5 œuvres géantes et engagées qui envahissent le désert de Coachella
Cela fait plus de vingt ans que “Coachella” rime avec son immense festival annuel attirant jusqu’à 500 000 personnes par an et les artistes les plus célèbres à l’international. Pourtant, ce nom est avant tout celui d’une vallée située dans le désert californien, caractérisée par ses paysages arides et rocailleux. Cette année, pendant que le festival annule finalement sa prochaine édition et que de nombreux musées gardent porte close aux États-Unis, Desert X présente ce printemps sa troisième édition dans cette région américaine. Depuis sa création en 2017, cette manifestation biennale propose à des artistes contemporains de réaliser et exposer des œuvres monumentales dans des paysages désertiques. Cette année, ils sont 13, d’Alicja Kwade à Judy Chicago en passant par Oscar Murillo, à montrer leurs projets jusqu’au 16 mai prochain : focus sur cinq de leurs propositions les plus étonnantes et engagées.
Par Matthieu Jacquet.
1. Zahrah Alghamdi : un monument à la mémoire des terres
À la mi-novembre 2020, le désert de l’Utah accueillait un mystérieux monolithe en métal réfléchissant, disparu avant qu’il soit révélé être l’œuvre d’un collectif d’artistes et de publicitaires californien. Quelques mois plus tard, le monolithe installé par Zahrah Alghamdi dans la vallée de Coachella ne possède pas grand chose en commun avec son homologue : contre la froideur métallisée de ses couleurs et sa surface lisse, l’artiste saoudienne propose quant à elle un empilement de strates de matière dont les couleurs chaudes et telluriques résonnent avec celles du paysage environnant. Dans cette sculpture aux airs de monument, la plasticienne fusionne l’esthétique architecturale de son propre pays, l’Arabie Saoudite, avec cette partie de l’ouest des Etats-Unis dont les paysages arides et rocailleux l’ont inspirée : pour ce faire, elle mélange et agrège dans cette pièce des terres, cuirs, ciments, pierres et argile mais aussi de l’eau et des teintures provenant de ces deux régions. Témoin de ce rapport viscéral entre la main et la matière, l’œuvre connecte deux territoires séparés par 13000 kilomètres en sédimentant une mémoire matérielle encore très vivante, mais aussi une histoire géologique étendue bien au-delà de nos existences humaines.
2. Alicja Kwade : un trompe-l’œil d’une précision mathématique
Au printemps 2019, un étonnant système solaire s’installait sur le toit du célèbre Metropolitan Museum à New York : sur une structure en acier orthogonale semblaient y flotter neuf sphères imitant les planètes, réalisées chacune dans un marbre extrait d’une région du monde. Deux ans plus tard, son auteure, l’artiste Alicja Kwade, troque cette fois-ci la skyline des gratte-ciels de Manhattan pour les montagnes arides de la Californie, où elle érige une œuvre dans la même veine que la précédente : cinq grands cadres en métal noir s’y imbriquent pour maintenir, cette fois-ci, des fragments de marbre blancs semblables à des morceaux de glaciers. L’Allemande, qui s’est illustrée par ses œuvres d’une précision extrême au millimètre près et son esthétique épurée, y déploie un nouveau trompe-l’œil où les multiples points de vue, les ombres et les lumières perturbent la perception de l’œuvre et de l’espace selon un principe mathématique. Invité à la traverser comme à la contourner, à l’expérimenter de près comme de loin, le spectateur se trouve alors désarçonné par son instabilité délibérée, appuyée par l’immensité de son environnement.
3. Xaviera Simmons : des panneaux publicitaires engagés
Avec ses innombrables et interminables routes traversant monts et vallées sans aucune habitation à la ronde, le territoire américain a particulièrement développé un support de communication adapté à ses paysages : les panneaux publicitaires érigés le long des voies, s’avèrant très efficaces pour attirer l’attention des routiers. Ce médium n’a pas manqué de séduire Xaviera Simmons, qui a préféré l’exploiter plutôt que fabriquer une sculpture aux airs de monument. Connue pour sa pratique pluridisciplinaire s’étendant de la performance à la photographie en passant par la vidéo, cette Afro-Américaine de quarante-sept ans a disposé sur la Gene Autry Trail plusieurs panneaux comportant, recto-verso, des messages engagés écrits en gras tels que “Rupture your guilt amnesia” (“Cessez d’oublier votre culpabilité”) ou “California once tried to ban Black people” (“La Californie a jadis tenté d’exclure les Noirs”), accompagnés d’images d’illustration. Tantôt informatives, tantôt injonctives mais définitivement politiques, ces phrases aux airs de slogans incitent aussi bien à commémorer le rôle des populations noires dans l’histoire des États-Unis et à ne jamais oublier les traumatismes liés à leur esclavage qu’à envisager une redistribution radicale des ressources économiques.
4. Nicholas Galanin : un nouveau “Hollywood” écrit en lettres capitales
Paris a sa tour Eiffel, New York son Empire State Building, Londres son Big Ben et Los Angeles, son immense panneau Hollywood. Érigées sur le mont Lee dans les années 1920, ces lettres capitales en acier surplombent depuis l’immense métropole californienne et signalent la localisation de son célèbre quartier, berceau du cinéma américain et de ses plus grands studios. Mais l’histoire de ce panneau est aussi celle d’une conquête européenne des terres américaines, largement et internationalement diffusée à travers des films défendant une vision idéalisée – et surtout exclusivement blanche – des États-Unis comme pays de la liberté. Artiste amérindien d’origines Tlingit et Unanga, Nicholas Galanin s’inspire du célèbre panneau hollywoodien connu du monde entier pour ériger dans le désert son propre édifice, “INDIAN LAND”. Baptisée Never Forget (“N’oublie jamais”), l’œuvre est à la fois un hommage aux populations indigènes et un appel directement lancé aux propriétaires de terres américaines, afin que ceux-ci les cèdent aux communautés autochtones locales. Son message très clair ne peut donc être dissocié d’une invitation à l’action concrète.
5. Eduardo Sarabia : un labyrinthe de tapis
Si Eduardo Sarabia est né et a longtemps vécu à Los Angeles, son regard et sa pratique sont le plus souvent tournés vers son pays d’origine où il est désormais retourné s’installer : le Mexique. Soucieux de défendre la culture et le folklore de cet État d’Amérique centrale, mais aussi ses savoir-faire et ses apports aux États-Unis par le biais de ses populations immigrées – encore très souvent discriminées –, le quadragénaire n’hésite pas à y puiser les matières et techniques locales mais aussi sujets de ses créations. Sur le sable de la vallée de Coachella, il érige un labyrinthe triangulaire dont les parois maintenues par des bâtons sont faites de petates, des tapis jaunes tissés à la main en forme de chevrons à partir de fibres de palmier. En faisant de cette tradition mexicaine le cœur de sa sculpture, le plasticien matérialise un écho certain au mur qu’avait commencé à faire construire le président Donald Trump le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, tout en illustrant de manière plus métaphorique le dédale rencontré par les immigrés du pays lors de leur installation sur le territoire américain.
Desert X 21, jusqu’au 16 mai 2021 dans la vallée de Coachella, États-Unis.