3 sept 2020

Revenge porn: the era of leave me and I’ll out you

Le “revenge porn” consiste à diffuser en ligne du contenu à caractère sexuel sans le consentement des individus concernés. Vengeance, commerce outrancier ou récupération médiatique… que renferme ce phénomène terrifiant, caractéristique de l’ère Tinder ?

Une capture d’écran de la sextape de Kim Kardashian et du chanteur Ray J.

Dans les couloirs d’un lycée britannique aux murs garnis de casiers, tous les téléphones se mettent à sonner simultanément. Des gloussements, des rires, des insultes… La photo d’un vagin fait le tour de l’établissement. La première saison de Sex Education, la série évènement de Netflix, démarre en trombe : il est question de sexualité adolescente. Entre coming out, fantasmes et sexe lesbien, tous les tabous sont passés au peigne fin. Dans le cinquième épisode, Ruby, peste suprême inséparable de son gang, est victime de revenge porn

 

Aux yeux de la loi, l’anglicisme revenge porn désigne le fait de diffuser en ligne du contenu à caractère sexuel sans le consentement des individus concernés et dans l’intention de nuire. Un phénomène contemporain qui semble toucher tout le monde, de la star de cinéma à l'ado sans histoire. Tour d’horizon de la vengeance pornographique, en quelques cas emblématiques de l'ère Tinder et du “quitte-moi, je t'affiche”.

 

1. Un phénomène essentiellement sexiste

 

Intrinsèquement lié au développement des nouvelles technologies, le revenge porn est, de fait, l’apanage des plus jeunes. En 2012, l’Unicef déclare que le sexting (l'envoi de SMS sexuellement explicites) fait partie des comportements courants chez les adolescents. En outre, dans l’ouvrage Sexting secondaire chez les adolescents (2019), les chercheurs en criminalité Marion Desfachelles et Francis Fortin démontrent que les filles s'impliquent davantage dans leurs relations amicales et amoureuses et sont donc plus enclines que leurs homologues masculins à se mettre en scène : des photographies en sous-vêtements – voire complètement nues – dans des poses suggestives, ou des vidéos de masturbation. Vengeance conjugale ou hacking, dans la majorité des cas, les individus malveillants qui récupèrent puis diffusent ces vidéos conservent l'anonymat. 

 

Le contexte collectif de l’établissement scolaire participe à la création d’un effet de groupe qui favorise les débordements.

 

Chantage ou moqueries puériles… les motivations des diffuseurs sont difficiles à définir, tant elles sont diverses et variées. Dans le lycée imaginaire de Sex Education, Ruby, qui cherche d’abord du côté de ses anciens amants, est en réalité la cible de sa meilleure amie, qui ne supporte plus ses humiliations à répétition. Pourtant, selon une étude de Nicholas Longpré publiée dans l’ouvrage collectif Introduction à la cyber­criminalité: entre inconduite et crime organisé (2013), les garçons sont à l'origine de 70% des transferts de contenus pornographiques. Pire, Nicholas Longpré remarque que 25% des adolescents qui reçoivent ces images, les diffusent à leur tour. L’établissement scolaire devient alors le huis clos idéal pour le déchaînement des passions les plus sombres.  

2. L’homme le plus haï d’Internet 

 

Tous ces gens ont en commun d’être des putain d’attardés. Tout ce que je fais, moi, c’est d’en tirer profit.” Dans un tout autre registre, cette citation suffit à brosser le portrait d’Hunter Moore, grand acteur du développement des sites de revenge porn. En 2010, son site Internet Isanyoneup débarque sur la Toile. Des photos explicites y sont postées régulièrement. Au début, Hunter Moore alimente lui-même le site avec des clichés de jeunes femmes qu’il rencontre en soirée : “Les filles feraient n’importe quoi pour attirer l’attention, pour avoir plus de followers sur Twitter, plus de likes sur Facebook”, déclare-t-il. L'Américain devient très rapidement l’homme le plus haï d’Internet mais, paradoxalement le trafic généré par son site augmente de jour en jour. Hunter Moore ira jusqu’à s’offrir les services d’un hacker dans l'espoir de récupérer encore davantage de photos et de vidéos. 

 

Sur le web, les sites de revenge porn prolifèrent. Ils deviennent des lieux de décadence suprême à l’ère du numérique, tels des Babylone 2.0. À titre d’exemple, le site Myex, lancé en 2013 et fermé en 2018, permettait aux internautes de poster gratuitement des photos de leurs anciens ou anciennes petit(e)s ami(e)s en indiquant leurs patronymes. 84% des victimes étaient des femmes d'environ 27 ans. 

 

 

Hunter Moore

3. S'exposer pour mieux régner 

 

Mais les stars ne sont pas non plus à l’abri du revenge porn. En août 2014 le scandale du Celebgate éclabousse les actrices Jennifer Lawrence, Kirsten Dunst, Mary-Kate Olsen, ou encore la chanteuse Rihanna. Des dizaines de photos de célébrités piratées sont récupérées sur iCloud, les comptes de stockage à distance d’Apple. Derrière ce hacking, un certain Edward Majerczyk reconnaît avoir eu accès à près de 300 comptes Apple – et par conséquent, à 300 adresses mails. Il est finalement condamné à neuf mois de prison ferme et 5 700 dollars d’amende. Si les motivations du hacker restent floues et diffèrent de la vengeance conjugale pure, le cas n’est pas si éloigné du phénomène revenge porn.

 

La première affaire retentissante de revenge porn concerne une certaine Kim Kardashian. En février 2007, le studio de production de films pornographiques Vivid met en ligne une sextape de la jeune femme en plein ébat avec le chanteur Ray J. Kim Kardashian attaque Vivid, mais cède finalement les droits de la vidéo à hauteur de 5 millions dollars. Plus tard, on découvre que sa propre mère et manageuse, Kris Jenner, était à l’origine de la fuite. Kim Kardashian pose alors la première brique de son empire…

 

4. Quels recours ?

 

Dès 2014, Israël qualifie le revenge porn de “crime sexuel”. La même année, l’État de Californie condamne pour la première fois un homme à un an de prison suite à la divulgation de photographies à caractère explicite. En France, il faut attendre 2016 pour que soit adoptée la loi Lemaire pour une république numérique. Pour toute divulgation de contenu sexuellement explicite, l'auteur encourt jusqu’à 2 ans de prison et 60 000 euros d’amende. 

 

Mais alors, comment passe-t-on du couple, siège de l'intimité et de la confiance, à l'humiliation publique ? Selon le sociologue néerlandais Sebald Rudolf Steinmetz, la vengeance est intimement liée au sentiment de supériorité et se déclare lorsqu’un individu est blessé dans son ego. À l'heure du web social, où la vie en ligne se mêle à la vie sociale, le retour de bâton se déplace indéniablement sur le net. Dès lors, le revenge porn devient une pratique inévitable et le reflet d'une époque où les frontières entre le privé et le public disparaissent.