Fendi invite un pionnier de l’art digital à métamorphoser son Palazzo romain
Fendi a fait appel à l’artiste et pionnier de la projection vidéo László Bordos pour métamorphoser l’impressionnant Palazzo della Civiltà Italiana, siège de la maison à Rome.
Par Thibaut Wychowanok.
László Bordos l’assure, s’il a accepté de projeter ses animations 3D pour la première fois en Italie, c’est parce que ce serait sur le Palazzo della Civiltà Italiana. L’artiste hongrois est l’un des pionniers de la projection vidéo 3D apparue au milieu des années 2000. La technique, qui crée de véritables trompe-l’œil par des jeux de lumières et d’images, reconfigure totalement les bâtiments. Les mouvements cinétiques ou psychédéliques agitent alors l’architecture, entre vides et pleins, ombres et lumières.
Pourquoi le Palazzo della Civiltà Italiana ? “Parce qu’il fait partie de la liste très restreinte des architectures qui m’inspirent et où je rêve de réaliser mes projections, comme la Tour Eiffel ou le Walt Disney Concert Hall de Frank Gehry à Los Angeles”, confie László Bordos. Le Palazzo qui surplombe Rome est un monument emblématique de l’architecture fasciste de type néoclassique. Ce Colisée carré, construit en 1938 et 1940 pour l’exposition universelle prévue en 1942, a été laissé à l’abandon pendant des décennies. Ce n’est qu’en 2015 que la maison Fendi décide de rénover le vaste cube blanc de tuf calcaire, d’y installer ses bureaux et, surtout, d’offrir une nouvelle histoire et des perspectives plus heureuses à l’un des rares bijoux modernes de la capitale italienne.
C’est que Fendi a multiplié ces dernières années les initiatives valorisant le patrimoine de Rome (restauration des fontaines dont la célèbre Fontaine de Trevi, partenariat avec la Villa Borghese) ou créant des ponts avec la création contemporaine. On se souvient encore de la belle exposition de Giuseppe Penone au Palazzo en 2017 et de la sculpture monumentale offerte par l'artiste à la ville la même année. Place aujourd’hui aux projections artistiques de László Bordos.
Numéro : Qu’avez-vous projeté sur le Palazzo della Civiltà Italiana samedi dernier ?
László Bordos : S'élevant sur 6 niveaux, chacun composé de 9 arches, le Palazzo se présente plutôt comme une architecture solide et massive. Mais les projections que j’ai mises en place donnent au contraire l’illusion qu'il est porté par la lumière. Son immatérialité et sa fragilité deviennent les fondations d’une structure lourde qui se transforme peu à peu en bâtiment de lumière alors que celle-ci s’infiltre dans toutes les arches. Pendant que je mettais en place le projet pendant la nuit, baigné par les rayons de lune, je me serais cru au milieu d’une peinture de Giorgio De Chirico. La structure du Palazzo forme des séquences répétitives qui laissent à penser qu’elle pourrait se développer bien au-delà de ce que l’on voit. L’infini est une notion avec laquelle j’ai voulu jouer, aussi métaphysique que poétique en ce lieu.
Vous avez étudié la peinture à l’Académie de Budapest. Comment en êtes-vous venu à utiliser la technologie du mapping 3D ?
Lorsque j’ai entamé mes études en 1997, Internet et les ordinateurs personnels étaient en train de conquérir le monde. J’ai eu le sentiment que la peinture n’était peut-être plus le médium le plus adéquat pour capter l’attention de la société, en rendre compte et dialoguer avec elle. Un ami sculpteur m’a présenté au même moment un logiciel de création 3D. En quelques coups de souris, il avait fait naître devant moi une sphère. Ce fut une révélation. Je ne m’intéressais pas aux créations 3D en tant qu’effets spéciaux, comme dans les films hollywodiens. Mon approche était plus plasticienne. Ce sont les relations qu’elles rendaient possibles entre lumière et ombre et les effets engendrés sur notre perception qui me passionnaient.
Qu’espérez-vous susciter chez les spectateurs ?
Le rôle d’un artiste est d’aider le public à regarder autrement le monde qui l’entoure. À l’aide de ces nouvelles technologies, le spectateur se trouve face à des jeux de lumières et d’ombres auxquels il n’est pas habitué et qu’il n’a pas les moyens d’interpréter immédiatement. Le mapping 3D et les projections l’obligent à entrer dans une réflexion visuelle nouvelle.
Avez-vous été influencé par d’autres artistes qui ont pu utiliser la lumière comme James Turrell, Dan Flavin ou Olafur Eliasson ?
J’ai appris l’animation 3D de manière totalement autodidacte. Mes projets se sont d’abord centrés sur des créations géométriques abstraites. Ma première projection a eu lieu à la fin de l’année 2000 et mes premiers tests sur des architectures, en 2005. Ce n’est que par la suite que mes lectures m’ont porté vers le light art et plus spécifiquement les artistes hongrois LászlóMoholy-Nagy et György Kepes.
Quels liens faites-vous entre Moholy-Nagy, qui fut un grand artiste du Bauhaus puis le fondateur de la School of Design de Chicago, et votre travail ?
Moholy était persuadé que viendrait un temps où la lumière ne serait pas seulement illustrée par les artistes – représentée dans la peinture, par exemple – mais où elle deviendrait un outil à leur service pour moduler l’espace. Dès 1930, Moholy crée la première installation de lumière, le Light-Space Modulator. Quant à Kepes, il a fondé en 1968 le Center for Advanced Visual Studies au MIT. Il offrait déjà aux artistes la possibilité de se confronter aux ordinateurs et d’étudier de quelles manières ils pouvaient se transformer en outils artistiques entre leurs mains. C’est, je crois, ce que nous réalisons aujourd’hui.