Et si l’animation était le plus sérieux des cinémas ?
La sortie en salle, ce mercredi, du dernier film de Zabou Breitman, “Les Hirondelles de Kaboul”, rappelle que le cinéma d’animation peut mêler chronique intime et militantisme politique. Oppression des femmes, traumatismes de guerre, extrémisme religieux : retour sur trois œuvres à la croisée de la fiction et du documentaire.
Par Chloé Sarraméa.
Aux origines du film d’animation politique : Le Naufrage du Lusitania. Réalisé en 1918 par le pionnier de la bande-dessinée américaine Winsor McCay, ce court-métrage en noir et blanc retrace l’histoire d’un paquebot anglais torpillé par les allemands – au moment où les États-Unis hésitent alors à prendre part à la Première Guerre Mondiale. Scandalisé par la façon dont les faits sont atténués voire carrément tus, Winsor McCay reconstitue l’image manquante, utilisant l’animation comme médium. Il témoigne d’un oubli de l’Histoire, et en profite pour montrer ce que la mémoire collective a besoin de connaître. Pour ce faire, il utilise le point de vue d’un naufragé et, en douze minutes, filme un bateau qui coule. Ainsi, Le Naufrage du Lusitania ouvre la voix à une série de films d’animation qui flirtent avec le militantisme.
Persepolis, Valse avec Bachir et les Hirondelles de Kaboul ont tous les trois un point en commun. Ce sont des films contemporains. Jusqu’ici, rien d’exceptionnel mis à part la technique avec laquelle ils ont été réalisés : le dessin animé. À la frontière entre la fiction et le documentaire d’animation, ces trois films rassemblent l’imagerie tendre et merveilleuse du dessin au cinéma et la réalité crue du reportage. Ils abordent sans détour la guerre et les traumatismes qu’elle engendre, l’oppression politique ou encore la barbarie. Les yeux, pourtant éduqués à associer l’animation à l’enfance, découvrent, émerveillés, une façon subtile de parler de l’horreur. Persepolis, Valse avec Bachir et Les Hirondelles de Kaboul sont des longs-métrages qui, à travers le dessin, transmettent des réalités souvent oubliées des cinéastes.
1. Persepolis : s’échapper de l’autoritarisme
Le cinéma d’animation est un cinéma d’invention pure. De prototypes en résultats finals, d’essais en aboutissements, de retouches d’images en dessins parfaits et de tests sonores en voix idéales, l’animé se cherche souvent et aboutit toujours à des œuvres acclamées. Sorti en 2007, Persepolis remporte le Prix du Jury au Festival de Cannes. Censuré en Iran, interdit au Liban, le film de Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi fait beaucoup de bruit à sa sortie en France. Déjà par son excellent choix des voix : celles de Catherine Deneuve et de sa fille, Chiara Mastroianni. Cette dernière interprète une préadolescente, Marjane, qui grandit en Iran juste avant la chute du Shah et le triomphe de la République islamiste. Dans un climat de répression, la jeune fille a des rêves de révolution plein la tête. Elle s’érige en prophète, connaît tout du marxisme, et forge peu à peu son éducation politique. Fille de bonne famille, cette enfant s’exile et débute une nouvelle vie en Occident. Le choc culturel est sans précédent : Marjane embrasse la culture punk et se retrouve confrontée à ses premiers échecs amoureux. Quand la dépression la guette, elle rentre en Iran mais un mariage raté la fait finalement migrer vers un pays où les femmes ont des droits : la France. Avec l’exil et les tourments adolescents en toile de fond, Persepolis témoigne avec brio d’un drame personnel forcément lié à l’oppression du pays dans lequel il prend place.
2. Valse avec Bachir : l’essence d’une réalité
Sorti en 2008, Valse avec Bachir est le film qui a emmené le documentaire d’animation sur les devants de la scène internationale. Voix réelle, image fantasmée, l’un et l’autre se complètent pour reconstruire une image moins violente que la réalité qu’elle dénonce. Réalisé par Ari Folman (Le Congrès), ce long-métrage est le témoignage d’une mémoire obstruée. Film d’auteur puissant, à la croisée du documentaire et de la fiction freudienne, Valse avec Bachir est loin de vouloir conquérir un jeune public : il navigue sur les territoires de la pensée et de la psychologie. Couronné d’un Golden Globe et d’un César du meilleur film étranger, également en compétition pour la Palme d’Or et l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, le film d’animation du cinéaste israélien dépeint l’inconscient d’un ancien soldat hanté par des hallucinations. Expédié à Beyrouth lors de la première guerre du Liban, en 1982, le personnage principal (qui n’est autre que l’alter ego d’Ari Folman) tente de comprendre pourquoi il est hanté par les fantômes du conflit. Film sur la guerre, sur la peur et la culpabilité, Valse avec Bachir est sublimé par une animation graphique flamboyante, faite de flashs de terreurs orangées et de plongées dans le domaine du rêve. “Le dessin était indispensable pour s’affranchir du réalisme, pour restituer l’absurdité de la guerre et les errements de la mémoire”, déclare Ari Folman, qui confirme au passage qu’animé et réalisme ne sont pas antinomiques.
3. Les Hirondelles de Kaboul : fuir ou subir
Co-réalisé par Zabou Breitman (scénario) et Éléa Gobbé-Mévellec (dessins), Les Hirondelles de Kaboul a été sélectionné cette année à Cannes pour le prix Un certain regard. Film animé radical, fidèle adaptation du livre du même nom de Yasmina Khadra, et reconstitution d’un Afghanistan d’il y a vingt ans, ce long-métrage d’animation peint en filigrane le quotidien d’un couple après la prise de Kaboul par les talibans. Il se révèle être l’examen douloureux d’une déflagration politique et sociale, l’échographie d’une prison mentale dans laquelle sont enfermés Mohsen et Zunaira. À l’inverse de Valse avec Bachir et de Persepolis, dont les dessins sont forts, épais et sombres, Les Hirondelles de Kaboul est un animé de dessins élégants sur aquarelle. Quant à la mise en scène, elle n’est pas si convaincante, donnant plus de crédit à l’histoire d’amour des personnages que d’écho au contexte politique que le livre dénonce.
Les Hirondelles de Kaboul, de Zabou Breitman et Éléa Gobbé-Mévellec, actuellement en salle.
Valse avec Bachir, de Ari Folman, disponible en DVD.
Persepolis, de Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi, disponible en DVD.