Underground, irrévérence et prix LVMH, Eckhaus Latta en cinq faits marquants
Finalistes du prix LVMH 2018, Zoe Latta et Mike Eckhaus ont surtout marqué les esprits avec leur campagne printemps-été 2017 montrant des couples en train de faire l'amour. Entre New-York et Los Angeles où ils ont ouvert une galerie-concept store, le duo issu de l'underground et proche du monde de l'art contemporain s'impose petit à petit comme un des labels les plus intéressants du moment.
Alors que le streetwear de luxe règne en maître sur la mode, un collectif new-yorkais fondé en 2012 par deux diplômés de la Rhode Island School of Design, lui sculpteur, elle designer textile, est en train de prendre d’assaut l’industrie en contournant les règles établies, et, surtout, en flirtant ouvertement avec le monde de l’art. Avec ses collections intellectuelles, ses gammes de prix larges, ses castings hétéroclites, ses collaborations avec des institutions et ses campagnes chocs, Eckhaus Latta se place dans la lignée des labels qui explorent une mode résolument statutaire. De son exposition au Moma PS1 à sa nomination en tant que finaliste du prix LVMH 2018, en passant par sa campagne hautement sexuelle du printemps-été 2018, retour sur cinq faits marquant qui sont en train d’ériger le duo underground Eckhaus Latta en label incontournable.
De l’underground au prix LVMH
À l’instar d’un Shayne Oliver avec son label Hood by Air, Zoe Latta et Mike Eckhaus défendent une mode avant-gardiste et sexy. Moins agressifs et radicaux qu’Oliver, mais tout aussi queer, irrévérencieux et gender-fluid, le duo propose des collections qui revisitent le vestiaire contemporain à coups de références artistiques, de jeux de coupe et de matières sexy. “Nous préférons voir nos clients choisir nos vêtements pour appuyer leur personnalité plutôt que de se laisser définir par eux”, expliquaient-ils au Vogue UK. Rejetant toute approche que l'on pourrait juger “commerciale” – qui ferait par exemple appel à des stars ou blogueurs – les fondateurs du jeune label se sont entourés d’un réseau d’artistes contemporains, galeristes et célébrités issus d’une scène alternative : Kim Gordon, Matthew Lutz-Kinoy, Kelela ou Collier Schorr. Ainsi débarrassé des contraintes imposées par une industrie toujours plus avide de nouveautés, de buzzs et de célébrités, Eckhaus Latta peut se concentrer sur un enjeu souvent évoqué mais rarement bien traité, à savoir, rapprocher les mondes de la mode et de l’art. “Nous aimons la zone grise entre la mode et l’art”, confiait d’ailleurs Mike Eckhaus à Business of Fashion. Si leur présence au prix LVMH s’oppose quelque peu à leur vision iconoclaste, rien d’étonnant à ce qu’ils aient tapé dans l’œil du jury, notamment composé des créateurs Humberto Leon et Carol Lim (pour lesquels Mike Eckhaus a travaillé chez Opening Ceremony).
"Il semblait impossible d’aller plus loin dans la provocation. C’est désormais chose faite avec la campagne printemps-été 2017 d’Eckhaus Latta”
La campagne printemps-été 2017: le sexe fait vendre
Après l’imagerie porno chic qui frappa de plein fouet l’industrie de la mode au début des années 2000 et que l’on pourrait résumer à la célèbre campagne Gucci imaginée par Tom Ford, Carine Roitfeld et le photographe tombé en disgrâce Mario Testino, il semblait impossible d’aller plus loin dans la provocation. C’est désormais chose faite avec la campagne printemps-été 2017 d’Eckhaus Latta, photographiée par la Germano-Coréenne Heji Shin. Une lumière crue, un décor intimiste, des couples (hétérosexuels et homosexuels) authentiquement en train de faire l’amour, pour une campagne qui a atteint le sommet de l’irrévérence. “Ce projet est né d’un travail qu’Heji avait réalisé quelque temps auparavant en Allemagne, sur un thème lié à la santé publique. Les photos, initialement, visaient l’éducation sexuelle et montraient de ce fait toutes sortes de couples en train de faire l’amour. Avec Heji, nous trouvions très beau de décaler ce travail”, a expliqué Zoe Latta à Numéro. En effet, si cette campagne fait évidemment parler du label new-yorkais, celle-ci traduisait davantage un désir de revenir à l'authenticité et à l’émotion plutôt que de choquer (à l’inverse porno chic), comme l’expliquait Mike Eckhaus au magazine W.
