7 sept 2020

Angelo Badalamenti, the man responsible for the legendary music of TV show Twin Peaks

Le cinéma de David Lynch ne serait pas le même sans la musique éthérée d’Angelo Badalamenti, à qui l’ont doit notamment le thème de la série “Twin Peaks”. Retour sur trente ans d’une collaboration idyllique.

Les personnages d’Audrey Horne et d’Agent Cooper dans la première saison de “Twin Peaks”.

La douceur feutrée de la voix d’Isabella Rossellini mêlée à celle de Roy Orbison dans le film Blue Velvet, les premières notes du thème de la série Twin Peaks… Des moments de symbiose parfaite entre cinéma et musique, et que l’on doit exclusivement à l’accord David Lynch/Angelo Badalamenti. Ce dernier pourrait être considéré comme un homme de l’ombre, chargé de mettre des notes sur les images étranges, entre horreur et sublime, du réalisateur américain. De cette association originellement plutôt fortuite a découlé de l’or, une pile de récompenses dont un Grammy Award, et surtout un ticket d’entrée dans l’histoire qui a inspiré plusieurs générations d’artistes.

Isabella Rossellini dans “Blue Velvet”.

Badalamenti n’aurait même pas osé rêver de cette mise en orbite fulgurante en 1986, alors qu’il mène une vie médiocre de compositeur à la petite semaine, proposant ses services pour moins de deux cents dollars par mois. Cette carrière, même peu reluisante, le faisait rêver depuis la petite enfance. L’histoire classique de la famille de musiciens, qui l’éveille très tôt aux symphonies de Chostakovitch, au jazz de Charlie Parker et à La Mer de Debussy. La fascination grandissante qu’il ressent est accrue par un grand frère trompettiste, qu’il regarde répéter dans le sous-sol de leur maison de Brooklyn avec son groupe. Qu’à cela ne tienne ; il se met au piano à 12 ans pour rejoindre occasionnellement la petite célébration, enrichissant rapidement sa culture avec des 45 tours de Terry Gibbs et Sarah Vaughan.

 

 

 

Il écrit les morceaux I Hold No Grudge et He Ain’t Comin’ Home No More pour Nina Simone.

 

 

 

Il ne quittera jamais sa ville natale​, mais le rêve prendra vite les contours d’un échec. Ses débuts étaient pourtant prometteurs : il écrit les morceaux I Hold No Grudge et He Ain’t Comin’ Home No More pour Nina Simone à la fin des années 1960, réalisant son souhait de faire chanter ses mélodies par une voix inimitable du jazz. Shirley Bassey et Dusty Springfield interprètent également des compositions qu’il imagine sur mesure pour elles. Puis, plus rien, ou plutôt plus grand-chose pendant de nombreuses années ; en réalité, il compose pour des séries B si peu notables qu’il les signe d’un pseudonyme, Andy Badale. C’est seulement à l’approche de la cinquantaine que l’appel d’un producteur vient légèrement perturber cette routine : il s’agit d’un film nommé Blue Velvet, pour lequel le réalisateur recherche un coach vocal expérimenté. Le projet lui est présenté dans les grandes lignes, mais lui accepte immédiatement de se rendre sur le tournage.

Kyle MacLachlan et Isabella Rossellini dans “Blue Velvet”.

Il se retrouve face à une Isabella Rossellini en quête de repères pour sa reprise du titre de Bobby Vinton, qui donne son nom au film. Plusieurs se sont déjà essayés à l’exercice sans satisfaire le producteur Fred Caruso ni, surtout, le cinéaste, auteur de l’acclamé Elephant Man sorti en 1980. Deux ou peut-être trois heures de travail avec la jeune actrice plus tard, Lynch écoute le résultat et affiche un sourire de plus en plus large au fil du morceau qui s’égrène. “C’est exactement ça, c’est exactement ce que ça doit être.” Sur ces mots, le compositeur monte à bord, s’engageant à résoudre d’autres problématiques sonores.

 

 

Lynch veut que Badalamenti compose un morceau “sans début ni fin” qui soit “de la pure beauté éthérée”.

 

 

Badalamenti confirme son statut d’homme providentiel lorsqu’il faut écrire un morceau similaire à Song to the Siren de Tim Buckley, la production n’ayant pas les moyens de débourser 50 000 dollars pour l’utiliser. Cet imprévu contrarie beaucoup Lynch, qui n’imaginait rien d’autre que cette chanson, sa préférée de tous les temps, pour son film. À Badalamenti, il laisse un bout de papier jauni avec des indications très réduites ; il veut qu’il compose un morceau “sans début ni fin” qui soit “de la pure beauté éthérée”. Des mots qu’il accompagne de quelques vers sans rimes rédigés rapidement. Décontenancé mais pas vaincu, le musicien se met à son clavier en commence à jouer longuement un air en si mineur, presque sans effort. C’est ainsi que Mysteries of Love et sa mélodie limpide naît, comme le résultat d’une symbiose évidente entre deux artistes qui se connaissent pourtant à peine.

Angelo Badalamenti et David Lynch en 1996.

