Man Ray en cinq œuvres surprenantes en vente chez Christie’s
La maison de ventes aux enchères Christie’s Paris organise mardi prochain une vente exceptionnelle et historique consacrée à Man Ray. Au programme, photographies, objets, lithographies, mais aussi notes et lettres personnelles de l’artiste surréaliste issus de la collection privée d’Edmonde et Lucien Treillard, qui fut son assistant de jusqu’à sa mort. Particulièrement nombreux, variés et parfois insolites, les 188 lots de la vente exposés du 25 février au 2 mars dévoilent la richesse de son œuvre joueuse mais aussi intime et poétique. Tour d’horizon de cette sélection exceptionnelle en cinq lots phares.
Par Jordane de Faÿ.
Figure centrale du mouvement surréaliste et Dada, Man Ray est de ces artistes dont la perception même du monde est une oeuvre. Sa doctrine “tout est possible à partir de rien”, qui se lit volontiers comme une philosophie de vie, reflète bien l’état d’esprit avec lequel le photographe et plasticien appréhendait la création artistique. De ses premières expérimentations dans les années 1910 à la fin de sa vie en 1976, son œuvre est continuellement empreint d’un sens du jeu, de l’humour, de la surprise, de l’inattendu, mais aussi du personnel et de l’intime. C’est toute cette richesse que Christie’s Paris met à l’honneur avec la vente aux enchères “Man Ray et les surréalistes, Collection Lucien et Edmonde Treillard”, composée de non moins de 188 lots tous signés de l’artiste, estimés dans leur ensemble à 2,5 millions d’euros. Assistant de Man Ray jusqu’à sa mort, Lucien Treillard a hérité sa collection de ses années de travail et d’amitié avec l’artiste et l’a continuellement enrichie de nouvelles acquisitions jusqu’à son propre décès. Ses nombreuses pièces ont ceci d’exceptionnel qu’elles retracent l’esprit et le processus de création artistiques de l’artiste, mais aussi ses amitiés avec son assistant ainsi que les membres du groupe des surréalistes. Focus sur cinq de ces lots les plus étonnants.
1. L’objet à détruire : un métronome original
Assistant de Man Ray à partir de 1960 et jusqu’à la mort de l’artiste, Lucien Treillard travaille en étroite collaboration avec lui : sa femme Edmonde raconte qu’il lui arrivait de passer des journées à parcourir tout Paris à la recherche de tel ou tel exact pigment de bleu, ou encore de vieux métronomes à la coque précisément noire et laquée… dont l’un est mis en vente et estimé entre 25 000 et 35 000€. Fixée sur le balancier, une photo circulaire pend de droite à gauche suivant le rythme régulier de ses battements : on y découvre un œil, imprimé sur du papier optique, qui paraît cligner malicieusement à chaque nouvelle mesure.
2. Dali et Gala : portrait d’un couple iconique du monde de l’art
Composée d’objets, d’assemblages, de photographies, de lithographies mais aussi de lettres, de petites notes et de cadeaux, la collection mise en vente par Christie’s est aussi le récit visuel de l’histoire d’une rencontre entre deux hommes, ainsi que plus globalement, celle d’une époque qui ne finit pas d’inspirer. Le Paris surréaliste des années 1910 et 1920 est synonyme d’un temps où fusent les idées et les esprits, et c’est en ce temps là que se forment certains des plus importants couples et amitiés de l’histoire de l’art. Figure pivot du mouvement, Man Ray photographie avec le regard d’un ami ou d’un amant ces visages qui apparaissent sur les tirages noirs et blancs comme sous leur plus beau jour. On y trouve par exemple un beau portrait de Giacometti au regard frontal et intense, un portrait d’artistes surréalistes avec un chat, ainsi qu’un portrait à la fois tendre et surréel du couple formé par Salvador et Gala Dalí qui se tient debout, curieusement accompagné d’une main de mannequin trônant entre leurs deux visages.
3. Les trois pêchés : les pêches éternelles
Lucien Treillard produit pour Man Ray des lithographies, procède au tirage de négatifs photographiques, mais aussi au “tirage” d’objets fantasques inventés par l’artiste. Ce dernier lui donne à chaque fois ce qu’il nomme le “bon à tirer”, c’est à dire l’objet final devant servir de prototype à la fabrication d’une série limitée – de 3 à une centaine d’exemplaires selon l’objet. En usant d’un vocabulaire propre à la photographie, Man Ray transpose ainsi le processus de création photographique à la création plastique et démontre par là sa volonté de démocratiser l’art et l’œuvre. Parmi ces objets d’une valeur aussi décorative que comique, on trouve notamment une boîte en bois à vitrine de verre intitulée Les trois pêchés (20 000 – 30 000€), à l’intérieur de laquelle trois fausses pêches jouissent d’une peau éternellement douce.
4. Les doigts d’amour de Main Ray : le rayogramme, appropriation d’une technique
Grand bricoleur au service de l’art, Man Ray n’a eu de cesse de subvertir et d’expérimenter à partir de rien grâce aux possibilités offertes par la matière première et la technique, en particulier celles de la photographie. Man Ray redécouvre la technique du photogramme, qui consiste à poser des objets sur du papier photosensible à la lumière sans l’intermédiaire d’un appareil photo, qu’il se réapproprie et rebaptise “rayogramme”. L’un de ses très poétiques rayogramme (50 000 – 70 000€), portant pour titre le jeu de mots “Les doigts d’amour de Main Ray”, montre la main blanche ouverte de l’artiste surexposée contre le fond noir du papier photo, sur laquelle il a écrit “la ligne, la couleur, la forme, l’espace, l’air”… comme pour coucher sur le papier les lignes directrices de son membre créateur.
5 – La primauté de la matière sur la pensée : quand le test devient œuvre d’art
Les longues heures passées par Man Ray dans la chambre noire le conduisent par ailleurs à maîtriser parfaitement le procédé de solarisation du papier photo, qui permet une surexposition ou inversement une sous-exposition de certaines parties de l’image, au point de l’utiliser sur les négatifs mêmes. Parmi les tirages de photographies solarisées mis aux enchères par Christie’s, on trouve notamment celui d’une jeune femme allongée, la main droite sur le sein droit. Dessiné directement dessus par Man Ray au feutre rouge, un rectangle encadrant le modèle prouve que ce tirage était en fait une épreuve dont le but était précisément de définir le cadrage voulu par le photographe pour le tirage final. Mais c’est aujourd’hui cela qui en fait la valeur : plus qu’un pré-tirage, cette image est avant tout une révélation du processus créatif, du choix artistique et de l’œil de Man Ray.
« Man Ray et les surréalistes, Collection Lucien et Edmonde Treillard » à Christie’s Paris. Exposition ouverte au public gratuitement du 25 février au 2 mars 2021, de 10h à 18h – sauf le 2 mars (jour de la vente, fermeture à 12h) et le dimanche 28 février (fermeture).