Qui est Jean Claracq, le peintre qui réinvente le monde en miniature ?
À 30 ans, Jean Claracq s’inscrit dans la nouvelle garde de la peinture figurative tout droit sortie des Beaux-Arts de Paris. Minutieuses et énigmatiques, ses peintures évoquent autant le Flamand Jan van Eyck que le photographe canadien Jeff Wall et leurs personnages ultra-contemporains incarnent avec finesse les attitudes de la mélancolie moderne. Après avoir eu carte blanche à la Fondation Louis Vuitton puis signé l’affiche de l’édition 2021 du tournoi Roland-Garros, l’artiste présente jusqu’au 10 avril une sélection d’œuvres inédites à la galerie Sultana. Portrait.
“Au ras du tableau, que cherche son spectateur et qu’y trouve-t-il? […] Et que se passe-t-il quand, sou- dainement ou progressivement, le spectateur s’attache au détail ou quand un détail l’appelle?” se demandait l’historien de l’art Daniel Arasse il y a près de trente ans*. Minutieuses et énigmatiques, les peintures de Jean Claracq sonnent comme une réponse directe à ce questionnement esthétique. Dans l’œuvre de cet artiste français, tout est réduit : les villes et les objets tiennent dans le format d’une carte postale, et les jeunes hommes deviennent les figurines de ce monde en miniature. Alanguis par l’attente ou le repos, perdus dans leurs pensées, ces derniers apparaissent tantôt les yeux rivés sur l’écran de leur smartphone ou de leur ordinateur portable, tantôt mus par leur errance dans des allées désertes.
Claracq crée des mises en abyme où les cadres se trouvent à l’intérieur des cadres, d’un imposant panneau publicitaire au format carré d’une photographie Instagram.
Aux côtés d’autres artistes de sa génération, à l’instar de Nathanaëlle Herbelin, Apolonia Sokol ou encore Simon Martin, Jean Claracq s’inscrit dans une forme de nouvelle garde de la peinture figurative tout droit sortie de l’École des beaux- arts de Paris. Nés entre la fin des années 80 et le début des années 90, ces artistes milléniaux ne craignent pas de se mesurer aux grands maîtres et chefs-d’œuvre de l’histoire picturale, ni d’imprégner leur pratique de références aux mass media, à la pop culture et à la déferlante d’images qui caractérise notre époque post-Internet. Un héritage pluriel que Claracq revendique en faisant référence aux peintures médiévales ou à des peintres comme Jan van Eyck et Hans Memling, qu’il imite d’ailleurs en peignant à l’huile sur bois plutôt que sur toile : “Ces peintres flamands du XVe siècle étaient les meilleurs techniciens : aujourd’hui, leurs tableaux sur bois vieux de 500 ans n’ont pas bougé”, justifie-t-il.
À l’âge de 13 ans, Jean Claracq (né en 1991) commence instinctivement à peindre sur des formats 5 x 5 cm puis s’aventure peu à peu vers d’autres médiums et d’autres dimensions. Pour autant, l’artiste revient le plus souvent à la miniature, arguant que celle-ci reflète sa propre échelle du réel. Caractérisées par des couleurs froides et sourdes réveillées par des tonalités vives, des contours très nets et une infime précision des détails, ses peintures incitent à la découverte par l’effort du regard. Afin de jouer avec la perception du spectateur, l’artiste fait d’ailleurs délibérément en sorte que certains éléments ne soient visibles qu’à la loupe ou grâce au zoom d’un objectif.
“Mes œuvres sont le reflet de quelqu’un qui est face au monde et essaie de le comprendre”
Car chez Claracq, l’histoire de la photographie n’est jamais loin. Citant Jeff Wall parmi ses références, il assume dans sa pratique cette même position ambiguë entre l’imprévisibilité du réel et la fiction de la mise en scène. Si ses sujets s’apparentent à des scènes intimes du quotidien volées à travers la vitre d’une fenêtre, ils sont en vérité le fruit d’assemblages d’images glanées par l’artiste qui composent un nouvel imaginaire. Dans ses espaces délimités par des lignes verticales, horizontales et obliques, Claracq crée des mises en abyme où les cadres se trouvent à l’intérieur des cadres, depuis un imposant panneau publicitaire jusqu’au format carré d’une photographie Instagram que l’on discerne, minuscule, au sein d’un écran numérique. Les architectures urbaines quadrillées, que le peintre affectionne tant, se prolongent alors dans les formes qui régissent le champ des images et du numérique pour constituer un même monde orthogonal.
Quant aux personnages, paisibles et nonchalants, ils incarnent avec finesse les nouvelles attitudes de la mélancolie contemporaine: une mélancolie solitaire mais non délétère, produit d’un ennui aux sources inédites, étonnamment ancrée dans les paysages réels ou virtuels de notre époque. Indifférents au spectateur, ces éphèbes absorbés dans leur activité ou leur oisiveté évoquent les scènes de genre peintes en Europe occidentale au XVIIe siècle, tout en se teintant d’un homoérotisme discret. Très tôt dans la carrière de Jean Claracq, un artiste reconnu ira jusqu’à qualifier son travail de “peinture pour pédé” : “Ces mots ont créé un vrai traumatisme, au point que je n’en ai pas parlé pendant cinq ans. […] Depuis, j’ai appris à me protéger”, explique le jeune peintre. Comme une revanche, la carrière florissante de Claracq l’amenait il y a quelques mois à investir la totalité d’une salle de la Fondation Louis Vuitton pour sa première exposition personnelle. Intitulé Propaganda, son projet inédit est le fruit d’une réflexion de six ans autour des mécanismes de la publicité et de la propagande, matérialisée par une maquette d’architecture blanche dans laquelle sont encastrées cinq de ses peintures – l’occasion d’un énième jeu sur la profondeur et la mise en abyme. “Mes œuvres sont le reflet de quelqu’un qui est face au monde et essaie de le comprendre”, déclare l’artiste. Une affirmation que cette nouvelle installation ne saurait contredire.
“Untitled” de Jean Claracq, jusqu’au 10 avril à la galerie Sultana, Paris 20e.
L’artiste Jean Claracq fait partie de “Des corps libres. Une jeune scène française”, première exposition collective de Reiffers Art Initiatives présentée du 5 au 28 mai 2022 au Studio des Acacias, Paris 17e.