Poésie et rock psyché : le voyage sensoriel de Rallye
Sur son premier EP, le groupe français Rallye nous invite à le suivre pour vivre un Age d’or aux teintes édéniques, baigné de rock psychédélique.
Par Delphine Roche.
Leurs morceaux sont souvent inclus dans les playlists de French indie pop. Pourtant, le projet de Rallye donne bien plus à entendre, et à rêver, que ne le laisse supposer cette étiquette fourre-tout. Comme un cheval de Troie, les mélodies agréables et entêtantes permettent au groupe de faire passer en douce, comme des contrebandiers, toute la richesse des contrées musicales qu’ils explorent, du rock psyché 60s au shoegaze des 90s – ces groupes adeptes de la distorsion extrême des sons, qui passaient du coup leurs concerts les yeux rivés au sol sur leurs pédales d’effets, d’où le nom de shoegaze, regard dans les chaussures. Dans un paysage musical francophone dominé par le rap, et par la pop façon Clara Luciani ou Angèle, le premier EP de Rallye étonne, détonne, et mérite qu’on s’y attarde. D’abord parce qu’il ne “vend” pas un son ou un style, mais assume avec sincérité d’inviter l’auditeur à suivre le groupe dans un voyage sensoriel et poétique.
L’osmose n’est pas quelque chose qui se feint… celle qui s’entend sur L’Age d’or est bien réelle. Amis d’enfance, Stan, Léo, Greg et Bapt ont aujourd’hui autour de 26 ou 27 ans, et ils affichent déjà, à leur compteur, une bonne dizaine d’années de répétitions dans les caves de l’un ou de l’autre. Entre-temps, ils se sont spécialisés, chacun de son côté, dans un domaine ou l’autre des métiers de l’image, du graphisme 3D à l’image de film. Ce qui explique probablement leur conception syncrétique de la musique, où les visions (de la nature ou carrément de l’univers) nourrissent les sons, et vice-versa. Sur la pochette de L’Age d’or, Stan, Léo, Greg et Bapt posent au milieu d’une image de branches et lianes dont les volutes rappellent autant le psychédélisme des 60s que les expérimentations de l’Art Nouveau. Dans le clip de Easy Rider, récemment dévoilé, le réalisateur Kevin Elamrani-Lince les a suivis dans un road trip de plusieurs jours. Ce qui donne ces scènes surréalistes où les rockeurs jouent de leurs instruments – guitare, basse, synthé, micro – en pleine nature, sans une prise électrique à l’horizon.
Après s’être fait remarquer par le label dénicheur de talents Kitsuné, qui inclut en 2018 leur premier morceau, Vagues à l’âme, sur une de leurs compilations, l’idée de créer un premier EP est lancée quand le groupe signe avec PIAS ( Abd Al Malik, Baxter Dury, Pony Pony Run Run, Radio Elvis, Mogwai…). Pierre angulaire de L’Age d’or, Théorème contraste des sonorités d’orgue planantes et oniriques, et des paroles pop évoquant une amourette avortée. “L’amour sous toutes ses formes, même les plus douloureuses”, fait partie des inspirations des membres de Rallye. Ce romantisme irrigue une vision du monde portée comme un véritable manifeste. “Notre musique est indissociable de notre philosophie, explique Stan. Comme nous nous connaissons bien, composer est devenu avec les années un dialogue perpétuel. On sait où l’autre veut aller, et c’est grâce à cette relation intense qu’on peut se soutenir les uns les autres dans des phases d’expérimentation, de recherche, pour éviter de tomber dans des automatismes. On passe beaucoup de temps ensemble, isolés, pour créer quelque chose qui nous étonne à la fin.”
Au fil de leur amitié, les quatre garçons ont construit ensemble un univers large et en permanente réinvention, une utopie nourrie de fraternité, de plaisirs simples, de contacts avec la nature. Dans leur bulle autarcique, ils peuvent par exemple retravailler un morceau pendant deux ans (Théorème). Ou encore, revoir radicalement leur copie et repartir presque à zéro (Univers) : “Cette chanson est née d’une démo sans paroles sur laquelle on tournait en rond, et on a finalement gardé qu’une toute petite partie, une sorte de sample, qu’on a développé pour devenir Univers. On s’intéressait au shoegaze à ce moment-là et on a eu envie de faire un morceau très 90’s, très basique : une rythmique droite, une ligne d’accords minimaliste, un refrain sans paroles. On voulait faire un truc vraiment planant avec beaucoup de place pour la musique, pour l’introspection. On a beaucoup saturé les sons dans ce morceau, et avec les accords super sentimentaux, ça créé une espèce de mélancolie du chaos qui nous intéresse beaucoup.”
Si bien que, loin de toute redite, les cinq titres de L’Age d’or ont chacun leur propre sonorité, leur propre identité. “Il y a toutes ces sonorités différentes que nous aimons, et que nous voulons injecter dans notre musique, poursuit Stan. Nous avons envie de les remettre au goût du jour, d’apporter une pierre aux édifices de ces mouvements musicaux passés, et de les faire passer pour de la pop française.” Son ami et frère d’armes Léo lui répond : «Le concept de la musique populaire, pour nous c’est un peu ça, chacun y trouve quelque chose. La French indie pop n’est pas nécessairement imitée à des chansons légères avec un joli refrain et un synthé. Tout le reste, c’est notre liberté, la zone où on peut chercher.” Assumant des paroles en français pour une mise à nu plus sincère et risquée, Rallye ouvre avec sa musique un espace où l’intime devient le projet d’un monde. Comme la nature, dont la moindre plante renvoie au vertige du grand tout. Attentif aux nuances infimes des sons, des visions et des sensations, le jeune groupe français nous embarque avec son premier EP dans une odyssée magique et régénératrice.
L’Age d’or [PIAS], de Rallye.