15 juil 2021

“Titane” : le film choc de Julia Ducournau percute le Festival de Cannes

Dans une édition de haut niveau, les éclats brillent d’une intensité exceptionnelle. Après Annette et Benedetta, la compétition du Festival de Cannes a pris une claque d’une nouvelle ampleur ce mardi, avec le deuxième long-métrage de la française Julia Ducournau.

“Titane” de Julia Ducournau. Copyright Carole Bethuel.

Cinq ans après avoir essoré/fasciné les spectateurs grâce à l’ado cannibale de Grave, la réalisatrice trentenaire franchit une étape supplémentaire avec un film vibrant rempli de corps déchirés et de machines désirantes, une odyssée brutale et obstinée dans les pas d’une héroïne en mutation. Rien que ça. Titane raconte le destin d’Alexia (Agathe Rousselle), une accidentée de la route qui vit depuis son enfance avec un morceau de ce métal incassable dans la tête. Adulte, elle travaille comme danseuse dans les salons de l’auto, offerte aux regards masculins concupiscents. Armée d’un pic, la jeune femme cache néanmoins une deuxième activité secrète de tueuse en série… On n’en dira pas plus, tant le film se découvre en direct comme une expérience physique, dans sa frontalité et ses visions venues de loin, notamment d’une histoire du cinéma d’auteur flirtant avec le gore (David Cronenberg, John Carpenter, Alien…). Mais l’un de ses miracles tient à son émancipation permanente, sa manière de glisser entre les références qui n’écrasent pas sa matière ultra-personnelle, son exploration de la chair d’une héroïne hors du commun.

 

 

Ici, les dialogues sont rares et tout semble porté par une envie d’explorer les moyens du cinéma comme production illimitée de désir, à travers les couleurs, le mouvement, la musique enveloppante, la peau saisie dans ses palpitations sexuelles et mouillées. Alors qu’Alexia doit contraindre son corps pour échapper à un destin funeste, la cinéaste ne se fixe aucune limite, ce qui fait littéralement plaisir à voir. Elle se permet aussi de transformer le récit en cours de film, quand la parodie guette. A ce moment-là apparait Vincent Lindon, habité comme jamais, dans un rôle paternel au bord de la folie. Titane suit alors ses débordements intimes et ceux d’Alexia, dans une danse poétique et malade où est question d’huile de moteur comme sécrétion naturelle, de la maternité comme devenir-monstre, de familles déconstruites, des hommes en meute, de l’identité en forme de conquête douloureuse mais vitale, finalement d’amour.

Critique des violences du masculin mais aussi des limites du féminin, exploratrice énervée des fractures entre l’expérience de nos corps et leurs possibilités infinies, Julia Ducournau livre un manifeste queer rarissime dans le cinéma français. Le film reste parfois fragile, menacé par ses propres débordements, mais il parvient toujours à rester debout, fier et acharné comme son personnage principal, aux frontières de l’humanité et de la mythologie. L’une des grandes inspirations de Titane se niche sans doute dans le texte féministe fondateur de Donna Haraway paru en 1984, Cyborg Manifesto, où l’on trouve cette phrase impérieuse et urgente : “Je préfère être cyborg que déesse”. C’est aussi ce que pourrait hurler l’héroïne en nous regardant dans les yeux. Et c’est inoubliable.

 

 

Titane. En compétition. Déjà en salles.