deux genres, empruntant aux séries leur art du récit délicat et à infusion lente, et au cinéma la capacité de montrer à la fois la matière – la sensation des peaux, le réalisme des corps – et une part d’invisible – l’intériorité des êtres ? –, qui ne peuvent être que suggérées.
Le voyage est assez long, parfois radicalement fun (l’épisode 4, autour de la comédie musicale mythique Singin’ In The Rain) souvent assez dur dans sa façon d’accompagner la douleur des personnages. Mais comme avec toutes les grandes œuvres, on ressort de La Mesias avec le sentiment d’avoir appris un peu mieux à vivre. Ce qui, par les temps qui courent, ne fera de mal à personne.
La Mesías (2023) de Javier Ambrossi et Javier Calvo, disponible sur arte.tv.