28
28
Comment l’image de la sorcière a évolué à Hollywood
À quelques jours d’Halloween, retour sur l’évolution de la figure fascinante de la sorcière à travers les films hollywoodiens, de L’Adorable Voisine avec Kim Novak à Maléfique avec Angelina Jolie en passant par Les Ensorceleuses avec Nicole Kidman.
par Violaine Schütz,
et Margaux Coratte.
Publié le 28 octobre 2025. Modifié le 29 octobre 2025.

Dans son livre Sorcières: La puissance invaincue des femmes (2018), Mona Chollet explique comment la sorcière, éternelle victime du système moral des hommes, est devenue petit à petit un objet de culture pop et sympathique, une véritable icône moderne du féminisme.
Les sorcières, des personnages troubles qui fascinent le cinéma
C’est l’évolution de cette figure mythique qui était abordée en 2020 dans le documentaire d’OCS Les sorcières à Hollywood. Un film réalisé par l’autrice et réalisatrice Sophie Peyrard, qui a réalisé un portrait de Tim Burton pour Arte (en ligne jusqu’au 14 novembre 2025) et Patti Smith, la poésie du punk (disponible sur Arte).
Par le biais du cinéma et de ses personnages emblématiques, celle qui vient de lancer sa newsletter retrace l’histoire des personnages de sorcières, de la méchante marâtre des dessins-animés Disney aux belles jeunes femmes de Ma sorcière bien-aimée (1964-1972) ou des Sorcières d’Eastwick (1987).

L’adorable voisine, film de 1958 dans lequel Kim Novak est une sorcière moderne aux cheveux courts, montre bien la dualité historique de ce personnage fascinant. D’un côté, la vieille et laide sorcière démoniaque, de l’autre, la belle enchanteresse. Et c’est dans Blanche-Neige et les Sept Nains (1937) qu’apparaît pour la première fois une incarnation différente de ce personnage. La reine est belle et séductrice, pire, elle vole la beauté des autres dans un délire sans fin de vanité.
Une histoire liée à celle des femmes
Sans oublier les personnages d’Hermione Granger, de Minerva McGonagall, Maléfique (jouée par Angelina Jolie) ou les sorcières d’Agatha Christie… Ces représentations sont étroitement connectées au contexte politique durant lequel sont produits les films. Le cinéma, en miroir de la société, répond à un besoin précis : en temps de guerre, s’évader est indispensable et la sorcière est le personnage miracle pour recouvrer un peu de magie. Mais les personnages de sorcières racontent surtout l’histoire des femmes et des préjugés qui les entourent. Alors la fête d’Halloween approche, retour la relation complexe qui unit le cinéma et les sorcières.

L’interview de la réalisatice Sophie Peyrard
Numéro : Pourquoi a figure de la sorcière fascine tant le cinéma ?
Sophie Peyrard : La sorcière concentre tout ce que le cinéma aime explorer : le mystère, la transgression, la puissance. Dès les origines, elle captive parce qu’elle brouille les frontières, entre beauté et laideur, bien et mal, réel et imaginaire. Elle devient le moyen d’explorer ce que le féminin a de plus insaisissable et de plus dérangeant. C’est un personnage plastique, qui change de visage selon les époques et les genres, de la caricature d’Halloween à l’icône gothique, de Blanche-Neige à Maléfique.
À quand remonte le premier personnage de sorcière ?
La sorcière apparaît dès les débuts du cinéma. Les films muets et les premiers cartoons (Felix the Cat dans les années 20 ou Betty Boop dans les années 30)reprennent tout de suite ses signes distinctifs, le balai, la robe noire, le chapeau pointu. En fait, elle naît en même temps que le cinéma lui-même, avant de se « cristalliser » avec le film Blanche-Neige et les Sept Nains de Disney en 1937 (la reine-sorcière belle, vaniteuse, obsédée par la jeunesse et la rivalité entre femmes) et Le Magicien d’Oz en 1939 (notamment la Méchante Sorcière de l’Ouest, peau verte, démoniaque) qui installent son image pour des décennies.
Une figure glamour et puissante
Depuis les années 50, comment le personnage de la sorcière a évolué selon les décennies ?
C’est difficile de résumer, parce que la sorcière évolue à chaque décennie avec les mentalités. Mais dans les années 1950, elle devient moderne avec Kim Novak dans L’Adorable voisine (1958). Elle quitte alors l’univers du conte et entre dans la vraie vie. Dans les années 60, la sorcière passe de la comédie à l’angoisse. L’héroïne de Ma sorcière bien-aimée (1964) incarne une magie domestiquée, sage, qui cache ses pouvoirs, adaptée au rêve américain. Mais à la fin de la décennie, les longs-métrages The Witches (1966) et surtout Rosemary’s Baby (1968) renversent le ton : la sorcellerie devient inquiétante, liée à la manipulation du corps féminin.
Que se passe-t-il ensuite ?
Dans les années 70, elle s’affranchit. Season of the Witch (1972) ou Carrie (1976) associent magie, désir et révolte. C’est aussi l’époque des films d’horreur bon marché où la sorcière est prétexte à montrer des corps féminins nus et des femmes à la sexualité débridée. Dans les années 80, Les Sorcières d’Eastwick (1987) fait un carton grand public, elle est glamour et puissante. Dans les années 90, avec Dangereuse Alliance (1996), Charmed (1998-2006) ou Buffy contre les vampires (1997-2003), elle devient une figure d’empowerment façon teen movies, donc avec des bémols. Et depuis Maléfique (2014) ou The Witch (2015), elle est enfin le centre du récit, libre, impossible à réduire à un seul modèle.

