Salomé Chatriot’s organic art blurs the lines between the real and the digital world
Chaque saison, Numéro art propose avec la maison Gucci un aperçu des jeunes talents de la scène artistique française. Aujourd’hui, focus sur l’artiste Salomé Chatriot avec ses créations hybrides et organiques mêlant modélisation 3D, animation, sculpture et installation pour composer un monde aux frontières du réel et du virtuel.
Ne l’appelez pas “artiste digitale” mais plutôt “alchimiste de l’art”. Entre manipulation électronique, code informatique, sculpture, performance ou encore modélisation 3D, Salomé Chatriot est une véritable “touche-à-tout”. Fascinée par l’art numérique et le design interactif, la jeune Française s’est plongée dès l’adolescence dans les méandres de leurs techniques, guidée par son désir ardent de les comprendre pour mieux se les approprier. Après de nombreuses nuits blanches et de longues soirées passées dans les locaux de l’ÉCAL, l’école d’arts visuels de Lausanne où elle étudie, elle met au point l’une de ses premières créations majeures, une installation interactive activée au contact de son pouls, qui provoque une réaction en chaîne et finit par souffler des bulles de savon. Selon elle, l’œuvre synthétise l’essence de sa pratique : le rapport essentiel au corps humain, la place de la respiration, l’intervention de la technologie pour générer un processus, et l’intégration d’images virtuelles où s’incarnent quelques bribes de créatures.
Car ce sont bien sirènes, fées et autres figures fantastiques anthropomorphes qui peuplent l’imaginaire de l’artiste. L’un de ses projets s’appelle d’ailleurs Harlequin, en hommage au personnage de la commedia dell’arte : de son célèbre costume bariolé à losanges résulte une peau numérique rapiécée, base de compositions abstraites. Dominés par les teintes beiges et violacées de la chair, habités par des volumes courbes dont la texture rappelle la viscosité des boyaux, les paysages modélisés en 3D par Salomé Chatriot composent d’étranges labyrinthes charnels où l’on discerne parfois un fragment de sein, une main ou une vulve. Leurs formes deviennent alors des “organes” qu’elle remanie à l’envi, selon ses mots : “Je trouve ça incroyable d’épuiser un même sujet, de sucer sa moelle épinière pour qu’il me donne encore de nouveaux résultats.” Pour réaliser des œuvres uniques et inimitables, l’artiste va jusqu’à créer elle-même ses propres matières virtuelles, palettes de couleurs et effets de relief.
Lisses, complexes et parfois lourdes, les machines et la technologie peuvent toutefois doter les œuvres d’un hermétisme repoussant. Salomé Chatriot le sait bien. Soucieuse de contrecarrer la froideur du mécanique, du numérique et du préfabriqué, l’artiste enrobe ses créations de la douceur formelle du vivant. La vingtenaire rappelle tantôt la texture de l’épiderme en coulant ses sculptures dans la résine, tantôt la dilatation du cœur au moyen de volumes gonflables en non-tissé Tyvek. Récemment, l’artiste s’est également prise de passion pour la galalithe, un plastique naturel blanchâtre à base de lait dont la solidification nécessite parfois des semaines : loin d’être choisi par hasard, ce liquide originel (et maternel) porte avec lui les nombreux mythes qui ont édifié sa cosmologie, et donnent désormais aux œuvres de la jeune femme toute leur puissance d’incarnation.
Pendant le premier confinement, alors que la planète entière se concentre sur son souffle, Salomé Chatriot l’enregistre lors d’une nouvelle performance qu’elle met en œuvre en s’allongeant sur un arbre tombé sur le sol. Son rythme respiratoire lui inspire un diptyque de vidéos 3D, volumes mouvants évoquant aussi bien les poumons que les spirales des coquillages, et qui lui valent de remporter le prix Siemens. “Je pense que toutes mes pièces ont en commun un changement d’état : du liquide au solide, du solide au gazeux, du numérique au physique”, explique l’artiste, qui se décrit par ailleurs comme étant le “Dr Frankenstein de l’art”. Un docteur capable de fusionner le corps, la machine et la nature pour accoucher d’entités hybrides dessinant les contours d’une future ère de l’art où créations matérielles et virtuelles cohabitent et échangent avec harmonie.