Le métal dansant de Caroline Mesquita à la Fondation Ricard
Invitée de la Fondation Ricard, l’artiste Caroline Mesquita se livre à Julie Boukobza sur son exposition “The Ballad” où elle met en scène ses célèbres personnages en plaques de cuivre et de laiton.
Par Julie Boukobza.
On connaît désormais la bravoure de cette jeune artiste née en 1989. Des installations toujours plus ambitieuses, des sculptures imposantes, des matériaux lourds et froids qui pourtant ne lui résistent jamais. Un studio au milieu de nulle part dans sa Bretagne natale, région qui révèle incidemment son attirance pour les cultes et les rituels qui en découlent. Un travail qui, depuis ses débuts, impressionne par un mélange de maturité et d’extrême candeur. Or, ce que l’on découvre cette fois-ci à la Fondation Ricard, sans omettre une nouvelle installation flamboyante, c’est l’importance de la vidéo dans le corpus de Caroline Mesquita. Des vidéos où ses sculptures-personnages dévoilent leur existence charnelle, se juxtaposent au corps de l’artiste, à sa pratique, la brutalisant parfois, jusqu’à se lancer allègrement dans des ébats sexuels.
Numéro : Vous présentez à la fois une installation de vos personnages dans l’espace de la Fondation Ricard et une vidéo. De quoi s’agit-il ?
Caroline Mesquita : Dans le film que j’ai réalisé avec l’aide de mon amie artiste Lucile Littot, il est question d’un accident d’avion. Vous y retrouvez différents passagers que j’incarne tour à tour : le pilote, l’hôtesse de l’air, le mécanicien, la dame en tenue de soirée, le businessman… Il y en a douze au total. Le premier plan est constitué du pilote qui sort de l’avion le visage couvert de sang, puis s’évanouit et meurt (j’ai toujours été fascinée par les histoires d’avions disparus, comme le Petit Prince de Saint Exupéry). Au début du film, il y a donc ce côté un peu gore, les naufragés sont ensanglantés. Puis, au fur et à mesure, mes sculptures découvrent ces corps, s’en approchent, les blessent sans le savoir. Mais, petit à petit, ces corps humains guérissent de leurs blessures, le sang se transforme en maquillage et les sculptures les recouvrent d’or à l’image de leurs propres corps. Le film prend une tournure plus spirituelle qui rappelle, par exemple, la cérémonie des couleurs en Inde, les pratiques hindoues et la réincarnation.
Vous intéressez-vous aux rituels et aux autres cultures ?
Je regarde beaucoup d’images de danses indiennes : celles où il est seulement question des expressions du visage, ou des danses avec des micro-mouvements ultra sensuels, celles avec des corps très sobres comme des “a cappella” de danse. Il existe aussi en Inde des danses durant lesquelles des gens réalisent des sculptures pendant que d’autres exécutent des mouvements à côté. Je m’intéresse également beaucoup au théâtre japonais, dans la tradition du nô, ou aux cérémonies africaines, ainsi qu’aux documentaires de Jean Rouch. J’aime que l’art soit lié à des croyances et qu’il ne soit pas purement de l’art. Du coup, plein d’autres choses sont autorisées. Cet aspect de mon travail est très important pour moi.
“J’aime que l’art soit lié à des croyances ou qu’il ne soit pas purement de l’art. Du coup, plein d’autres choses sont autorisées.”
La notion de communauté et de groupe est-elle importante dans votre travail ?
Lorsque je crée des sculptures en métal, le travail de précision et de réalisation d’une “figure” ne m’intéresse pas. J’ai une approche très gestuelle. Chaque sculpture est en mouvement, en interaction avec celles qui l’entourent. Elles forment ainsi des groupes que je peux multiplier.
Et c’est l’énergie de ces groupes qui vous intéresse ?
Oui, cette énergie est très importante. J’essaye de figurer l’énergie sur les corps, et les attirances qui passent entre eux. J’aime cette idée de moment qui remet en question la normalité. Chaque groupe est formé d’individus de types différents qui se retrouvent et se rendent compte qu’ils n’ont pas les mêmes codes ni les mêmes rituels. Alors tout est à repenser, à remettre en question, ça procure une grande liberté, ça ramène au degré zéro, au sens de la morale, à des questions de sexualité, du rapport à la famille, aux amis. C’est cette liberté qui m’intéresse, ou comment tout repenser mais de manière saine et naïve.
“Chaque groupe est formé d’individus de types différents qui se retrouvent et se rendent compte qu’ils n’ont pas les mêmes codes ni les mêmes rituels. Alors tout est à repenser.”
La vidéo et l’installation forment-elles deux pratiques distinctes pour vous ? L’une qui serait privée (filmée dans l’atelier) et l’autre publique (présentée au sein d’un espace d’exposition) ?
Il s’agit plutôt de deux mondes parallèles qui semblent partager des éléments communs, comme la carcasse d’avion, a priori similaire, mais en fait complètement différente dans le film et dans l’installation. Les deux sont très liés car dans le film vous retrouvez les mêmes types de personnages, comme s’il y avait un monde très physique et sculptural avec l’installation, et un monde plus imaginaire avec les vidéos. Habituellement, je ne présente que des personnages, et il n’y a pas trop de décor, mais ici, intégrer des objets m’intéressait.
Comment ont évolué vos personnages ?
Au tout début, il n’y avait que du vêtement. Mes personnages n’avaient pas de membres, ils étaient très peu expressifs. J’ai ajouté les membres pour une exposition à Berlin, puis ils sont devenus articulés comme à la galerie MOT International et au Kunstverein de Langenhagen. Ils se transformaient alors davantage en pantins qu’en sculptures, et devenaient les acteurs de mes films qui étaient complètement animés.
Souhaitez-vous développer ce corpus à l’avenir ?
Je pense que je n’en suis qu’au début concernant les films. C’est un médium avec lequel je deviens de plus en plus à l’aise. J’ai vraiment envie de continuer, tout comme les sculptures. Et il y a quelque chose de très excitant dans l’idée de construire un avion à l’échelle 1, en plusieurs parties, avec des éléments en acier, d’être dans un hangar et de sortir tous les jours habillée différemment. C’est une liberté qui me plaît. Les personnages, même s’ils peuvent paraître très similaires, demeurent très différents de par les techniques d’oxydation et le type de résine que j’utilise. En tant que sculptrice, c’est quelque chose qui m’intéresse encore beaucoup.
The Ballad de Caroline Mesquita, jusqu’au 11 mars à la Fondation d’entreprise Ricard, 12, rue Boissy-d’Anglas, Paris VIIIe.
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