Seule ombre au tableau: il manque une interprète sensible pour livrer une interprétation juste du titre. Par le passé, l’Américain a travaillé sur une comédie musicale avec une vocaliste dénommée Julee Cruise, avec qui il s’est lié d’amitié – il lui demande donc conseil pour trouver la voix idéale. Les castings passent, les filles rivalisent de talent mais pour une raison ou pour une autre, la magie n’opère pas. Il suffit que Julee propose elle-même finalement ses services pour que le déclic se produise enfin ; “Le coup de foudre à la première écoute”, selon le compositeur lui-même. Cet heureux accident transforme le duo Lynch/Badalamenti en trio, qui garde un mode de fonctionnement bien précis au fil des enregistrements. Ceux-ci s'étirent bien au-delà de Blue Velvet, pendant de nombreux mois jusqu'à constituer assez de matière pour donner naissance au premier opus de la jeune chanteuse.

 

 

David Lynch dépeint la plupart du temps des scènes en murmurant à l'oreille de Badalamenti.

 

 

Julee se remémore d'ailleurs que Lynch montre un talent rare pour instaurer une atmosphère spécifique avant une session, dépeignant la plupart du temps des scènes en murmurant à l'oreille. Badalamenti et elle savent ensuite tous deux quelle émotion mettre en place dans la composition et l'interprétation, sans avoir nécessairement besoin de parler pour se comprendre. À sa sortie, Floating in the Night est gratifié d'une réception confuse, sans doute due à son genre musical inclassable. La dream pop telle qu’on la connaît aujourd’hui n’en est alors qu’à ses balbutiements, ce qui rend presque inenvisageable un quelconque passage en radio, même sur les stations les plus avant-gardistes. La chanteuse entreprend une tournée pendant plus d'un an et demi mais ne parvient pas à acquérir la reconnaissance espérée, et finit recevoir un appel de sa maison de disques qui lui annonce que son contrat est rompu.

La chute aurait pu être vertigineuse, mais c'était compter sans la diffusion du premier épisode de Twin Peaks le 8 avril 1990. Ce projet, l'interprète y a participé activement, comme à toutes les entreprises de David Lynch durant cette période. Son apparition dans le pilote et l'utilisation de trois de ses morceaux sur la bande-son lui valent rapidement l'équivalent d'une renaissance artistique. Sur le papier, la série se rapprochait pourtant d'une série policière classique : l'agent Dale Cooper arrive dans une petite ville du Nord de Washington, frappée par la mort mystérieuse d'une jeune lycéenne. Mais la multitude de détails à la fois fascinants et déroutants que le réalisateur parvient à incorporer dans la narration en fait un véritable phénomène de pop culture.

 

 

Les nouveaux épisodes de Twin Peaks à découvrir en mai comprendront une nouvelle fois des morceaux éthérés signés Badalamenti.

 

 

Chaque nouvel épisode de Twin Peaks bat des records d'audience, regroupant une base de fans croissante et avide de s'immerger encore dans l'univers inimitable de la série. Malgré la chute libre qui commence à s'opérer dans le courant de la deuxième saison – signant son arrêt définitif –, Twin Peaks a rejoint le panthéon des meilleurs programmes courts de tous les temps. Avec Fire Walk With Me, le film sorti par la suite en 1992, les fidèles ont d'ailleurs pu retrouver une dernière fois Kyle MacLachlan et l'ensemble des personnages iconiques à l'écran. Une manière pour Lynch de remercier son audience, et d'entrouvrir une porte via une innocente réplique. “I'll see you in twenty-five years”, lancée par Laura Palmer, juste avant qu'elle ne disparaisse.

Julee Cruise dans “Twin Peaks”.
https://youtu.be/3LnwWSsEHpQ

Du festival Twin Peaks organisé tous les ans à Washington jusqu'aux multiples sites analysant chaque scène de la série, l'engouement n'a pas diminué en vingt-cinq ans. Le compositeur a, depuis, poursuivi son travail aux côtés de David Lynch sur les films Wild at Heart, Lost Highway et l'immense Mulholland Drive. Mais c'est sans doute l'héritage qu'il laisse derrière lui avec la bande-son du programme qui a eu le plus d'impact sur la scène musicale contemporaine. Des groupes baptisés Audrey Horne – du nom du personnage joué par Sherilyn Fenn -, ou encore tout simplement Twin Peaks ont fleuri au fil des années, inspirés par les inoubliables titres de ce prodige. Avec une réédition de ce score mythique et bien sûr l'annonce d'une troisième saison à venir en mai prochain, la petite ville imaginée par son plus proche collaborateur à la fin des années 70 n'a jamais été aussi vivace dans l'imaginaire collectif. Monica Belluci, Michael Cera, Amanda Seyfried ou encore Naomi Watts rejoindront d'ailleurs ce microcosme à l'occasion des nouveaux épisodes, portés par de nouveaux morceaux éthérés signés Badalamenti. Vivement le printemps.

 

Twin Peaks : Fire Walk With Me OST et Twin Peaks OST (Death Waltz Recording Company, disponible.

Twin Peaks saison 3, à venir en mai 2017 sur SHOWTIME.

 

 

https://youtu.be/DHRARCb4APA