10 déc 2024

Les confessions de Béatrice Dalle, icône punk du cinéma français célébrée par MUBI

Aussi punk, entière, humaine et géniale à la vie qu’à l’écran, Béatrice Dalle nous fascine depuis les années 80 et son apparition, volcanique, dans le film culte 37°2 le matin. Alors qu’elle vient de fêter ses 59 ans, la plateforme adulée par les cinéphiles MUBI lui consacre une rétrospective (intitulée Passion Béatrice Dalle) qui regroupe sept de ses meilleurs longs-métrages, de Trouble Every Day à Lux Æterna en passant par Night on Earth. À cette occasion, on a rencontré l’actrice qui s’avère aussi passionnante et vibrante capturée au téléphone qu’immortalisée sur grand écran.

propos recueillis par Violaine Schütz.

PARIS, FRANCE - SEPTEMBER 24: Actress Beatrice Dalle attends the Saint Laurent Womenswear Spring/Summer 2020 show as part of Paris Fashion Week on September 24, 2019 in Paris, France. (Photo by Bertrand Rindoff Petroff/Getty Images)
Béatrice Dalle au défilé Saint Laurent printemps-été 2020, le 24 septembre 2019, à Paris. Photo par Bertrand Rindoff Petroff/Getty Images.

L’interview de Béatrice Dalle, au cœur d’une rétrospective sur MUBI

Numéro : La plateforme MUBI consacre un cycle à votre carrière intitulé Passion Béatrice Dalle. Est-ce la première rétrospective qui vous est dédiée ?

Béatrice Dalle : Je ne sais pas du tout si c’est la première rétrospective qui m’est consacrée. Mais c’est quand même super cool ce qu’ils sont en train de faire MUBI. Je ne vais pas faire la gueule. Et quand ils m’ont parlé du choix des films qu’ils ont fait (17 fois Cécile Cassard, À l’intérieurDomaine, Les Bureaux de Dieu, Lux Æterna, Night on Earth et Trouble Every Day), j’ai trouvé que c’était bien vu. Je suis fière de tous les films que j’ai faits, vu que je les ai toujours faits pour de bonnes raisons ou non pour des raisons économiques ou d’intérêt, quelles qu’elles soient. Mais je suis super contente du choix de Mubi. 

Est-ce que vous revoyez vos films ?

Jamais. Il y a plein de films que j’ai tournés que je n’ai jamais vus. 37°2 le matin repasse souvent à la télévision mais je ne l’ai jamais revu. Je l’ai juste regardé lors de la première projection. Mais comme Jean Genet est mort une semaine après, je me dis que j’aurais mieux fait d’être avec lui ce soir-là plutôt que d’aller faire la belle à une avant-première (rires).

Béatrice Dalle dans 37°2 le matin (1986) © Cargo Films / Constellation.
Béatrice Dalle dans 37°2 le matin (1986) © Cargo Films / Constellation.

J’ai refusé Pulp Fiction de Tarantino parce que je ne parle pas anglais.” Béatrice Dalle

37°2 le matin a été un énorme succès à sa sortie et aujourd’hui encore, les nouvelles générations postent des photos de ce film culte sur leurs réseaux sociaux. Comment expliquez-vous sa postérité ?

Oui c’est fou. Quand je vais dans certains pays comme l’Amérique du Sud, on m’appelle Betty (le prénom de l’héroïne du film, ndlr) et non Béatrice. Et depuis 40 ans, Jean-Hugues (qui est vraiment un mec bien, très humain et un super acteur avec lequel on s’envoie des mots) m’appelle Betty. Je ne sais pas ce qui explique le succès de 37°2 le matin mais j’ai trouvé que ce qui était très touchant dans ce film, l’une de ses grandes forces, c’est d’avoir deux acteurs quasiment inconnus en têtes d’affiches. Même si Jean-Hugues (Anglade) était un peu plus connu que moi, quand même. C’est peut-être pour ça que les gens se sont autant identifiés aux personnages.