Avec #MeToo, le regard sur la sorcière change
Est-ce que son évolution dépend de la montée du féminisme et est en lien avec le mouvement #MeToo ?
Oui, la sorcière évolue avec les mouvements féministes, même si ce n’est pas toujours conscient. Chaque vague du féminisme lui redonne un visage : plus libre, plus multiple, moins coupable. Ce n’est plus une figure qu’il faut défendre ou justifier. C’est une figure qui s’impose. Avec #MeToo, ce qui change, c’est le regard. On ne la filme plus comme une menace ou une victime, mais comme un sujet à part entière. Elle n’a plus besoin d’être réhabilitée, elle est enfin maîtresse de son propre récit.
Il y aura bientôt un Practical Magic 2 avec Nicole Kidman et Sandra Bullock. Sera-t-il, selon toi, très différent du premier et si oui, pourquoi ?
D’abord, il faut rappeler que le premier Les Ensorceleuses (Practical Magic, sorti en 1998) est hyper intéressant du point de vue de la sorcière à l’écran. Elle n’est plus une créature marginale ni un symbole de peur, mais une femme ordinaire, ancrée dans le quotidien avec des thèmes très concrets comme l’amour, la maternité, la violence domestique. La sorcellerie devient une métaphore du soin et de la sororité. Et en plus, il ne punit pas ses héroïnes à la fin, ce qui est assez rare pour être souligné. Dans le contexte post-#MeToo, la suite devrait inévitablement rompre avec la vision romantique et domestique du premier opus pour aller vers quelque chose de plus attentif aux représentations, plus en phase avec les débats contemporains, et moins naïf dans sa façon de parler de l’amour, du féminin ou du pouvoir. Enfin je l’espère…
Les meilleurs films à voir sur les sorcières
Quels sont, pour vous, les meilleurs films à voir sur les sorcières ?
C’est difficile de dire si ce sont les meilleurs mais parmi ceux qui me parlent le plus, il y a L’Adorable Voisine de Richard Quine (1958). Je trouve ce film très moderne car c’est la première sorcière indépendante, bohème et urbaine à la fois libre et enfermée dans une vision romantique de la féminité. Et Kim Novak est parfaite. Ensuite, je dirais Carrie au bal du diable (1976) de Brian De Palma. Ici, la magie n’est plus un don extérieur, mais une énergie intérieure qui naît du traumatisme, du rejet et du désir. De Palma filme une révolte adolescente où le pouvoir devient vengeance et libération. Aussi, j’aime beaucoup Les Sorcières d’Eastwick (1987) de George Miller. Hollywood réhabilite la sorcière en la rendant glamour et ironique. Cher, Michelle Pfeiffer et Susan Sarandon excellent en femmes puissantes et désirantes. Le film fait basculer la sorcière du côté du plaisir et de la légèreté, sans la vider de sa charge subversive.
Et parmi les films plus récents ?
J’ajouterais Dangereuse Alliance (1996) d’Andrew Fleming. La sorcière devient une icône adolescente. La magie sert à reprendre le pouvoir sur le harcèlement, la honte, le racisme. C’est le symbole de l’empowerment féminin des années 90 et Maléfique (2014) de Robert Stromberg. La sorcière entre dans l’ère du récit réécrit. On découvre son point de vue, ses blessures, ses motivations. C’est la bascule vers la subjectivité, où la “méchante” devient héroïne, figure d’autonomie et de réconciliation.
Practical Magic 2 de Susanne Bier, au cinéma le 16 septembre 2026.