Rencontre avec Colm Dillane, l’artiste et créateur new-yorkais que le hip hop s’arrache
Numéro a rencontré Colm Dillane, fondateur du label KidSuper qui a séduit Louis Vuitton et les stars, de Dua Lipa à J. Balvin en passant par Bad Bunny ou Neymar. Le label new-yorkais s’étend depuis peu à la musique avec l’antenne KidSuper Records.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Colm Dillane, un artiste devenu créateur de mode
Plus jeune, Colm Dillane vendait des tee-shirts à ses amis dans la cafétéria de son lycée… Un quinzaine d’années plus tard, le jeune homme loquace tout droit sorti d’un film d’Harmony Korine, fait le bonheur des producteurs de podcasts, des cools kids de New York, des footballeurs (de Neymar à Ronaldinho) comme des stars de la musique : Dua Lipa, J. Balvin, Joey Badass ou Bad Bunny…
Tous ont succombé aux propositions multicolores de KidSuper, alias de Colm Dillane, le trentenaire qui a monté son label homonyme au sortir de ses études, insistant pour qu’un certain Mac Miller devienne son égérie. Spécialiste de la mise en scène, son vestiaire mêlant l’univers de Warhol et celui d’un conte pour enfant a surtout tapé dans l’œil de Louis Vuitton qui, en 2023, avait invite le créateur a concevoir sa collection homme automne-hiver 2023-2024, peu après la disparition tragique du directeur artistique de ses collections masculines. Quelques années plus tôt, en 2021, Virgil Abloh en personne avait justement remis à Colm Dillane le trophée Karl Lagerfeld dans le cadre du prix LVMH.
Numéro a rencontré Colm Dillane, l’homme qui lance (enfin) son propre label de musique – KidSuper Records –, et gribouille ses 30 looks dans 30 cases (en 5 par 6) sur une feuille A4 avant chaque défilé.
Interview de Colm Dillane, fondateur de KidSuper
Numéro: Quand vous étiez petit, qu’aperceviez-vous par la fenêtre de votre chambre ?
Colm Dillane : J’ai beaucoup déménagé lorsque j’étais jeune, peut-être une dizaine de fois entre ma naissance et mes douze ans… Mais deux images me restent précisément en tête : l’échelle d’évacuation en cas d’incendie et la cour dans laquelle je jouais au football. Oui, cette cour j’en ai un souvenir très clair. Plus loin, il y avait la ville, les cris et les taxis qui klaxonnaient sans arrêt. Vous savez, j’ai connu New York, le Wisconsin, Chicago, le Mexique… Ça fait tout de même pas mal d’endroits.
Vos collections s’inspirent-elles parfois de ces déménagements incessants ?
J’essaie toujours d’intégrer mes souvenirs dans mes créations. Et les couleurs que j’utilise me rappellent parfois mes déambulations dans New York. Pour ne rien vous cacher, j’ai voulu prendre des cours de dessin lorsque j’avais environ quinze ans. J’ai toujours été bon dans cette discipline sans forcément chercher à intégrer une école d’art. Mais je voulais prendre des cours pour m’améliorer. Malheureusement, je me suis inscrit trop tard et la classe de peinture était déjà complète… Le seul cours auquel je pouvais participer, c’était “ANIMATION”. C’est ainsi que j’ai appris le stop-motion, une technique d’animation qui utilise des objets réels. Aujourd’hui, on retrouve le stop-motion chez KidSuper. Finalement, un cours hasardeux est devenu déterminant dans ma vie professionnelle.
Le disque Balloonerism, surnommé “l’album perdu” du rappeur Mac Miller, sera enfin disponible le 17 janvier 2025. Disparu tragiquement en 2018 à l’âge de 26 ans, il était l’un des premiers artistes a avoir porté vos vêtements. Comment l’aviez-vous rencontré ?
J’avais envoyé des messages à tous ses amis sur Facebook en leur assurant qu’ils allaient adorer mes pièces ! À l’époque, je confectionnais beaucoup de tee-shirts tie-dye et je savais que Mac Miller et son entourage appréciaient ce genre de choses. J’ai donc proposé de leur offrir des vêtements… et ils ont accepté. Ma seule condition, c’était que l’on se rencontre. Nous avions le même âge, j’étais persuadé que le courant allait passer. Et j’ai rencontré Mac et son équipe à New York. Ce type représentait vraiment KidSuper… Moi, je n’étais pas juste une marque. J’étais un gamin, comme lui, qui essayait juste de créer quelque chose. Je pense qu’il s’est beaucoup identifié à ça.
