Tilda Swinton, hystérique et suicidaire, pour Almodóvar
Dans “La Voix humaine”, dernière réalisation de Pedro Almodóvar présentée hors-compétition à Venise en septembre dernier, Tilda Swinton embrase l’écran. Librement adapté d’une pièce de Jean Cocteau (1930), le court-métrage sort aujourd’hui en DVD et VOD.
Par Chloé Sarraméa.
Écrite en 1929 par Jean Cocteau, La Voix humaine a traversé les âges, et n’a pas pris une ride. L’année qui suit son écriture, elle est aussitôt mise en scène à la Comédie-Française, avec, pour incarner le rôle principal d’une femme qui tente désespérément de joindre son ex-amant au téléphone, l’actrice belge Berthe Bovy. Viendront ensuite pléthore d’adaptations : au théâtre bien sûr, via un enregistrement audio – par Simone Signoret, en 1964, qui a récité le texte dans sa propre chambre et qui, bouleversée, a d’abord refusé d’écouter le rendu avant d’accepter sa publication sur un disque –, à la télévision (en 1966 et 1990) et sur grand écran, par Roberto Rossellini en 1948 et Pedro Almodóvar, à plusieurs reprises. La première en 1987, dans La Loi du désir, histoire machiavélique d’un triangle amoureux où le réalisateur clôturait son scénario avec l’extrait final de la pièce de Jean Cocteau. La deuxième en 1988, dans Femmes au bord de la crise de nerfs, une adaptation libre. Et aujourd’hui dans le court-métrage La Voix humaine, troisième relecture de la pièce.
Avec cette réinterprétation, le cinéaste espagnol le plus célèbre au monde reste très littéral tout en prenant certaines libertés. À l’origine contrainte de rendre à l’homme qu’elle aime les lettres qu’ils se sont écrit, l’héroïne, chez Almodóvar, fait face aux mêmes mésaventures mais transposées version 2021, où la correspondance devient un ensemble de bagages Chanel et les conversations téléphoniques passent par le branchement d’écouteurs sans fil. Interprétée par Tilda Swinton – une actrice dont on est forcé de reconnaître le caractère intemporel –, la malheureuse du film, au lieu de s’apitoyer sur son sort, décide dès la première scène d’aller acheter une hache dans une quincaillerie. Une fois rentrée chez elle, elle s’adonne à un rituel ordinaire : se démaquiller, s’occuper du chien, changer de tenue et en préparer une autre, un costume d’homme, scrupuleusement posé sur un lit. Son appartement, lui, n’est en rien banal. La femme vit dans un décor de cinéma, lequel a été placé dans un hangar immense et sombre. Et si, à l’image de l’appartement, l’amant au bout du fil était lui aussi inventé de toutes pièces ?
Sans nous apporter de réponse, La Voix humaine prend peu à peu des airs d’épopée vengeresse… et puis non. Déterminée, l’amoureuse taillade les vêtements de son ex-compagnon avant de se laisser tomber dans le lit, amorphe, et de tenter de se suicider. Si la pièce originale mettait en scène une femme sur le point de mourir de chagrin, l’adaptation de Pedro Almodóvar, bien plus moderne, met en scène une femme certes anéantie mais décidant, coute que coute, d’aller de l’avant… Ère post-#MeToo oblige, parvenir à se tuer n’est donc pas vraiment l’objectif. Il s’agit plutôt, après des au revoir tumultueux, de parvenir à sortir d’une relation de quatre ans par la grande porte, la tête haute, en total look Dries Van Noten automne-hiver 2020.
La Voix humaine (2020) de Pedro Almodóvar, avec Tilda Swinton. Disponible en DVD et VOD dès aujourd’hui.