Arca ensorcèle la Bourse de commerce, entre improvisation magistrale et DJ set de Björk
Invitée par la Bourse de commerce, la chanteuse et productrice Arca y livrait le week-end dernier deux concerts d’improvisation électroacoustique en solo et une soirée de DJ set, avec une participation exceptionnelle de Björk. Une carte blanche mémorable où la Vénézuélienne a su une fois de plus démontrer son génie musical.
Par Matthieu Jacquet.
La carte blanche d’Arca à la Bourse de commerce
Barre de pole dance, balançoire BDSM, taureau mécanique de rodéo ou encore voiture renversée… Difficile de prévoir ce que réserve une prestation de la musicienne vénézuélienne Arca, alias Alejandra Ghersi, connue pour repousser les limites de l’expérience musicale – et scénique. C’est donc sans savoir à quoi s’attendre que l’on découvrait, les 1er et 2 mars derniers, son projet inédit The Light Comes in the Name of the Voice à la Bourse de commerce. Au programme, deux soirées d’improvisation électroacoustique au sein de l’impressionnante rotonde du bâtiment parisien, hôte des expositions de la Collection Pinault. Mais pour ce week-end de carte blanche donnée à la chanteuse et productrice, ni accessoires ni mise en scène théâtrale ne viendront charger l’espace : seule une scène circulaire où se trouvent piano à queue, bouquet de fleurs et machines électroniques. Pendant près d’une heure et demie, elle nous embarquera dans un soliloque vocal et sonore étonnant, entre expérience spirituelle et performance d’art contemporain. L’événement permettra d’ailleurs de découvrir son travail méconnu de peintre, avec une sélection de toiles peuplées de visages grimaçants.
Un retour attendu à Paris dix ans après ses débuts
Il faut dire que la présence d’Arca à Paris est un événement. Il y a dix ans encore, la Vénézuélienne se produisait sur la petite scène du Point Éphémère dans un contexte intimiste, seule, derrière ses platines. Sept albums plus tard — dont quatre issus de la même série Kick, parus en 2022 –, l’artiste est devenue une véritable icône autant qu’une référence dans l’industrie musicale : collaborations avec Kanye West, FKA twigs, et surtout Björk sur deux albums entiers, remix pour Lady Gaga, mais aussi, plus récemment, DJ set en ouverture du concert de Beyoncé, ou de Madonna… Malgré ce succès notable et grandissant, le public français n’a eu presque aucune d’occasions de la voir sur scène. L’annonce inattendue de cette carte blanche à la Bourse de commerce a donc fait l’effet d’une bombe : lors de leur mise en vente, les quelques centaines de billets disponibles pour ces deux soirées d’improvisation, suivies d’une soirée de DJ sets le dimanche soir avec, entre autres, Björk et Arca aux platines, se sont écoulés en quelques minutes. Le succès de l’événement en atteste : nombre souhaitent découvrir le nouveau projet de cet électron libre de la musique qui, entre ses premiers EP fiévreux en 2012 et ses mixtapes étourdissantes, obéit à ses propres règles.
L’improvisation envoûtante d’Arca dans la rotonde
Car ce week-end, celles et ceux qui s’attendaient à danser sur les morceaux de ses derniers albums seront désarçonnés. Dès la première dizaine de minutes, le ton est donné lorsqu’Arca descend lentement les escaliers du bâtiment au son de sa voix a capella, avant de rejoindre son arène encerclée par le public. Debout derrière ses machines, assise devant son piano et clavecin, ou même accroupie le nez dans les fleurs, l’artiste quasiment nue, la poitrine couverte de cache-tétons à paillettes, alterne entre les instruments et micros au gré de ses envies, à l’image d’une enfant dans un magasin de jouets réjouie par les possibilités offertes par les objets à disposition. Comptant sur la complicité des régisseurs tapis dans l’ombre, elle s’amuse avec les lumières et les projections dans l’espace – les notes jouées au piano se reflètent parfois par des lignes sinueuses sur les murs, tandis que les sons électro par des lignes frénétiques aux airs d’électrocardiogramme –, ainsi qu’avec la caméra qui la filme, pilotée par un bras mécanique. Lorsqu’elle souhaite faire résonner des beats profonds au cœur du bâtiment, qui démontre à cette occasion ses grandes qualités acoustiques, Arca étire les bras dans les airs de façon dramatique, baignée de lumière, invoquant le son telle une magicienne.
Imprévisible, habitée et espiègle, la chanteuse ne cesse de surprendre et de captiver l’attention du public, jouant avec sa frustration lorsqu’elle interrompt brutalement un nouveau mouvement dans sa prestation, voire irritant parfois, lorsque d’autres s’étirent dans la durée. Mais l’émotion revient lorsqu’elle reprend le micro pour y faire résonner ses râles, ou s’envoler son chant. En 2017, son album Arca l’avait bien prouvé : la force de l’artiste réside dans cette rencontre incongrue mais savamment maîtrisée entre les sons bruts et organiques de sa voix de haute-contre avec la martialité, parfois agressive, de ses compositions électroniques, entrecoupées de moments plus lyriques. Dont résulte aujourd’hui une musique hybride et baroque, aux confins de la pop et de la musique expérimentale.
Vers vingt-trois heures samedi soir, lorsque l’on vient l’avertir que seules quelques minutes lui restent, la panique se lit dans les yeux de l’atiste emportée par sa prestation. Alors, Arca empoigne son généreux bouquet de fleurs et les jette dans le public. Les vingtaines de minutes qui suivront formeront sans doute l’apogée de ce spectacle, où elle démontrera l’éventail de sa palette : seulement quelques secondes après avoir fait résonner ses cris dans la rotonde, les touches aiguës du piano et du clavecin – dont elle se révèle joueuse hors pair – et sa voix susurrée termineront en douceur ce concert intimiste, laissant le public décontenancé, et envoûté. Postée derrière l’un des balcons, Björk observe sa grande amie et collaboratrice avec admiration. Le lendemain, l’Islandaise lui rendra hommage lors d’un set enflammé, formant une belle conclusion à ce week-end mémorable.