Pouvons-nous parler de votre prochain défilé ou le sujet est-il classé secret défense pour le moment ?
Nous pouvons en parler ! J’essaie de me surpasser à chaque défilé. Je ne vous cache pas qu’il devient de plus en plus difficile de trouver de nouvelles idées. Pour celui-ci, j’essaie de perdre tout le monde au milieu d‘une tempête. J’ai toujours cherché à proposer des shows interactifs pour le public. Pas seulement que les gens regardent le défilé assis sagement. Bon, peut-être que créer une tempête sera trop poussiéreux… je risquerais de salir le public, non ?
Colm Dillane lance son label de musique
Comment est né votre projet KidSuper Records et qu’apporte-t-il, selon vous, à l’industrie musicale ?
J’ai toujours baigné dans la musique, j’avais même installé un studio d’enregistrement dans mon sous-sol, j’y travaillais avec le rappeur Russ ou la chanteuse Lolo Zouaï. Les gens ne comprenaient pas pourquoi nous n’avions toujours pas monté de label. Mais, à l’époque, j’avais peur de ne pas avoir les ressources nécessaires pour faire les choses correctement. Je ne voulais pas signer un artiste sur un label puis qu’il me reproche plus tard de ne pas avoir fait assez pour lui. Des histoires comme celle là, on en entend tous les jours… Lorsque nous avons commencé les défilés de mode, nous produisions nos propres bandes originales et ces défilés ont mis un gros coup de projecteur sur nos compositions. Je pouvais créer de la musique présentée directement à la Fashion Week de Paris…
Une stratégie bien rodée !
Je n’ai jamais vraiment vu cela comme une stratégie marketing. C’était vraiment très naturel. Par exemple, l’histoire du morceau avec Quavo et Giggs a débuté parce que Giggs m’a confié qu’il n’était jamais venu à la Fashion Week de Paris. Pour qu’il puisse la découvrir, je lui ai proposé d’enregistrer un morceau spécialement pour mon prochain défilé. Je lui ai envoyé la production et il a enregistré son couplet. Puis au milieu de l’événement, Quavo a découvert le titre. Il voulait participer lui aussi. Une fois le morceau complet, nous avons tourné un clip inspiré de la série Peaky Blinders…
Quelle est la chose la plus difficile à vivre pour vous dans l’industrie de la mode ?
Ça ne s’arrête jamais. Vous êtes fier de vous parce que vous avez réussi à proposer quelque chose d’incroyable, puis, six mois plus tard, il faut tout recommencer. Il faut même parfois sortir autre chose un mois après ! La créativité rencontre le business et il est compliqué de jongler entre les deux. C’est bien de proposer un défilé incroyable, une campagne géniale ou des collections extraordinaires mais allez-vous vendre vos pièces ? Et comment fixerez-vous les prix ?
Les critiques vous affectent-elles ?
C’est drôle, sur Internet, tout le monde est un critique acerbe. En général, moi, je répondais en DM : “Attendez ! Comment pouvez-vous dire ça de la collection ? Même si vous ne l’aimez pas, pouvez-vous au moins reconnaître l’effort derrière.” Les commentaires négatifs me rendaient fou. Rendez-vous compte, en face de nous, il y avait Dior ou Louis Vuitton. J’avais un budget minuscule et une équipe de trois personnes, mes meilleurs amis d’enfance. Mon entourage me disait donc de me calmer… [Rires.]
À propos de la maison Louis Vuitton, avez-vous immédiatement accepté de prendre la relève de Virgil Abloh après sa disparition?
Alors, je n’ai pas “accepté”, j’ai dû me battre pour obtenir le poste [Rires.] On a parfois l’impression qu’on m’a dit : “Hé, Colm, ça te tente ?” Alors que c’était plutôt : “Écoutez-moi, s’il vous plaît, j’adorerais décrocher ce poste, je vous jure que je suis la personne qu’il vous faut !” J’ai passé beaucoup d’entretiens. Je ne savais pas combien de saisons j’allais rester donc je voulais m’assurer que l’on puisse voir clairement l’influence de KidSuper dans la collection.