Cela a sûrement dû jouer, en effet…

Au départ, ça devait être deux acteurs connus dans les rôles principaux. Anne-Marie Berri, qui travaillait alors pour la boîte de production La Petite Reine, qui devait produire le film, ne voulait pas d’un duo formé par Jean-Hugues et moi, alors que Jean-Jacques Beineix y tenait. Elle disait, devant nous, comme si l’on était invisibles, qu’un film qui coûtait si cher ne pouvait pas reposer sur des inconnus. Sauf que le long-métrage a rapporté, au final, énormément d’argent… Rien ne justifiait de traiter deux mômes inconnus comme des merdes.

Vous avez refusé beaucoup de films dans votre carrière…
Oui, notamment Pulp Fiction de Quentin Tarantino. Mais le truc, c’est que je ne parle pas anglais. Mais j’aurais adoré tourner avec Tarantino…

Béatrice Dalle dans Trouble Every Day (2001).
Béatrice Dalle dans Trouble Every Day (2001).

Aujourd’hui, aucun film de Pasolini ne pourrait être produit. On est choqué par tout.” Béatrice Dalle

Quel est le film que vous préférez de toute votre carrière ?

Trouble Every Day de Claire Denis avec La Passion selon Béatrice de Fabrice Du Welz, qui vient de sortir au cinéma. Parce que j’ai beaucoup de mal, depuis toujours (et de plus en plus) à faire de la fiction, en me transformant en berger ou en docteur. Je sais que c’est la spécialité d’un acteur, mais moi, ça me saoule. C’est pour ça que j’aime tant aimé La Passion selon Béatrice (qui est un docu-fiction, ndlr). C’est un voyage initiatique sur les traces d’un poète (Pasolini) que j’aime infiniment. Ça me plaît bien de rendre hommage aux gens que j’aime et pour qui j’ai tant d’admiration. 

La Passion selon Béatrice, qui vous montre en train de marcher sur les pas de Pasolini en Italie, dresse un portrait du cinéaste mais aussi de vous. Quels sont vos points communs avec lui ?

Ça serait trop prétentieux de faire une comparaison avec lui. Mais j’aime tout ce qu’il était, le cinéaste et le poète incroyable qu’il était tout comme ses engagements politiques évidemment. Ce que je trouve très triste, c’est qu’aujourd’hui, pas un de ses films ne pourrait être produit. On est choqué par tout. Si tu mets un commentaire sur les réseaux sociaux qui ne plaît pas, tu es traité de raciste. Mais fermez vos gueules les réseaux sociaux ! Les réseaux, c’est quand même une réunion de connards qui n’ont rien d’autre à foutre de photographier leur cul ou leurs nichons. Ça pourrait être très intéressant et c’est une fenêtre ouverte sur l’extérieur pour rencontrer des gens. Mais il faut voir les commentaires qui y sont laissés… 

Si je n’aime pas quelqu’un, je ne vais pas aller l’insulter sur son compte Instagram.” Béatrice Dalle

Lisez-vous les commentaires sur les réseaux sociaux ?

Oui, ça m’arrive et j’insulte ceux qui les écrivent. J’en ai rien à foutre. Souvent, on me grille et on me dit : “Tu sais, je suis bloqué. Mais j’ai un droit de réponse, il faut qu’on me laisse m’exprimer.” Très bien. Mais alors moi, si tu m’insultes, je dois fermer ma gueule, par contre. Même pas en rêve. J’insulte tout le monde. Si tu ne m’aimes pas, il n’y a pas de problème, je respecte. Mais moi, si je n’aime pas quelqu’un, je ne vais pas aller l’insulter sur son compte Instagram. Quand je n’aime pas, je ne calcule pas. J’ai envie de répondre à ceux qui laissent des commentaires négatifs : “À la limite, si j’étais une femme politique et que j’avais l’avenir de tes enfants et de ta famille entre les mains, je pourrais comprendre tes remarques désobligeantes. Mais je suis une actrice ! Qu’est-ce que ça change dans ta vie ce que je fais ? Si tu ne m’aimes pas, tu zappes.” Parfois, tu vois des critiques très violentes sur le compte Instagram d’un musicien. Mais il n’a pas commis un crime contre l’humanité. Il a juste sorti un disque qui ne te plaît pas. Ce n’est pas grave. On s’en fout !

