L’artiste Sterling Ruby présente sa première collection haute couture
A peine deux ans après le premier défilé de son label S.R. Studio LA. CA., l’artiste et créateur américain Sterling Ruby est invité à présenter sa collection dans le prestigieux calendrier haute couture en tant que membre invité. L’occasion d’y pousser encore plus loin son amour pour l’artisanat dans des pièces aux textures et couleurs étonnantes dont les coupes rappellent l’histoire de l’Amérique.
Par Matthieu Jacquet.
Depuis son premier défilé en juin 2019 au Pitti Uomo, Sterling Ruby a fait du chemin. Au fil de ces deux dernières années, son label S.R. Studio LA. CA. a en effet confirmé ses talents de créateur, lui qui avait établi sur deux décennies sa notoriété de plasticien. En ce début d’année, sa participation au calendrier officiel de la haute couture sonne comme une nouvelle consécration : connu pour son approche expérimentale du textile, en peinture et désormais sur vêtements, l’Américain en couverture du Numéro art 5 se voit offert l’opportunité d’amener encore plus loin sa démarche en imaginant des pièces sur mesure et faites à la main. Filmée aux abords d’un cimetière la veille de l’investiture du nouveau président Joe Biden et du départ de Donald Trump, la première collection haute couture du créateur se fait le reflet des quatre dernières années tourmentées pour les États-Unis, entre division sociales, résurgence de conflits raciaux, violences policières, émeutes et crise sanitaire. Pour autant, la collection ne se limite pas à ce contexte morose et se tourne aussi vers l’histoire du pays, remontant jusqu’à l’arrivée des colons en Amérique.
En atteste une vingtaine d’ensembles très amples et couvrants : les costumes se portent oversize, les robes plus ou moins moulantes recouvrent l’intégralité des bras, les mains et s’allongent souvent jusqu’aux chevilles, jusqu’à un modèle rayé froncé à la poitrine qui semble avaler dans le tissu tout le reste du corps. De larges capes à capuchon évoquent les bonnets blancs portés par les pèlerines débarquées sur le continent américain au XVIIe siècle ou plus récemment revêtus par les communautés mennonites, qui avaient déjà inspiré le créateur auparavant. Mais leur longueur et leur rigidité peut également rappeler la collerette immaculée des servantes dans la fiction dystopique La Servante Ecarlate de Margaret Atwood, récemment adaptée en série par Bruce Miller : en dissimulant et en isolant les visages de leur environnement, leur forme devient alors un symbole de mauvaise augure, entre protection et oppression des corps. Inévitablement, la collection s’ancre dans un certain puritanisme formel.
Mais une fois de plus, l’amour de Sterling Ruby pour l’artisanat vient apporter à ces coupes sages une force plastique et expérimentale bienvenue : l’artiste y réitère son application signature de l’acide et autres solutions chimiques afin de tâcher le denim, construit ses vêtements comme des toiles à l’aide du patchwork et joue avec les fils de laine. Tantôt, ces derniers s’agglomèrent sur les pièces pour les maculer de couleurs, tantôt l’Américain les tricote pour former des manteaux touffus qui enveloppent le corps comme des fourrures. Similaires à des étuis à instruments de musique, des sacs de taille variée – dont un modèle tout en longueur à la forme trapézoïde tout à fait étonnante — s’assortissent aux ensembles dont ils reprennent motifs, couleurs et techniques. Déjà illustrée par la pratique artistique de l’Américain qui croise textile et peinture, la valorisation des techniques traditionnelles et manuelles rejoint, d’une manière tout à fait inédite pour son label, le raffinement qui caractérise la haute couture dans des silhouettes variées et finalement très contemporaines.