Qui est Kai-Isaiah Jamal, mannequin, poète et activiste qui se lance dans la musique ?
Alors qu’iel pose, nu et fier, pour la nouvelle campagne Timberland, Numéro a rencontré l’artiste britannique Kai-Isaiah Jamal, mannequin, poète et activiste qui se lance dans la musique. Une personnalité attachante et engagée que le regretté Virgil Abloh qualifiait de voix de sa génération.
par Violaine Schütz.
Le regretté Virgil Abloh disait de Kai-Isaiah Jamal, premier mannequin noir transgenre à avoir défilé pour Louis Vuitton, qu’i.e.l était la voix de sa génération. Celui qui a grandi dans une famille de classe moyenne, à Londres, est devenu en quelques années un top prisé (il a défilé pour Burberry, Off-White, Mugler, Jean Paul Gaultier ou encore American Sabotage, le label d’A$AP Rocky) et un role model. Multipliant les prises de parole inspirantes mettant en lumière la communauté LGBT+ (en particulier les personnes transgenres) et ses combats, l’artiste âgé d’une vingtaine d’années donne de la visibilité aux êtres marginalisés, quelque soit leur sexe ou leur genre.
Kai-Isaiah Jamal, mannequin, poète, chanteur et égérie Timberland
Connu pour ses poèmes et ses performances de spoken word qui questionnent l’idée que l’on se fait de la masculinité, Kai-Isaiah Jamal pose aujourd’hui fièrement, nu, pour une campagne Timberland. Son seul atour ? L’iconique paire de boots beiges badass adulée par les rappeurs et les artistes gender fluid. Baptisée justement “Iconic”, la campagne en noir et blanc de la marque donne à réfléchir sur cette notion.
Pour Kai-Isaiah Jamal, “être une icône ou être emblématique est lié à la question de ce vous laissez derrière vous lorsque vous n’êtes plus là physiquement, de votre héritage, de ce que vous représentez. Beaucoup d’icônes avec lesquelles j’ai grandi se trouvaient dans une intersection. Je pense au joueur de basket Dennis Rodman, à Busta Rhymes et à Prince, des personnes très masculines qui n’ont pas eu peur d’entrer dans la féminité ou d’être influencés par la féminité, que ce soit dans leurs manières, leur attitude ou leur façon de s’habiller. Ces hommes m’ont également aidé tout au long de ma transition. Ça m’a permis de comprendre comment on peut exister dans la masculinité en dehors de cet espace hyper-masculin et hyper-toxique.”
“Je trouve ça étrange de mettre les gens sur un piédestal parce que je pense que chacun d’entre nous a le potentiel pour être une icône.” Kai-Isaiah Jamal
Autres icônes célébrées par Kai-Isaiah Jamal ? “Des écrivains, comme l’une de mes amies, poète, Jasmine Mans, qui habite à New York. C’est une énorme influence pour moi. Et puis il y a James Baldwin, bell hooks, Malick Sidibé, Jean-Michel Basquiat… Et puis mes amis sont probablement les personnes les plus iconiques que je connaisse. Tout comme des membres de ma famille… Les personnes qui ont été avec vous toute votre vie et qui vous comprennent comme vous ne l’avez jamais fait, sont iconiques. L’empreinte qu’ils laissent est essentielle. Vous êtes un amalgame de toutes les personnes que vous avez rencontrées. Je trouve donc ça étrange de mettre les gens sur un piédestal parce que je pense que chacun d’entre nous a le potentiel pour être une icône. Quelle que soit la manière dont vous laissez votre empreinte, si elle est positive, vous pouvez obtenir ce titre.”
À l’occasion de cette campagne Timberland, iel donnait un concert au Cravan, à Paris, et présentait son nouveau projet musical prometteur : Kissin Teef. À propos de ce pseudo, l’artiste explique : “J’ai pensé à Devonté Hynes et Blood Orange. Je pense qu’il est très important de pouvoir exister dans plusieurs endroits. Et la dualité fait partie de mon quotidien. Que ce soit à cause de mes origines, ou à cause de mon genre. Il s’agit souvent de vivre dans cette zone grise d’un mélange de plusieurs choses. C’est pourquoi je me suis dit : “D’accord, je veux vraiment me présenter sous le nom de Kissin Teef.””
Alors qu’iel prépare un EP, Kai-Isaiah Jamal explique à propos de sa musique : “Ce sera un mélange de spoken word et de rap. Je m’inspire à la fois de la house funky britannique, du grime, de ce que j’ai écouté dans mon adolescence. Et puis, en grandissant, je suis aussi tombé amoureux du jazz, mais aussi du groove, de la soul… Je pense que mes parents sont des gens très musicaux, donc il y avait toujours de la musique à la maison. Cet EP est très centré sur le son UK et c’est une lettre d’amour à mon adolescence.”
“Je pense que la poésie fait partie de ma santé mentale, de ma façon de m’exprimer.” Kai-Isaiah Jamal
En influences, Kai-Isaiah Jamal cite la rappeuse Little Simz et la chanteuse Cleo Sol. “Ces artistes sont sans genre musical. Ils constituent un genre en soi. Je pense que c’est vraiment inspirant pour moi de voir ces artistes ne pas se cantonner à un style, mais créer leur son ou leur genre.”
Le mannequin ajoute : “J’écris mes morceaux comme si j’avais 16 ans, et à ce moment-là, j’ai découvert le rap UK et le grime qui ont nourri mon amour pour la poésie. C’est là que j’ai commencé à comprendre l’importance des mots. Ma musique est intimiste, dépouillée et liée à ce pour quoi les gens me connaissent, à savoir la poésie. Mes chansons font basculer la frontière entre les deux : musique et poésie. J’ai l’impression que musique et poésie s’informent mutuellement.”
Mais si Kai-Isaiah Jamal se concentre de plus en plus sur la musique, iel n’a pas cessé d’écrire de la poésie. “Je pense que la poésie fait partie de ma santé mentale, de ma façon de m’exprimer. Il y a tellement de poésies que j’écris uniquement pour moi-même et qui ne sont pas publiées et donc pas destinées à être lues. Je souhaite travailler à terme sur une anthologie, qui serait une documentation de cinq années de travail. En fait, je ne pourrais jamais abandonner la poésie. Ce ne me semblerait pas juste de l’éliminer de ma vie.”
Et il reste beaucoup de sujets sur lesquels la mannequin aimerait écrire. Iel explique notamment que même s’iel est heureux de voir que la mode s’inspire des personnes queer et les célèbre, et que des personnes comme Alex Consani défile, de nombreux progrès restent à faire sur la représentation. L’artiste aimerait par exemple voir plus de personnes transgenres qui ne font une taille mannequin et qui ont différentes origines. Et qui osent montrer leur corps, nu, sans que cela choque qui que soit. En ce sens, les photos dénudées du mannequin pour Timberland ouvrent la voix…