Sur les réseaux, vous postez beaucoup de vos influences, à l’instar de vidéos live de Nirvana

Oui, je poste des choses que j’aime, qui m’amusent, des trucs de gamins aussi qui font des conneries aussi parce que ça me fait rigoler. J’ai envie que ce soit léger aussi. Les gens qui te font la guerre ou qui sont politologues d’Instagram, ça me fait rigoler. Ça ne m’empêche pas de poster des choses que je pense aussi. Mais bon, maintenant, je ne suis pas heurtée s’il y a un commentaire avec lequel je ne suis pas d’accord. On n’est pas les mêmes et c’est ça qui est intéressant sur cette planète. Je peux poster un drapeau palestinien, c’est pas pour ça qu’il faut qu’on m’insulte. Qu’on soit juif ou arabe, la vie d’un enfant a la même valeur. Je trouve ça super triste que l’on soit en train de se massacrer de la sorte. 

Béatrice Dalle © Saint Laurent Productions.
Béatrice Dalle dans La Passion selon Béatrice (2024) © Saint Laurent Productions.

Un acteur, un écrivain ou un musicien n’existe pas sans les autres.” Béatrice Dalle

Dans La Passion selon Béatrice, vous avouez que vous aimez beaucoup les hommes morts (Jean Genet, Kurt Cobain, Pasolini). D’où cela vient-il ?

J’ai tendance à tellement sacraliser quelqu’un que j’aime, que ce soit des hommes qui ont été dans ma vie ou ceux pour qui j’ai une grande admiration et qui sont donc aussi dans ma vie d’une autre manière. Mais quand j’ai tourné La Passion selon Béatrice, j’ai rencontré des proches de Pasolini qui m’ont fait découvrir des choses de l’homme. Des choses qui s’éloignent de l’image du Saint Pasolini que j’avais en tête et qui me plaisent moins. Mais on est tous des êtres humains. En présentant le film en projection, je me suis dit : “Mais qui dans la salle peut dire qu’il n’a jamais pêché. Est-ce qu’il y a un mec dans la salle qui n’a pas trompé sa meuf ou son mec et qui n’a pas trahi quelqu’un ?” On est tous des humains. Il y a des trucs pas beaux qui viennent avec ça. Mais moi, je ne trouve pas qu’il faut tout jeter. Je donne souvent l’exemple de Céline, qu’on veut jeter à la poubelle. J’ai lu son texte Bagatelles pour un massacre qui m’a beaucoup choquée. Mais d’un autre côté, c’est un écrivain extraordinaire qui a des fulgurances poétiques incomparables. 

Votre ami Guillaume Depardieu vous appelait “paradoxe mon amour”. Et il est vrai que dans vos films comme dans vos interviews, vous paraissez à la fois tendre, gentille, très humaine mais aussi radicale et punk. En tout cas, vous étiez pile à l’heure pour cette interview, ce qui est très poli…

Écoutez, à la fois, les gens sont extrêmement gentils à mon égard, quand je les croise dans la rue. Il y a plein de gens qui viennent me voir et je trouve ça cool. J’en profite pour passer un message à tous les acteurs ou les musiciens qui ne répondent plus à ça. Allez tous vous faire mettre ! Je suis vulgaire mais c’est parce qu’il ne faut jamais oublier que sans les gens, on n’existe pas. Un acteur, un écrivain ou un musicien n’existe pas sans les autres. Ce n’est pas la reconnaissance du ventre, c’est juste de la reconnaissance. Il faut savoir dire merci. Sans metteur en scène, je ne tourne pas. Si personne ne va voir le film ou que personne n’en parle, celui-ci n’existe pas non plus. Quant à la ponctualité, ce n’est pas la qualité des rois. Je considère que les gens ne sont pas à mon service. Par contre je n’attends pas une minute non plus (rires). À part s’il y a une vraie raison à ce retard et qu’il est arrivé un truc. Sinon, les caprices à deux balles, je n’en fais pas et je ne les accepte pas. 

