À la Mostra de Venise, plongée hypnotique dans la Wisteria Lane polonaise
Une mère au foyer alcoolique, une veuve qui a transformé les cendres de son mari en engrais, un ado surdoué en chimie devenu fabriquant de pilules pour ses voisins… Non sans rappeler la série culte “Desperate Housewives”, “Never Gonna Snow Again” (“Śniegu już nigdy nie będzie”, en polonais) dresse le portrait parfois cruel, parfois tendre, de riches habitants d’une banlieue chic polonaise. Le film concourt pour le Lion d’or à la 77e Mostra de Venise.
Par Chloé Sarraméa.
La scène fait sourires les francophones. Installée face à son piano à queue, cigarette au bec, une mère fait répéter son fils pour le spectacle de fin d’année. Il doit chanter Vois sur ton chemin, la chanson culte des Choristes (2004), mais bute sur chaque mot. Bien qu’inscrit dans une école française, le gamin ne maîtrise pas la langue. Sa mère non plus, ce qui ne l’empêche pas de perdre patience : hors de question de perdre la face le soir de la représentation, tous les parents du quartier seront présents. Voilà ce dont il est question dans Never Gonna Snow Again, de voisinage. Ou plutôt d’un écosystème fait d’individus riches, autocentrés et malheureux, mais pour qui faire bonne figure prévaut sur tout le reste.
Le film s’ouvre sur le visage de Zhenia (Alec Utgoff), un masseur qui se balade constamment avec sa table en bandoulière. Né tout près de Chernobyl – le même jour que la catastrophe, mais sept ans auparavant –, cet homme très envoûtant – malgré qu’il soit un peu bouffi et dégarni – ne se contente pas de manipuler le dos de ses patients. Il les hypnotise, afin d’effacer toutes leurs angoisses. C’est donc lui, qui, chaque jour, se rend dans cette banlieue chic polonaise, sonne à chaque porte et passe des heures à écouter les états d’âme des nantis. Lui ne possède rien : il vit dans un HLM – d’ailleurs, très peu de scènes sont consacrées à son intimité – quasiment vide, mange des boîtes de conserve et, hormis dans le cadre de son travail, n’a d’échanges (très brefs) qu’avec le gardien du lotissement. Zhenia n’a pas non plus de famille : des flashbacks hallucinés – où la caméra entre dans une vieille photo ou dans un rêve – montrent sa mère, sans doute morte ou disparue. À la question souvent posée par ses clients « as-tu une petite amie ?”, l’Ukrainien répond toujours par la négative. Il n’a pas le temps.
La bourgeoisie en disgrâce
Son temps, le masseur le consacre entièrement à ses “patients”. Si l’une est alcoolique, dépressive et trompée par son mari – Zhenia est d’ailleurs le seul au courant –, l’autre est veuve, fume des pétards et a transformé les cendres de son mari en engrais. Son fils, lui, est surdoué en chimie et fabrique des pilules pour un voisin, lequel s’en sert pour tuer les trois bouledogues de la blonde botoxée du pavillon d’en face… Bref, à chaque maison son lot de péripéties, toujours portraiturées avec un humour amer plutôt efficace.
Réalisé par Małgorzata Szumowska et Michał Englert (directeur de la photographie de l’inclassable Congrès d’Ari Folman), Never Gonna Snow Again est un film complexe. Il critique une classe sociale et plus généralement, un pays, voire un continent, l’Europe. Vainqueure de l’Ours d’argent en 2018 pour Twarz – un film sur l’emprise de l’Eglise catholique en Pologne – la moitié du tandem de cinéastes, Małgorzata Szumowska, semble habituée aux avertissements sur l’état de nos sociétés. Avec ce film, elle entend rappeler aux spectateurs un fait grave : en 2050, il ne neigera plus sur terre – d’où titre du film, Never Gonna Snow Again.
Souhaitant mettre en scène un microcosme où les malheurs de chacun semblent importer bien plus que la destruction progressive de la nature, et dénoncer de fait, l’inaction collective, les réalisateurs s’éloignent néanmoins de leur propos. Sans vouloir faire un film de genre, mais en introduisant quand même des élements fantastiques – lors des scènes d’hypnose où les patients émigrent vers une matrice dans la forêt –, en essayant d’être satiriques, cruels mais tout aussi sympathiques avec les personnages ou en imaginant des tableaux de danse surréalistes, beaux mais superflus… le duo de Polonais signe un film exigeant mais peut-être trop “auteur”, c’est-à-dire moralisateur, presque soporifique, donc hypnotique.
Never Gonna Snow Again (2020) de Małgorzata Szumowska et Michał Englert. En compétiton à la 77e Mostra de Venise.