9 sept 2020

Christine and the Queens, French pop monarch

Christine and the Queens s’est imposée par la grâce de ses compositions et la puissance de son jeu scénique, sur le fil de l’émotion. Récit d’une consécration qui la mène aujourd’hui jusque dans les pages du très prestigieux T Magazine outre-atlantique.

Assister à la naissance d’une grande artiste est un privilège rare, en France. Ces sorties de chrysalide magistrales n’y sont pas légion, surtout du côté d’une pop hexagonale marquée  par la succession de “meilleurs groupes de la semaine” (et rarement au-delà) et par le retour des vieilles gloires imprégnées d’une douce odeur de naphtaline. Et puis il y eut Christine and the Queens…

 

Christine est apparue un soir sur les écrans, c’était aux Victoires de la musique. C’était en février 2014, déjà. Quelques privilégiés la suivaient, depuis la sortie de ses premiers titres en 2011, avec la passion des pionniers découvrant leur filon d’or. Mais peu savaient alors qu’elle s’appelle en réalité Héloïse, et que ses Queens n’étaient que de fantasques créations de son imaginaire débridé. Sur scène, Christine était le plus souvent seule. Son costume damassé, comme molletonné d’or, lui donnait cette allure de Greta Garbo extravagante avec laquelle le public allait se familiariser. Christine and the Queens concourait dans la catégorie “groupe ou artiste révélation scène”. Mais Christine n’avait nul besoin de courir après un quelconque couronnement. Reine, ce soir-là, elle l’était déjà. En quelques mots sublimes, quelques beats caressés de violons subtils, quelques gestes fragiles, Christine and the Queens avait sublimé son corps. “Ce succès télévisuel, confie-t-elle encore, m’a permis d’avoir accès, alors que j’avais déjà presque finalisé l’album, à des moyens supplémentaires, quelques cordes par exemple. Mais ça n’a pas changé l’essentiel: ma recherche d’un son puissant bien que minimaliste, mes accointances avec une famille de sons qui va chercher du côté de Kanye West, même si cela peut surprendre. J’ai senti, avec les Victoires, que la confiance que j’avais placée dans ce projet devenait communicative.” Une traînée de poudre qui l’entraînera des premières parties de l’incontournable Stromae au plébiscite public et critique de son album, Chaleur humaine, sorti en juin 2014. 

 

Depuis, Christine a multiplié les apparitions en couverture de toute la presse française. Christine and the Queens voit alors son histoire relayée, de média en média, sous forme de légendes contemporaines. D’abord, son départ de France, à la suite d’une rupture amoureuse… avec une femme qui voulait devenir homme. Ensuite, cette rencontre à Londres avec les drag-queens exubérantes du Madame Jojo’s… qui auraient dû former les troupes de ses fameuses Queens si elles avaient daigné accompagner Héloïse dans cette aventure musicale. Alors, bien sûr, l’artiste se voit rapidement affublée d’un costume qui n’est pas pour lui déplaire, celui de nouvelle icône gay ou de chantre de la confusion des genres. Et pourtant, Christine and the Queens mérite mieux que d’être réduite à un “phénomène de société”. Qu’importe le genre et l’orientation sexuelle lorsque l’on chante avec autant de grâce l’amour, l’espoir et le rêve… Ses compositions électro pop tendent vers une telle beauté universelle que l’on ne sait plus si Christine nous émeut en anglais (“I am a man now, and there is nothing you can do to make me change my mind”) ou en français (“Je descends deux enfers plus loin pour que l’orage s’annonce”), au masculin ou au féminin (“Si je ne veux pas être une grande fille, je serai un petit garçon”). Maniant la soul et le groove avec sophistication, ses errances vertigineuses séduisent par leur simplicité déconcertante. L’art du presque rien – celui qui crée des mondes à partir de grains de sable –, a trouvé son maître.

 

Cet art, elle le sublime avant tout sur scène. Lorsque d’un geste délicat de la main, posée sur son œil, elle laisse une trace de maquillage pailleté, l’émotion est à son comble. Les mots sont peu de chose pour exprimer cette virtuosité burlesque. “Oui burlesque. C’est ainsi que je me vois”, glisse-t-elle avec timidité. Sa maîtrise du corps, qui doit beaucoup à ses années de théâtre, tient autant du comique d’un Buster Keaton, de l’inventivité d’un Mickael Jackson, que de l’exploration des possibilités du corps d’une Pina Bausch. Christine and the Queens fait spectacle, parce qu’Héloïse est spectaculaire. Et ensemble elles prouvent définitivement que l’entertainment n’est plus l’apanage du monde anglo-saxon…. qui lui rend un hommage mérité aujourd’hui à travers sa consécration, notamment, dans les pages du très prestigieux T Magazine.

 

 

 

Chaleur humaine, Christine and the Queens (Because Music).

En concert le 25 septembre 2015 au Zénith, à Paris.