Béatrice Dalle dans Dix pour Cent © Christophe BRACHET - MONVOISIN PRODUCTIONS / MOTHER PRODUCTIONS /FTV.
Béatrice Dalle dans Dix pour cent © Christophe BRACHET – MONVOISIN PRODUCTIONS / MOTHER PRODUCTIONS /FTV.

Si le réalisateur ou la réalisatrice ne te plaisent pas, ça donnera forcément un film de merde.” Béatrice Dalle

Vous n’avez pas peur des films choc (Trouble Every Day) ou expérimentaux (Lux Æterna, qui a été improvisé). Comment choisissez-vous vos projets ?

C’est toujours le réalisateur qui compte avant tout. Là, je suis en train de tourner un film qui va être dingue, un véritable OVNI, Laurent dans le vent, avec trois jeunes réalisateurs qui n’ont pas fait d’autre long-métrage avant : Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon. Ce sont trois amis très proches, comme une fratrie. On s’est rencontrés, on s’est parlé et leur intellect à tous les trois m’a plu. Après l’histoire m’a plu aussi, tout comme les jeunes acteurs du film. Parce que si le réalisateur ou la réalisatrice ne te plaisent pas, ça donnera forcément un film de merde. On pourrait faire une comparaison avec la peinture. On n’aime pas Van Gogh parce qu’il a peint une chaise en paille ou un pot de fleurs. C’est parce que son âme était tellement extraordinaire que sa peinture nous touche. D’ailleurs, je vous conseille, si vous ne l’avez pas lue, la correspondance du peintre, qui est aussi belle que son œuvre.

J’ai l’impression que vous lisez beaucoup…

Je ne lis pas tellement mais je lis passionnément. Quand je lis une lettre de Van Gogh, je pleure. Au moment où on lui demande pourquoi il épouse une prostituée enceinte jusqu’aux yeux et pauvre et qu’il répond : “Quel homme digne de ce nom ne le ferait pas ?”, je me dis : “Comment tu ne veux pas pleurer devant un pot avec des tournesols dedans ? » Il me fait croire en l’homme. C’est comme croire au Christ. C’est juste un truc magique dans le ciel. C’est facile tout ce qu’il a fait, le Christ. Mais un homme peut te faire croire en tous les autres. Pour en revenir à la lecture, j’adore les correspondances des peintres ou des musiciens. Les lettres de Mozart sont extraordinaires. Il y a des choses tellement amusantes dans sa correspondance.

Claire Denis, director with Beatrice Dalle, star of her film 'Trouble Everyday'. (Photo by Stephane Cardinale/Sygma via Getty Images)
Béatrice Dalle et Claire Denis en 2001. Photo par Stephane Cardinale/Sygma via Getty Images.

Mozart est un vrai punk.” Béatrice Dalle

On ne vous imagine pas forcément fan de Mozart…

Tu as l’impression, en lisant sa correspondance, que Mozart est un vrai punk. Il y a des lettres, écrites à Paris dans lesquelles il réclame à son père de le faire rentrer très, très vite en Autriche car, sans caricaturer sa prose, les filles sont si belles à Paris  qu’il passe son temps à “lever des culs” et qu’il ne travaille pas. C’est aussi l’un des premiers musiciens à avoir composé pour des bals populaires, où les gens dansaient. Avant, il y avait quand même un côté musique sacrée, avec Bach notamment. Il y a aussi plein d’anecdotes incroyables le concernant dans sa correspondance. Par exemple, quand il a écrit La Flûte enchantée, il a composé un passage (La Reine de la nuit) très compliqué à chanter pour une diva italienne dont il était amoureux. Sauf qu’elle s’est mariée avec un autre garçon, un autre musicien dont on n’a jamais entendu parler… Et à mon avis, elle a dû regretter. Mozart a écrit cette partition en sachant qu’elle ne pourrait pas la chanter puis il lui a fait passer une audition et elle n’était pas bonne. Du coup, il l’a humiliée devant tout le monde. Quel punk ! Je l’adore (rires).

