Ce qu’il faut savoir sur la nouvelle série “Killing Eve”
Cette série est sans conteste la révélation du printemps. Pleine de férocité et d’humour, elle renouvelle avec brio le genre de l’espionnage en y remplaçant les agents secrets masculins par des héroïnes féminines, aussi brutales qu’imprévisibles.
Par Olivier Joyard.
Le défi de l’amatrice ou de l’amateur de séries est d’abord celui du choix. En quelques années, la production a plus que doublé aux États-Unis. Les heures de sommeil sont devenues précieuses, les déceptions nombreuses, une bonne raison pour tenter de déceler les pépites au milieu de la profusion indistincte. Parfois le nom d’un scénariste sert d’assurance contre le mauvais goût. Si celui de Phoebe Waller-Bridge n’a pas encore de résonance au-delà du Royaume-Uni, où elle habite et travaille la plupart du temps, cette auteure et actrice surdouée devrait rapidement sortir de ce confinement.
Diffusée pour la première fois il y a moins de deux ans, sa comédie amère Fleabag (les déboires d’une trentenaire en plein deuil de sa meilleure amie) avait marqué par son sens de l’effronterie et son humour si grinçant qu’il en devenait tragique. Phoebe Waller-Bridge inventait un personnage dévergondé et émouvant, une jeune femme absolument contemporaine, capable de donner un coup de vieux à ses copines américaines de Girls. Depuis, l’industrie a repéré en elle une néo-star d’un nouveau genre, au point de lui offrir un rôle dans Solo – A Star Wars Story, prochain chapitre de la saga intergalactique dont le Festival de Cannes a obtenu la primeur.
C’est exclusivement en tant que créatricescénariste qu’elle a été sollicitée par BBC America pour écrire la révélation sérielle du printemps, Killing Eve. Comment faire du genre vu, revu et ressassé qu’est la série d’espionnage autre chose qu’une aventure du passé ? Phoebe Waller-Bridge a trouvé la solution en mettant en avant deux personnages féminins, adaptant un livre de Luke Jennings avec le brio et la drôlerie brutale dont elle est capable. Ici, deux femmes s’affrontent. D’un côté, une enquêtrice des services secrets ; de l’autre, une tueuse internationale aux méthodes sanguinaires et efficaces. L’une pourchasse l’autre, mais elles se ressemblent finalement, comme des sœurs qui n’auraient pas tourné de la même manière. Deux femmes tenues par leurs névroses et le désir de s’affirmer, de chaque côté de la loi.
Un monde où les femmes ne sont pas uniquement là pour faire des enfants ni tenir la maison, un monde où elles sont capables de violence et de folie.
“J’aime les femmes normales, donc bizarres, donc sauvages, donc complexes”, a expliqué l’auteure. Sous une carapace assez classique se dessinent des jeux de pouvoir, de séduction et de mort, relevés d’un mauvais esprit qui fait du bien et d’un féminisme inattendu. Dans la première scène du premier épisode, la tueuse échange des regards avec une petite fille trop mignonne, avant de lui renverser sa glace au passage. Une méchanceté gratuite et, il faut le dire, assez irrésistible, que la série épouse sur la longueur sans jamais nous laisser au dehors. À force de détails qui tuent et de petits pas de côté scénaristiques bien sentis, une vision se dégage, un monde où les femmes ne sont pas uniquement là pour faire des enfants ni tenir la maison, un monde où elles sont capables de violence et de folie. Face à Jodie Comer, qui joue la tueuse à gages avec une férocité impressionnante, Sandra Oh, qu’on avait laissée dans un coin de nos mémoires depuis son départ de Grey’s Anatomy, rappelle à quel point elle reste une actrice au-dessus du lot. Mal réveillée, joyeuse, mélancolique, bordélique et déterminée, elle sait à peu près tout faire et Killing Eve lui offre un écrin à la mesure de son talent. La série a déjà a été renouvelée pour une deuxième saison.
Killing Eve, série de Phoebe Waller-Bridge. Sur BBC America. Prochainement en France.