4 sept 2021

“Dune”: le joyau à 165 millions qui a irradié la Mostra

Présenté hors compétition, le blockbuster onirique et spectaculaire de Denis Villeneuve a pulvérisé l’habituelle quiétude de la Mostra de Venise. 

C’était le secret le mieux gardé de la Mostra. Une boîte de Pandore que tous les journalistes, les étudiants, les professionnels du cinéma et, plus généralement, les spectateurs, brûlaient d’envie d’ouvrir, connaissant à l’avance les deux seules issues possibles : l’enivrement ou la déflagration. Car ce joyau à 165 millions de dollars achevé il y a plus de deux ans se fait désirer depuis novembre 2020, à cause de la pandémie de Covid-19. Il était attendu comme le Messie, et pressenti comme le film qui romprait la malédiction s’abattant sur quiconque a essayé d’adapter la saga SF de Frank Herbert – Lynch et Jodorowsky inclus.

 

Plus que la simple projection, hors compétition, d’un long-métrage américain dans un festival de cinéma européen, la sélection de Dune à Venise a scellé l’improbable rencontre entre deux mondes. Le grand spectacle hollywoodien s’est invité, le vendredi 3 septembre, dans l’antre du cinéma d’auteur de l’ancien monde (incarnant le chic à l’italienne depuis 1932). Et cette incursion s’est faite aux forceps. Le blockbuster de Denis Villeneuve a suscité une frénésie totale, entrainant de nombreux bugs sur le site de réservation des places aux projections, une émeute devant le tapis rouge dès que Timothée Chalamet y a posé un orteil et des huées avant le début du film, lorsque les spectateurs ont été sommés de placer leur téléphone sous scellés.

Si certains ont vu la sélection du nouveau bébé de la Warner (et d’autres contenus originaux Netflix) comme une volonté des organisateurs de la Mostra de prouver leur ouverture aux nouvelles formes de production (et c’est sans doute le cas), le résultat, un véritable exercice de style made in Villeneuve, démontre autre chose : la 78e édition du festival souhaite célébrer le grand cinéma. Comme l’avait fait Cannes en 2015 avec Mad Max : Fury Road, Venise a fait l’impasse sur les moyens pour célébrer la fin : un objet hyper-spectaculaire et magistral, une expérience visuelle et sonore hors normes se situant quelque part (et on ne saura jamais vraiment où) entre le blockbuster et le film d’auteur. Aussi cher qu’Interstellar ou Blade Runner 2049 – dernier bijou en date du cinéaste québécois –, Dune réunit des prouesses techniques, des effets spéciaux d’une grande précision et des virages artistiques à 180°. C’est en cela que Denis Villeneuve est un grand cinéaste : même aux commandes d’une franchise, il sait prendre des risques.

 

L’histoire de Dune – l’œuvre de science-fiction la plus vendue au monde – colle parfaitement à l’univers du réalisateur et à son esthétique, qui vaut tous les superlatifs. Il nous a habitués, depuis la sortie d’Arrival en 2016, aux ambiances apocalyptiques, aux somptueux plans de paysages désertés et aux scènes d’horreur sublimées à l’extrême. Un jeune homme, Paul Atréides (Timothée Chalamet), est chassé de son royaume et trouve refuge sur Arrakis, une planète exotique aussi appelée “Dune”. Là-bas, il trouve une “épice” rouge, une ressource naturelle précieuse et hallucinogène. Le prince se lie à une tribu d’autochtones proches des Fremen, des femmes oppressées qu’il ne cesse de voir dans ses rêves. Une guerre entre peuples ennemis est sur le point de commencer… 

La force de ce film, aussi spectaculaire que contemplatif, réside dans sa retenue. Pendant la première heure, Denis Villeneuve n’insère aucune scène de combat et – lorsqu’il y consent enfin – préfère alors braquer sa caméra sur les battements de cils d’un guerrier qui vacille. Idem lorsque la guerre débute. Il multiplie les plans sur des palmiers en flammes et délaisse les séquences de corps à corps. Filmant la Dune comme un territoire où la nature a repris ses droits, plutôt magistrale que menaçante, il exacerbe, avec son adaptation, une des nombreuses dimensions du récit : l’écologie. Paul est fasciné par cette zone terriblement dangereuse, tant les vents et les mouvements du sable rendent impossible toute vie humaine, et ne cesse d’étudier les moyens d’y survivre. Au risque de décevoir les amoureux de blockbusters (au sens classique du terme), la nouvelle coqueluche de la Warner se déleste des codes du genre, imposant son rythme éthéré et sa passion pour l’onirisme. Qu’importe s’ils ne voient pas d’un bon œil la présence anecdotique de Zendaya – son personnage apparaît presque uniquement dans les visions de Paul –, dont on peine à recenser les dix petites répliques. Elle prononce néanmoins la plus importante, “This is only the beginning”, qui annonce la suite d’une saga dont le premier volet, encensé ou détesté, aura pulvérisé l’habituelle quiétude de la Mostra de Venise. 

 

Dune (2015) de Denis Villeneuve, présenté hors compétition à la 78e Mostra de Venise. En salle le 15 septembre.