Dans la lignée du mouvement #MeToo, beaucoup d’actrices ont dénoncé des comportements déplacés sur des tournages. Est-ce que ça vous est déjà arrivé ?

Honnêtement, ça fait 40 ans que je tourne (j’ai fait presque 100 films), et ça ne jamais ça n’est arrivé. Là, sur que je suis en train de tourner, il m’ont proposé une équipe spéciale parce qu’il y a une scène d’amour. Pour moi, c’est des conneries. Ou alors, il faut le faire dans tous les domaines et métiers parce que, que tu bosses à La Poste, dans une banque ou ailleurs, tu as des prédateurs partout.

Béatrice Dalle au défilé Saint Laurent automne-hiver 2024, le 27 février 2024. Photo par Dominique Maitre/WWD via Getty Images.
Béatrice Dalle au défilé Saint Laurent automne-hiver 2024, le 27 février 2024. Photo par Dominique Maitre/WWD via Getty Images.

Quand j’aime les gens c’est pour toujours.” Béatrice Dalle

Dans la série Dix pour cent, vous parliez d’un réalisateur qui tentait de vous forcer à vous mettre nue dans une scène non prévue… Ce qui vous poussait à quitter le plateau…

Oui, mais ça ne m’est jamais arrivé personnellement. Monica Bellucci parlait d’une fois où était avec un mec, et elle ne savait pas faire du thé. Ça, c’est mon histoire. Je ne ramène pas un mec, mais je suis avec deux potes qui me proposent de faire du café. Et j’ai mis du café dans le lait alors qu’il ne fallait pas. Ce n’est pas grave. Je m’en fous, je vis sans savoir faire de café. Jamais un metteur en scène s’est mal tenu avec moi. Et si quelqu’un s’est mal tenu, la seconde d’après, je lui ai dit : “Qu’est-ce que tu fais ? Je vais te mettre une claque et je ne me montrerai pas sur les marches de Cannes avec toi.”

Claire Denis, Virginie Despentes, Abel Ferrara… Il y a des noms qui reviennent tout au long de votre carrière. Vous semblez très fidèle, en art, comme en amitié…

Oui, quand j’aime les gens c’est pour toujours, que ce soit mes amis ou mes amoureux (parce que l’amitié c’est aussi de l’amour). Et même si l’un de mes proches se conduisait mal, je ne le laisserais pas tomber pour autant. Je lui dirais, bien sûr, car l’amitié, ce n’est pas dire à l’autre tout ce qu’il a envie d’entendre. Mais en tout cas, je serais toujours à ses côtés. 

Tournage de '37,2° le matin' réalisé par Jean-Jacques Beineix en France. (Photo by Bertrand LAFORET/Gamma-Rapho via Getty Images)
Béatrice Dalle en tournage du film 37° 2 le matin réalisé par Jean-Jacques Beineix, en France. Photo par Bertrand LAFORET/Gamma-Rapho via Getty Images.