Anonymes, transexuel et femme enceinte : des castings surprenants
Trop minces, trop stéréotypées, trop blanches… récemment, la diversité sur les podiums s'impose en sujet récurrent, voire polémique. S'emparant pleinement du débat, le collectif new-yorkais, détonne à chaque Fashion Week en faisant défiler des mannequins au physique très varié qui d’ailleurs, pour certains, n’en sont pas. Diversité de sexe, d’âge, de taille et de genre, les podiums des défilés Eckhaus Latta se font le reflet de son entourage direct : métissé, mélangé, hétéroclite. “Nous avons toujours fait porter nos vêtements par des amis ou par des gens que nous trouvions très beaux. Des gens qui semblent avoir confiance en eux et dont émane une beauté particulière. D’une certaine façon, j’imagine que cela peut casser les codes traditionnels de la beauté,” expliquait dans une interview récente Zoe Latta à Numéro. Ainsi, aux côtés des mannequins professionnels, hommes et femmes, choisis pour incarner son label, on retrouve la photographe de 55 ans Collier Schorr, la chanteuse afro-américaine Kelela, l’artiste Juliana Huxtable ou le mannequin transgenre Hari Nef. Le moment le plus mémorable fut certainement, lors du défilé printemps-été 2018, celui où l’artiste Maia Ruth Lee défila, enceinte de 8 mois, dans une robe-cardigan parme, boutons ouverts sur son ventre rond.
L'exode de la fashion de New York printemps-été 2018 comme tremplin
Pendant plusieurs années, la fashion week de New York a inauguré le marathon de présentation des collections avec des labels aussi créatifs que cool, et l’énergie qui émanait de cette première semaine de électrisait l’ensemble de la saison. Pourtant, en 2017 (pour la présentation des collections printemps-été 2018), plusieurs marques emblématiques ont quitté New York pour Paris (Lacoste, Rodarte, Altuzarra, Thom Browne, Proenza Schouler, Tommy Hilfiger), entraînant un appauvrissement créatif de la scène new-yorkaise, et ce, malgré le retour d'autres labels (Tom Ford, Fenty x Puma). Mais ce chamboulement eut aussi pour conséquence de donner plus de visibilité – notamment internationale – à certains acteurs moins connus, comme Eckaus Latta. En effet si le jeune label avait déjà marqué les esprits avec son exposition “Greater” au Moma PS1 en 2016 et sa campagne ultra sexuelle pour la saison printemps-été 2017, son défilé printemps-été 2018, lui donna réellement l’occasion de briller. Au sein d’un hangar industriel reconverti en espace artistique collaboratif, Zoe Latta et Mike Eckhaus ont présenté une collection gender-fluid et sensuelle, faisant la part belle aux matières aériennes, coupes radicales et couleurs pastel.
L’accomplissement avec l’exposition Greater, au Moma PS1
En 2000, le Moma (Museum of Modern Art) acquiert l’ancienne école devenue centre d’exposition d’art contemporain PS1. C'est dans ce bâtiment que se tient l’exposition collective “Greater New York” en octobre 2015. À côté des performances de Vanessa Beecroft, et d'autres noms illustres tels que Ugo Rondinone, Lutz Bacher ou Collier Schorr, Eckhaus Latta y présente des vêtements collés aux murs ou sur des mannequins en plastique, mettant en perspective son travail d’une façon nouvelle : “Il est temps d'assigner un rôle plus puissant aux vêtements au sein de notre travail artistique, de voir plus loin que le défilé”, commentait Zoe Latta à Vogue. Ce qui n'empêche pas le label, faisant d’une pierre deux coups et profitant du prestige du MoMA, de faire défiler la collection automne-hiver 2016 profite du prestige du lieu, situé dans le quartier du Queens. Un lien entre la mode et l’art qu'Eckhaus Latta continue de resserrer notamment avec sa galerie-boutique située à Los Angeles qui expose des œuvres au milieu des collections du label et d'autres labels invités.