Rammstein : histoire d’un groupe de metal obscène et controversé
Malgré l’indifférence des médias, la musique metal (et ses nombreux sous-genres) réunit des meutes de fans invétérés. Rammstein, groupe emblématique du métal industriel formé en 1994, a récemment sorti son septième album : Rammstein. En France, il est numéro 1 des ventes. Pourquoi ? Comment ? Numéro a pris la température du côté des disquaires parisiens et revient sur l’histoire de ce groupe mythique.
Par Alexis Thibault.
Rarement la fosse n’est aussi excitée que lors d’un concert de Rammstein. D’abord parce que les prestations du groupe ont des allures de freak show démesuré. Ensuite parce qu’une lueur orange brille dans les yeux des spectateurs du premier rang, et ceci n'a rien d'une métaphore : toutes les cinq minutes, des lance-flammes crachent un jet embrasé au-dessus de la fosse. Imagerie SM, performances obscènes, artificiers surentraînés en coulisses… le groupe allemand aussi provocateur que controversé – esthétiquement et musicalement – promet au moins une chose à ses fans : un concert inoubliable. Cette année, la formation revient en force avec… Rammstein, nouvel album entre heavy metal musclé et sonorités électroniques, taxé de “mainstream” par les oreilles les plus affûtées. Le clip trash Deutschland a déjà créé la polémique : on y retrouve mis en scène les vices et démons historiques de l’Allemagne, notamment, une scène de pendaison perpétrée par des nazis.
“Rammstein fait du Rammstein comme ils en ont toujours fait.” Dans le quartier du Marais, le disquaire hurle derrière le comptoir de sa boutique qui croule sous les cartons de vinyles. Il essaie de couvrir la voix du regretté Lemmy Kilmister, leader de Motörhead, qui jaillit d’une enceinte à quelques mètres de lui. “Les puristes du metal ne sont pas vraiment fans, s’égosille-t-il, mais ceux qui aiment les grosses productions et l’essence de Rammstein sont servis. Ça reste d’énormes stars comme Deep Purple ou AC/DC.” À peine s’est-il rendu compte que – seul dans son échoppe – il pouvait baisser le son de la musique, qu’il reprend de plus belle : “De toute façon, pour les médias français, les fans de metal sont des fachos, des racistes ou des tocards. En 2006, un groupe de metal finlandais [Lordi] a remporté l’Eurovision. Pendant toute la prestation, Michel Drucker parlait, et il a balancé : ‘Si ça gagne je prends ma retraite.’ Bizarrement, je le vois encore à la télé.” Du côté de Bastille, le patron d’une boutique de vinyles plus silencieuse est catégorique : “Rammstein ? Vous n’en trouverez pas ici. Je ne vends pas ce truc de beaufs.” Il se rattrape aussitôt : “Enfin, c’est plutôt que je vends une musique plus pointue, plus expérimentale, pour des hipsters ou des gens qui ont écouté un album 30 fois, et qui viennent finalement l'acheter parce qu'ils souhaitent l’archiver dans leur collection. Aujourd’hui, Rammstein se destine au grand public. Il ne joue pas dans la même catégorie. ”
Alors… que dire de ce groupe, adoubé par David Lynch, qui a inclus un de ses titres dans son film Lost Highway en 1997 ? L’histoire de Rammstein commence le 28 août 1988. Plus de 300 000 personnes ont le regard braqué sur le ciel. Réunis sur la base aérienne de Ramstein, en Allemagne, ils assistent à un spectacle de démonstration de vol. Tandis qu'ils savourent l'habileté des pilotes, trois avions de la patrouille nationale italienne se percutent en plein vol et s’écrasent sur la foule. Bilan : près de 70 morts et 346 blessés graves… Six ans plus tard, dans la petite ville allemande de Schwerin, six inconnus dopés au rock underground, à la techno, au metal, à Kiss et à Pink Floyd décident de monter un groupe. Donnant la mesure de leur esprit provocateur, ils choisissent comme nom de groupe “Rammstein” en référence à la catastrophe, doublant la lettre “m” par inadvertance. Le terme Neue Deutsche Härte (littéralement “la nouvelle dureté allemande”) surgit alors de la presse musicale pour décrire leur premier album, Herzeleid. Le ton est donné.
À ses débuts, la formation menée par Till Lindemann avec son accent de Leipzig à couper au couteau reste un savant mélange de Kraftwerk et de Depeche mode (dont ils reprendront certains titres). Transgressif, provocateur, Rammstein parle de sexe de façon crue et se positionne comme un groupe exubérant sous couvert de metal industriel : sorte de metal-punk subversif, parfois dissonant, qui utilise des éléments de la musique électronique. Rammstein chante essentiellement en allemand, mais s’essaye à l’anglais à partir de 1997 pour conquérir l’Amérique. Les morceaux passent inaperçus.
Capables littéralement de se flageller jusqu’au sang pendant le tournage d’un clip, les membres de Rammstein sont des showmans qui entretiennent la polémique par simple amusement. On retient surtout l’affaire qui les oppose à Armin Meiwes, informaticien cannibale sadomasochiste qui a dépecé et dévoré son partenaire à la demande de ce dernier… Leur morceau Mein Teil (2004) évoque cette affaire sordide… mais l’histoire se poursuit en justice : l’anthropophage incarcéré reproche au groupe de s’être approprié son image sans son autorisation. Entre explosions volcaniques et clips pornographiques, imagerie trash et spectacles dantesques, la formation allemande controversée mais ultra populaire a pourtant participé à démocratiser davantage le genre musical “metal”, trop souvent boudé par les médias qui n’en connaissent pas les codes.
Album Rammstein, de Rammstein, disponible.