Pourquoi je suis fascinée par Courtney Love, qui signe un duo avec 070 Shake
Alors qu’elle reprend, ce vendredi 15 novembre 2024, la chanson Song to the Siren de Tim Buckley aux côtés de la rappeuse 070 Shake, retour sur la vie, la musique, les looks et le discours inspirants de la chanteuse Courtney Love, icône grunge des années 90.
par Violaine Schütz.
J’ai découvert la musicienne et chanteuse américaine Courtney Love en 1993, à travers une photo où elle apparaissait en baby doll débraillée, alors que j’étais fan de son mari, Kurt Cobain, le leader christique de Nirvana. À l’époque, j’étais vraiment adepte de l’attitude grunge-no future-punk. Une ado en révolte contre à peu près tout qui m’habillait en jean troué et en chemise à carreaux XXL tout en écoutant des chansons bruitistes aux textes nihilistes.
Je ne me reconnaissais pas du tout dans les idéaux hétéronormés et je ne voyais pas beaucoup de perspectives pour une fille comme moi, incapable de se conformer aux stéréotypes de genre. Et puis, je me suis pris dans la figure cette gueule, cette voix éraillée très expressive, ce look et ces mélodies enragées qui restaient en tête (Violet, Doll Parts, Miss World).
Courtney Love, porte-parole des outsiders
C’était comme un cri primal qui résonnait au plus profond de moi, une main tendue façon uppercut, une lueur d’espoir dans un quotidien parfois morne. Cette femme forte au comportement “viril” rugissait des choses que je n’avais jamais entendues, n’avait pas peur de la vulgarité, ni du “qu’en dira-t-on”.
Au sein de son excellent groupe de rock Hole (dont l’album Live Through This a obtenu la note, rare, de 10/10 sur le site de référence Pitchfork), elle parlait de violence, d’image du corps, de lesbianisme, de beauté, d’inceste, de viol, de maternité ou encore de féminité comme jamais personne avant n’en avait parlé auparavant. Cette femme parlait aux femmes, sans détour ni mensonge.
“Heureusement, il y a Courtney Love. En particulier. Et le punk rock, en général.” Virginie Despentes
“Heureusement, il y a Courtney Love. En particulier. Et le punk rock, en général,” a écrit Virginie Despentes dans son puissant King Kong Théorie. Et heureusement, dans ma vie, il y a eu Courtney Love en particulier, et la musique en général. Car dans la presse, le discours de Courtney Love donnait aussi des ailes. Cette proche de la cause LGBT enchaînait les citations inspirantes : “Ne sois pas la groupie du capitaine de l’équipe de football, soit le capitaine !”, ou encore “Je veux que toutes les filles viennent, se mettent à crier et s’emparent d’une guitare.” Quand celle qui fut aussi actrice ne mettait pas en garde les jeunes femmes contre les agissements d’Harvey Weinstein lors d’une interview accordée sur un tapis rouge. Le tout, sans jamais s’excuser.
C’est simple, Courtney Love donnait le courage d’assumer ses différences. D’être autre chose qu’une jeune fille douce parlant à voix basse, soumise au regard et au désir des hommes. Elle était blonde, mais ses cheveux étaient décolorés, laissant apparaître des racines noires. Son rouge à lèvres dégoulinait et ses robes d’écolière étaient sales. Ce look intitulé “kinderwhore” (mi-prostituée, mi-enfant sage), qui critiquait les prom queens américaines parfaites, inspira, des années plus tard, Hedi Slimane (alors directeur artistique de Saint Laurent, une maison dont Courtney Love fut l’égérie) et Marc Jacobs, pour des pièces très grunge. Entre la féminité exacerbée d’une Blondie et l’attitude “gender fluid” de Patti Smith, Courtney Love inventa un autre genre trouble, inédit et sexy. Une autre voie possible.
La chanteuse est aussi un modèle de résilience. Elle a survécu à la mort de son mari, aux critiques publiques, à l’héroïne, aux années de strip-tease dans des lieux glauques, aux maisons de correction, à la perte de la garde de sa fille et autres tours du destin.
Une influence majeure pour Lana Del Rey, Doja Cat et Miley Cyrus
Mais surtout Courtney Love a montré qu’on pouvait être née fille et ne rien s’interdire. Être dans l’action, et pas dans la passivité. Crier, pleurer, monter au créneau et hurler sa vérité. Elle donnait envie d’écrire sur la musique ou d’en jouer et non d’aller backstage pour tenter de séduire une rock star à tout prix et vivre dans son ombre. Adolescente, je voulais faire un métier (le journalisme culturel) qui était alors dominé par les hommes. Courtney Love ouvrait le chemin au milieu d’un terrain macho (le rock), avec des paillettes, du glamour, de la rage et du soufre, au bout d’une route pavée d’embûches.
Aujourd’hui, des artistes comme Scout Niblett, Brody Dalle, Beach House, Florence and the Machine, les Dum Dum Girls, Lana Del Rey, Tove Lo, Doja Cat, Olivia Rodrigo et Sky Ferreira la citent comme muse. Miley Cyrus et Tricky ont repris la chanson Doll Parts de Hole et la rappeuse 070 Shake invite la star peroxydée à reprendre un titre de Tim Buckley (Song to the Siren) sur son nouvel album, Petrichor, sorti ce vendredi 11 novembre 2024.
Âgée de 60 ans, la chanteuse sur laquelle j’ai écrit un livre et que j’ai rencontrée lors d’un défilé Valentino est la nouvelle égérie du label Enfants Riches Déprimés, et continue de vive sa vie comme elle l’entend et de ne pas mâcher ses mots (elle a notamment déclaré en avril 2024 que Taylor Swift n’est pas importante, ni intéressante en tant qu’artiste). Mais beaucoup continuent de raconter que la chanteuse a tué son mari (Kurt Cobain) et qu’elle n’écrivait pas ses chansons (ce qui est faux). Pendant qu’on adule Keith Richards pour avoir mené exactement le même genre de vie, libre, excessive, flamboyante et débridée… Avec la star controversée du grunge Courtney Love, ce sont toutes les problématiques de l’industrie du spectacle pré-#MeToo qui se cristallisent.
070 Shake, Courtney Love – Song to the Siren (2024).