11 sept 2020

Viol, violences conjugales, prostitution : une trilogie israélienne bouscule le pays

Formant un triptyque saisissant sur la dépendance affective, la séparation, le viol et la prostitution, les trois longs-métrages de l'Israélien Yaron Shani “Chained”, “Beloved” et “Stripped” offrent aussi un regard acerbe sur la société israélienne. D’abord sortis en salle à une semaine d’intervalle début juillet, les deux premiers films sont suivis d’un troisième, ”Stripped”, sélectionné à la Mostra de Venise en 2018 et à découvrir au cinéma dès le 23 septembre.

Regarder la trilogie du cinéaste israélien Yaron Shani sur les rapports homme/femme dans son pays – composée de Chained, Beloved et Stripped –, c’est tenter de reconstituer un puzzle formé de fragments de vies brisées. Ou plutôt essayer de résoudre un Rubik’s Cube à trois faces dont chacune est indépendante, raconte des histoires différentes, mais se révèle pourtant indispensable au dénouement des deux autres. 

 

Deux premiers films sur la rupture

 


Reconstituer la face A, c’est découvrir Chained, un long-métrage sorti en salle le 8 juillet qui suit le parcours de Rashi (Eran Naim) et Avigail (Stav Almagor), un couple qui tente (en vain) de faire un enfant. L’homme est policier à Tel-Aviv, fou amoureux de sa femme mais en proie à des crises de colère, et notamment avec la fille d’Avigail, une adolescente de 13 ans née d’une première union. Sans pathos, Chained met alors en scène le parcours d’un homme profondément aimant, mais rattrapé par des pressions insoutenables. D’abord, celle de son travail, puisqu’il est accusé d’agression sexuelle sur mineur après avoir effectué une fouille au corps. Ensuite, celle de la cellule familiale, puisque sa femme se détache progressivement de lui et que, malheureusement, c’est irrévocable.

 

La face B de cette trilogie, Beloved – sorti en salle le 15  juillet – s’ouvre sur la même scène que le précédent film mais du point de vue de la femme : Avigail est en consultation chez son gynécologue aux côtés de son mari Rashi. Le verdict du médecin est sans appel, le coeur du foetus a cessé de battre. S’en suivent les pleurs, puis le retour à l’EHPAD – où elle est infirmière – et la rencontre avec une femme, Yael, qui vient rendre visite à son père mourant avec sa soeur déséquilibrée et prostituée. À la différence de Chained, qui fait un focus sur le couple, ce deuxième long-métrage s’articule autour d’un autre duo, celui formé par Avigail et Yael. Ainsi, il nous donne les clés de compréhension du premier volet du tryptique : découvrir l’amitié, être entourée d’une femme aimante et, surtout, être écoutée a ouvert les yeux de la mère de famille. Elle n’est pas heureuse avec son mari.

Une trilogie quasi documentaire

 

À l’image de l’excellent M de Yolande Zauberman – sorti en 2018 et récompensé cette année du César du meilleure documentaire – qui dénonçait avec ce qu’il faut de brutalité les viols commis dans les communautés ultra orthodoxes de la banlieue de Tel-Aviv, la trilogie du l’Israélien de 47 ans Yaron Shani bouscule le pays. Dans une démarche quasi documentaire – certains comédiens sont non professionnels, quelques scènes ont été écrites parce que des acteurs les ont vraiments vécues, des visages sont floutés et l’on assiste même à un vrai accouchement – le cinéaste livre au spectateur une vision acerbe de la société dans laquelle il évolue : elle est patriarcale, gangrénée par les agressions sexuelles mais permet néanmoins l’émancipation féminine (même si l’échappatoire réside parfois dans la prostitution).

 


Une dénonciation du viol

 

 

Avec Stripped, face C et ultime chapitre de cette trilogie de l’intime, Yaron Shani pousse le drame à son paroxysme. Après avoir mis en scène une relation toxique faite de dépendance affective dans Chained, dressé un beau tableau de sororité et de quête d'indépendance – certes complexe – féminine dans Beloved, il s'attaque au viol et au service militaire obligatoire dans Stripped. Si aucun personnage ne le relie au premier volet de la trilogie, ce dernier se rattache à Beloved via Alice, désormais personnage principal et apparue dans le précédent film en venant à l'aide à la soeur de Yael, travailleuse du sexe dans un bordel telavivien. Dans ce long-métrage, on découvre l'écrivaine Alice rongée par un mal au début non indentifié. Très vite, on en comprend la cause : elle a été droguée puis violée à son domicile.

 

Dans sa mise en scène, Yaron Shani revient sur les derniers instants qui ont précédé l'agression : il y a quelques semaines, la jeune femme a recontré Ziv, un lycéen qui vit de l'autre côté de la rue. Musicien surdoué, il prévoit d'en faire sa carrière mais est violemment éconduit lors d'une audition. Alice décide alors de faire de son histoire un projet documentaire mais le jeune homme est vite appelé à faire son service militaire… Ici, en plus de dénoncer le viol et le renfermement sur soi qu'il suscite (la romancière reste chez elle pendant des jours, volets fermés, refuse de parler à ses proches et tente en vain de joindre par téléphone des centres d'assistance aux victimes) le réalisateur nommé à l'Oscar du meilleur film étranger pour son polar Ajami (2009) pointe du doigt un État militariste. Dès qu'il devient soldat, Ziv est constamment flanqué d'une mitraillette et change de comportement. Finalement, Yaron Shani décrit une société moderne aliénante – tous pays confondus – et surtout, des rapports homme/femme faits de domination et de violences perpétuelles.

 

Stripped (2020) de Yaron Shani, en salle le 23 septembre.