Qui est Mike Mills, le cinéaste américain proche de Joaquin Phoenix qui envisage son travail comme une start-up?
À 55 ans, le Californien Mike Mills, qui a débuté en réalisant des clips pour Sonic Youth, Moby, Yoko Ono et Air, a filmé certains des plus grands acteurs américains du moment, dont Greta Gerwig, Elle Fanning et Joaquin Phoenix. Ce dernier incarne le personnage principal du dernier film du cinéaste, Nos âmes d’enfants, une œuvre mélancolique, méditative et sensée qui fait réfléchir à la fois sur la spontanéité que l’on perd une fois adulte, sur les filtres qu’on pose sur nos interactions et sur les combats que l’on abandonne avec l’âge.
Par Chloé Sarraméa.
Une tartine de beurre avec une montagne de sucre sur le dessus. À l’évocation de sa madeleine de Proust, le cinéaste américain Mike Mills, 55 ans, parle d’un souvenir qui relève d’une expérience narcotique : “Je n’en suis pas fier… Ma grande sœur a dix ans de plus que moi, j’étais donc très souvent seul. Je passais mon temps à regarder ce que la télévision américaine faisait de pire. Et à ingurgiter du sucre.” Il grandit en Californie dans les années 70, avec des parents nés quarante ans plus tôt, pendant la Grande Dépression. C’est à cette période que le futur réalisateur de clips pour Sonic Youth, Moby, Yoko Ono et Air découvre que son père est homosexuel. “On communiquait beaucoup à la maison. Mais même dans les familles où la parole semble libre, il y a toujours des angles morts, des choses sur lesquelles on fait l’impasse. Finalement, le mariage de mes parents était une construction », analyse-t-il. Une glycémie élevée et des échanges poussés : ainsi pourrait-on résumer l’enfance du réalisateur. Une période de la vie qu’il a souvent évoquée dans ses films, revenant, dans Beginners (2010), sur sa relation père-fils et décrivant, dans 20th Century Women (2016), celle qu’il entretenait avec sa mère, une femme mue par ses désirs, dont celui d’être libre et de le rester. Avec son casting impressionnant composé de Greta Gerwig et Elle Fanning, ce long-métrage vaudra au réalisateur issu du cinéma indépendant une nomination aux Oscars, en 2017.
Dans son dernier film, Nos âmes d’enfants, Mike Mills a carrément filmé l’âge tendre. Avec Joaquin Phoenix dans le rôle d’un journaliste parti enquêter, à travers les États-Unis, sur le rapport des enfants au monde, il questionne les liens que tissent les parents avec leur progéniture et la façon dont ces derniers sont considérés par les adultes. L’acteur oscarisé partage l’affiche avec Woody Norman, un gamin de 10 ans qui interprète son neveu et qui, si l’on en croit l’histoire personnelle du cinéaste, est l’incarnation de son propre fils. Dans ce récit sur l’enfance, la nourriture n’occupe étonnamment pas une place centrale : “Dans la vie de certaines personnes, c’est très important. Pas pour moi. En tout cas depuis que je suis devenu adulte. Mais c’est marrant parce que sur le plateau, et contrairement à la majorité des acteurs, Joaquin mange énormément. Dans une scène où il devait manger une pizza, il a englouti huit ou dix parts !” Il nous confiera, plus tard, avoir passé Noël et le Nouvel An avec l’actrice du film, Gaby Hoffmann, dans la maison de Joaquin Phoenix.
Nos âmes d’enfants est moins une histoire sur la filiation que sur l’éveil des consciences et le potentiel militant des jeunes. Une œuvre mélancolique, méditative et sensée qui fait réfléchir à la fois sur la spontanéité que l’on perd une fois adulte, sur les filtres qu’on pose sur nos interactions et sur les combats que l’on abandonne avec l’âge. On pense forcément à la militante écologiste de 19 ans Greta Thunberg, qui s’est engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique aux yeux du monde entier dès l’âge de 15 ans. Mike Mills regrette d’ailleurs qu’elle soit la seule jeune à être inclue dans le débat politique : “La neurodiversité [variabilité neurologique de l’espère humaine] est essentielle aujourd’hui. Elle nous permet de sortir de cette pensée unique typique de l’homme adulte blanc et hétéro”. Lorsqu’il travaillait à l’écriture de son film, il a lui-même interviewé des enfants et s’est demandé pourquoi il les trouvait si intéressants : “Ils racontent des tas de choses sur eux-mêmes qui les rendent très vulnérables. Ça force le respect. Nous, les adultes, créons des boucliers. On fait attention à ce qu’on dit. Par exemple, en vous parlant, je me demande ce qu’il faut que je raconte ou pas à une journaliste française.”
Les États-Unis sont pourtant peuplés de nombreux étudiants activistes, comme Emma Gonzales, une jeune femme au crâne rasé qui a pris la parole publiquement contre les armes à feu, en 2018, au lendemain d’un massacre dans un lycée de Parkland. Des discours qui marquent le cinéaste au point d’irriguer ses films. Dans Beginners, il a inséré un plaidoyer de Harvey Milk, un militant américain pour les droits des homosexuels tandis que dans 20th Century Women, il fait lire à ses personnages des extraits de paroles prononcées par le 39e Président des Etats-Unis Jimmy Carter. Il concède : “Dans mes scénarios, j’aime ajouter des textes que je n’ai pas écrits. Je veux que l’on entre dans mon film comme si on entrait dans une bibliothèque, dans un monde, dans un espace particulier.” Celui qui refuse de se définir comme un cinéaste underground pour la simple et bonne raison, dit-il, qu’il fait tourner des stars, envisage le 7e art comme une expérimentation. Il pourrait aisément être ajouté à la liste de réalisateurs qui font le cinéma indépendant américain d’aujourd’hui et dont sa femme, Miranda July – qui a signé, en 2020, Kajillionaire, une comédie loufoque avec Evan Rachel Wood – fait partie. Il préfère se définir comme une start-up : une entreprise innovante dans laquelle on n’a, pourtant, aucune sécurité de l’emploi.
Nos âmes d’enfants (2022), de Mike Mills, avec Joaquin Phoenix, en salle.