J’aurais rêvé tourner avec Fassbinder, Bergman ou Pasolini mais ils sont morts.” Béatrice Dalle

On pense aussi à votre rapport avec Anthony Vaccarello et la maison Saint Laurent, dont vous êtes proche depuis des années…

C’est Anthony qui avait voulu me rencontrer, d’abord pour une séance de photo. Il disait qu’il avait envie de travailler avec les gens qui l’ont fait rêver à l’adolescence. C’était un grand honneur et hommage. Et putain, c’est cool quand même, non ? Je vais dans des endroits de paradis avec lui. C’est devenu mon ami, les membres de sa famille sont devenus mes amis. Merci mon Dieu. Comment veux-tu que je me plaigne, sérieux ? J’avais un père qui était un était de la DDASS, qui a été mousse à 13 ans dans la marine, puis commando des forces spéciales. Il a eu une vie de merde, avec l’Indochine et l’Algérie, comme tous les hommes qui ont fait la guerre, d’un côté ou de l’autre. Et jamais je n’ai entendu ce mec se plaindre. Très peu de temps avant qu’il meurt, je lui ai demandé : “Pourquoi tu ne te plains jamais ?” Il m’a juste répondu : “Ça changerait quoi ?.” C’est vrai. Du coup, si moi, en tant qu’actrice, je me plaignais, j’aurais honte par rapport à lui. 

Ce qui est admirable aussi, chez vous, c’est que êtes l’anti nepo baby. Qu’est-ce que vous ressentez, après avoir grandi dans un milieu populaire, à l’idée d’être muse de la maison Saint Laurent ?

Que je crois en Dieu ou pas, je dis “merci mon Dieu” tous les matins. C’est un hommage, un honneur. C’est pour ça que je ne respecte pas les gens qui m’entourent. Je respecte les gens en général, de toute façon. Tout le temps et n’importe qui. Le premier venu qui vient me parler et que je rencontre : mais si tu ne me respectes pas, je nique ta mère (rires). Parce que moi, je suis gentille avec tout le monde, donc je demande le même respect. 

Avec quelle réalisateur ou réalisatrice aimeriez-vous tourner ?

J’aurais rêvé tourner avec Fassbinder, Bergman ou Pasolini mais ils sont morts. Jeanne Moreau a joué dans Querelle, adapté de Jean Genet et réalisé par Fassbinder, et je pense qu’on peut faire un film comme ça et plus rien après, tellement ce long-métrage est immense. C’est mon film préféré de tous les temps avec Le Septième Sceau de Bergman, Théorème de Pasolini et L’Année des treize lunes de Fassbinder. Par rapport à Querelle, je suis née rue de Siam, à Brest, et je suis le 19 décembre comme Genet et j’adore les mêmes garçons que lui. Je pense que si nous avions été amis, on aurait dragué les mêmes garçons (rires). 

Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg dans Lux Aeterna © UFO Distribution.
Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg dans Lux Æterna (2020) © UFO Distribution.

D’ailleurs, dans plusieurs films, on vous voit fréquenter des couples gays, comme dans 17 fois Cécile Cassard de Christophe Honoré

Oui, je me suis rendu compte, d’ailleurs, que même dans ma vie, je suis sorti avec des gars qui étaient, non pas bi, mais vraiment homos. Et j’ai vécu avec eux des histoires extraordinaires. 

Notamment avec l’acteur Rupert Everett…

Complètement. Et c’était magnifique. Quand on parle de virilité, beaucoup pensent à un bûcheron canadien. Je n’ai rien contre les bûcherons canadiens, mais pour moi, la virilité n’est pas que là. L’homme viril, c’est un homme qui assume tout ce qu’il est… Ça fait 35 ans qu’on est séparés avec Rupert et il reste l’un de mes meilleurs amis. Je l’aime d’amour. Le désir, ça s’en va, mais toutes les raisons pour lesquelles j’ai aimé mes mecs restent. Ok, on ne couche plus ensemble, mais je continue à les aimer. 

Quels sont vos projets ?

Après le tournage de Laurent dans le vent, je vais partir en tournée avec le projet Come as you are, dans lequel je lis des textes de Kurt Cobain en musique. On sera notamment au théâtre des Abbesses, à Paris, les 29 et 30 janvier 2025. Venez ! (comme vous êtes, ndlr).

Le cycle Passion Béatrice Dalle est actuellement disponible sur MUBI. La Passion selon Béatrice (2024) de Fabrice Du Welz, avec Béatrice Dalle, actuellement au cinéma.