Alain Guiraudie raconte Miséricorde, le plus beau film français de l’année
Film troublant glissant de la comédie étrange au polar, sur fond de paysages forestiers nimbés de mystère, Miséricorde, actuellement au cinéma, est assurément l’un des plus beaux longs-métrages français de l’année.
Par Olivier Joyard.
Miséricorde, le septième long-métrage d’Alain Guiraudie
“En général, quand je vois les rushs de ce que j’ai tourné, je trouve ça naze.” Alain Guiraudie nous fait rire, ce n’est pas une petite qualité. Ses films, eux, nous aident à décoller de la terre ferme, à parcourir un monde à la fois cru et profond, à l’image de son chef-d’œuvre sur le sexe et la mort, L’Inconnu du lac. Miséricorde est son septième long-métrage en un peu plus de vingt ans et l’un des plus beaux films français de l’année.
Dans un petit village du Sud-Ouest où il a grandi, un homme revient assister à un enterrement et finit par rester dans le coin, comme aimanté. Suivent un meurtre, un mystère autour d’un curé, et un certain rapport aux corps des autres.
“Le désir est une grosse question chez moi. C’est peut-être pour ça que l’on crée : pour creuser des sillons.”
Alain Guiraudie.
Les obsessions de Guiraudie reviennent en boomerang, au point qu’il décrit son projet comme “l’envie de faire un film érotique sans acte sexuel”. Glissant de la comédie étrange au polar, Miséricorde s’inscrit puissamment dans des paysages forestiers qui révèlent les ambiguïtés des uns et des autres, créant une forme de trouble.
“Et de l’incertitude”, ajoute le cinéaste. “J’essaie d’aller vers une forme de subtilité et de finesse, comme cette phrase de Flaubert que je prends comme une définition du naturalisme : ‘Ce qui me semble le plus haut dans l’art, ce n’est ni de faire rire, ni de faire pleurer, mais d’agir à la façon de la nature, c’est-à-dire de faire rêver.’ Je reste attaché à l’idée qu’il y a du lyrisme dans le quotidien et la nature. Je n’ai pas besoin de gonfler les effets.”
Le style Guiraudie repose sur une précision folle dans les cadres et une liberté pour les spectateurs de s’y insérer, d’observer les recoins sombres et excitants de personnages qui ne cèdent rien sur leur désir, quel que soit leur âge, leur physique, leur orientation sexuelle. Un beau dialogue du film le suggère : “C’est la force du désir. Ne la sous-estimez pas.” Guiraudie assume son importance : “En effet, c’est une grosse question chez moi. C’est peut-être pour ça que l’on crée : pour creuser des sillons.”
Un film qui réunit les obsessions d’Alain Guiraurdie
Dans la fabrique de son œuvre, le natif de l’Aveyron laisse entrer son intimité, en mêlant ses désirs à son amour du cinéma et de la fabrication des mythes. “Le mythe parle à tout le monde en se situant à un autre niveau que le quotidien. Chez moi, cela se manifeste par le brassage entre mes préoccupations d’homme adulte et mes rêves d’enfant. Je suis homo, j’ai été homo à la campagne, ça irradie forcément dans mon travail. En même temps, je lorgne du côté du grand cinéma américain. J’ai beaucoup lu Dostoïevski et Céline, j’ai apprécié les fims d’Almodóvar. Columbo a été hyper important pour moi. J’arrive avec toute cette histoire et une forme de malice, qui aide à déraper un peu.”
À 60 ans, Alain Guiraudie ressent-il l’urgence de réaliser des films après presque trente ans de carrière ? “Dans ma vie, j’ai passé beaucoup de temps à ne rien foutre et à observer. Cela arrive de moins en moins. Sachant que je fais à peu près un film tous les quatre ans, à 60 balais il ne m’en reste pas tant que ça. Je me posais récemment la question des Coupes du monde ou des jeux Olympiques qui me restaient à vivre. C’est cinq ou six, pas vraiment beaucoup. Les films, pour moi, ce sont presque des olympiades. Mais je ne suis pas si pressé.”
Miséricorde (2024) d’Alain Guiraudie avec Félix Kysyl et Catherine Frot, actuellement au cinéma.