World Press Photo : quelle sera la meilleure photographie de l’année 2020 ?
Grande référence dans le domaine du photo journalisme, la World Press Photo vient d’annoncer les photographes et travaux nommés pour son concours annuel, et notamment pour le prix de la Photo de l’année. Pandémie, urgence climatique, luttes contre le racisme… L’actualité dense – et dramatique – de 2020 se reflète dans cette sélection saisissante dont les résultats seront connus le 15 avril.
Par Alice Pouhier.
Washington, juin 2020. Anaïs, 26 ans, regarde au loin, le menton relevé : sa posture digne et solennelle indique qu’elle ne changera pas d’avis. À sa gauche, un homme d’une cinquantaine d’années l’interpelle, semblant vouloir lui faire entendre raison. Derrière eux se dresse, sévère, la statue qui fait l’objet de leur désaccord : le Mémorial de l’Émancipation, statue à l’effigie du président Lincoln, tenant la proclamation d’émancipation d’une main, et de l’autre, désignant du doigt un homme noir agenouillé auprès de lui. Depuis la résurgence du mouvement Black Lives Matter, le monument crée la polémique, perçu par les militants anti-racistes comme ne rendant pas justice au rôle qu’ont eu les Afro-Américains dans leur propre libération. Puissant et équivoque, le cliché d’Evelyn Hockstein se fait le symbole fort du conflit interracial qui perdure encore aujourd’hui aux États-Unis, soulevant la problématique du devoir de mémoire vis-à-vis d’évènements historiques majeurs comme l’abolition de l’esclavage, dans un pays qui en panse encore les blessures.
Reflet des débats houleux sur le racisme et les violences policières réveillés en mai dernier par l’assassinat de George Floyd, cette image fait partie des six clichés en lice pour l’obtention du titre de la meilleure photographie journalistique de l’année, choisie par le jury indépendant de la World Press Photo. Depuis 1955, l’organisation non lucrative est notamment connue pour son concours annuel, qui sacre les meilleurs travaux photojournalistiques produits chaque année, avec pour objectif principal d’encourager la transmission de l’information et la photographie de presse : ces clichés et séries thématiques étant répartis dans diverses catégories – portrait, sport, environnement –, la plus prestigieuse étant celle de la Photo de l’année. Le 10 mars dernier, l’organisation indépendante dévoilait les nouveaux nommés de ses prix, une sélection hors du commun témoignant d’une année sans précédent. Marqués par la pandémie de Covid-19 et la crise sanitaire, mais aussi par la lutte pour la justice sociale, les catastrophes naturelles et les conflits territoriaux, les photographies et projets choisis par le jury de la World Press Photo ont plus que jamais vocation à graver dans le temps le souvenir d’une période très tourmentée. Pour son édition 2021, la World Press Photo annonce aussi une catégorie “Digital Storytelling », qui regroupe neuf court-métrages documentaires réalisés par des journalistes venus de sept pays.
Si la lutte anti-raciste est particulièrement représentée par le travail d’Evelyn Hockstein, la défense des droits des personnes transgenres y est de son côté illustrée par le photographe russe Oleg Ponomarev, à travers son cliché intitulé “The Transition : Ignat”. Bercé d’une lumière douce, celui-ci nous plonge dans l’intimité d’un couple juvénile où le jeune Ignat, adolescent transgenre harcelé à l’école, fixe l’objectif d’un regard indéchiffrable, enlacé par sa petite amie. Grande absente d’une année marquée par l’évitement du contact physique, la tendresse est aussi sublimée par le cliché saisissant de Mads Nissen, photojournaliste basé à Copenhague, lui aussi intégré à la prestigieuse sélection. On y découvre une infirmière qui étreint Rosa Luisa Lunardi, 85 ans, qui n’avait pas serré un être humain contre elle depuis plusieurs mois ; dans un océan de plastique et de matériaux étanches, les deux femmes semblent enveloppées par les ailes d’un ange… Une image tout aussi forte que les cinq autres photographies nommées, entre lesquelles le jury tranchera le 15 avril prochain.