La Tate réécrit l’histoire de l’art britannique à travers des regards queer
Depuis quelques jours, le musée de la Tate à Londres propose sur son site internet une promenade virtuelle parmi une dizaine d’œuvres issues de ses collections britanniques. Le mois dernier, des personnes issus de la communauté LGBTQ+ ont été invitées à soumettre des œuvres accompagnées d’un regard tantôt savant, tantôt plus personnel, en faveur de l’écriture d’une nouvelle histoire de l’art…
Par Jordane de Faÿ.
Si l’art contemporain consacre ouvertement et de plus en plus fréquemment les œuvres d’artistes LGBTQ+, les (re)lectures queer et féministes d’une histoire de l’art façonnée pendant des siècles par des regards masculins et hétérosexuels, restent plus rares et souvent cantonnées au sein de la recherche universitaire. C’est avec enthousiasme que se découvre ainsi la nouvelle proposition virtuelle de la Tate sur son site internet. À l’occasion du LGBTQ+ History Month en février dernier, le musée londonien a invité artistes, curateurs, acteurs culturels, réalisateurs mais également ses employés issus de cette communauté, ainsi que les jeunes britanniques en passe d’explorer leur genre et leurs identités sexuelles qui le souhaitaient, à choisir parmi les riches collections du musée certaines œuvres et d’en livrer une interprétation personnelle. Toutes les personnes intéressées ont ainsi pu, au fil des dernières semaines, parcourir en ligne les œuvres détenues par la Tate Britain et la Tate Modern pour en extraire celle(s) d’un artiste britannique de leur choix en mettant en relief ce qui les y aura interpelés. La diversité – en âge, en sexe, en profession, en classe sociale… – des voix invitées à poser librement leur regard sur ces œuvres permet ainsi de créer un tour d’horizon de l’histoire de l’art britannique aussi riche en enseignements que touchant, grâce à plusieurs anecdotes personnelles.
Au nombre de dix-sept en tout, les œuvres retenues par l’équipe de la Tate puis désormais présentées sur une page dédiée ont été en effet choisies pour de multiples raisons. Certaines parlent de désir, d’amour, d’appartenance, d’autres ont été réalisées par des artistes LGBTQ+, d’autres encore se font l’écho d’histoires personnelles et de l’impact réconfortant ou éclairant d’une œuvre sur un individu. Ainsi, la sculpture du XIXe siècle An Athlete wrestling with a python de Lord Frederic Leighton, représentant le corps fort et parfaitement musclé d’un homme se battant avec un python, est lue par l’étudiant-chercheur en art Andrew Cummings comme un corps encore idéal et idéalisé pour les hommes gay d’aujourd’hui. Le tableau Nude Girl réalisé par Gwen John, la peintre galloise jadis amante d’Auguste Rodin, est quant à lui lui analysé comme la magnifique représentation d’un corps féminin par un regard féminin, soit un female gaze prenant le contre-pied du male gaze posé sur tant de femmes en peinture. Une toile de David Hockney intitulée Man in Shower in Beverly Hills (1964) évoque à son spectateur des souvenirs de sa vie privée et l’amènent à réfléchir au regard à la fois tendre et voyeuriste posé par le peintre sur son personnage dénudé… Les interprétations délivrées par les participants au projet sont tour à tour courtes et longues, particulièrement savantes ou plus émotives, tristes ou enthousiastes, voire attendrissantes. Ensemble, elles permettent avant tout de montrer qu’autant de lectures d’une œuvre sont possibles que d’yeux pour la regarder.
“A Queer walk through British art”, à découvrir sur le site de la Tate.