Rencontre avec Marie-Flore : « On demande beaucoup aux gens de faire semblant d’aller bien en ce moment »
Alors que son troisième album au titre énigmatique Je sais pas si ça va vient de sortir, la chanteuse parisienne Marie-Flore revient parler aux amoureux et à tous les autres avec ses ballades mélancoliques aux paroles percutantes et ses fulgurances pop. Qu’elle s’adresse à ceux qui lui ont brisé le coeur ou à l’homme qu’elle vient de rencontrer mais qu’elle aime déjà, Marie-Flore, en dévoilant avec justesse ses émotions, réparent les coeurs. Rencontre avec une magicienne aux mots crus mais à la douceur inouïe.
Par Chloé Bergeret.
Numéro : Comment avez-vous composé et réalisé le clip extraordinaire du morceau Je sais qu’il est tard présent sur votre dernier album ?
Marie-Flore : J’étais dans une errance créative. Je n’arrivais pas à trouver l’axe de cet album. Mais le titre m’est venu un soir de janvier, devant mon piano et, c’est un poncif de dire ça, mais ça a été une évidence. Dans ma chanson, j’avais envie de retranscrire ce que je voyais. Quant au clip, j’ai travaillé avec un ami de longue date, un très bon vidéaste, Ben Berzerker, avec qui j’avais déjà travaillé. Je savais que le titre Je sais qu’il est tard est un morceau à textes, un titre fleuve et cela me semblait logique d’être dans une cabine téléphonique pour le clip. C’est la chanson que tu peux déclamer un peu tard le soir quand tu es ivre. Tu appelles ton ex alors que tu ne devrais pas (rires). Je voulais bien mettre en scène tout ce que je raconte dans la chanson, les premières secousses, les répliques. Je me suis rendu compte que cette cabine téléphonique avait le même format qu’un téléphone. Alors j’ai fait de ce clip un scroll infini sur un téléphone, un truc qui ne s’arrête jamais, qui tourne en boucle. Comme cette chanson finalement, qui est un peu une ballade, une ritournelle…
Vous vouliez, au départ, des acteurs pour chaque phrase prononcée dans le clip. Finalement c’est vous l’actrice principale dans des tenues différentes. Quel est votre rapport au vêtement ?
C’est le travail très cool de la styliste surtout qu’il faut retenir sur ce clip (rires) ! Mais c’est vrai que j’adore les vêtements. Sur scène, bizarrement, c’est l’endroit où je fais le moins de folies. Je ne sais pas pourquoi mais je ne m’autorise pas des trucs incroyables. Je crois que je privilégie le confort et l’élégance. Par contre, dans la vie, dans mes clips et sur mes photos, j’aime porter de vraies créations. Et dans le clip, la styliste a trouvé un bon entre-deux : d’une part des tenues qui sont complètement « atmosphériques » et d’autres plus confortables.
La chanson Mal barré présente sur l’album est beaucoup plus dansante et beaucoup plus pop, même si les thèmes restent les mêmes… Est-ce que ce sont deux faces de votre personnalité?
C’est toujours difficile de répondre à ces questions, parce que je ne pense pas me limiter à ces deux faces mais c’est sûr que la mélancolie est très forte chez moi. Je la trouve nécessaire à toute forme de création. La mélancolie ce n’est pas forcément une tristesse, c’est plus de l’observation, de la contemplation. Mais effectivement j’aime les échanges piquants. Et je n’aime pas la tiédeur en général. J’essaie de mettre aussi ça dans mes textes…
Ce nouvel album est aussi éclectique que votre précédent Braquage (2019)…
Oui, mais j’ai laissé tomber le côté pop urbaine, presque rap, qu’on trouvait sur Braquage. C’est un disque résolument pop, dansant même si on retrouve toujours mes ballades. J’ai beaucoup pensé à l’aspect live et concert car j’avais très envie d’exploser et de m’amuser sur scène avec des titres dynamiques.
Le titre de l’album est énigmatique : Je sais pas si ça va. Vous y explorez les sentiments et les émotions encore plus qu’avant…
Ce titre reflète à la fois la période de huit mois durant laquelle j’ai écrit ce disque, une période assez courte et qui était très flottante à cause de l’ambiance et du contexte. J’avais effectivement du mal à me sonder moi-même. Et à la fois j’aime bien ce titre parce que ça dit tout et ça ne dit rien en même temps. Ce titre est drôle parce qu’il y a une faute de syntaxe. Enfin, c’était aussi un message pour qu’on arrête de se prendre la tête. Je trouve qu’on demande beaucoup aux gens de faire semblant d’aller bien en ce moment et moi c’est quelque chose qui me fatigue beaucoup. Ne pas aller bien ne veut pas forcément dire aller très mal et j’avais envie de détendre un peu l’atmosphère avec ce disque.
« Je sais qu’il existe des peines heureuses et des joies tristes, » déclare Marie-Flore sur le titre Je sais qu’il est tard, sorti quelques semaines avant son troisième opus, Je sais pas si ça va. Cela en dit long sur les contradictions qui animent la trentenaire sur cet album pop et dansant. Après le succès de Braquage en 2019, un disque aux paroles crues, incisives et piquantes, adressé à un seul et même homme, l’auteure-compositrice continue à dresser la cartographie de l’amour d’aujourd’hui. Entre coup de foudre et déceptions amoureuses, cette multi-instrumentiste se dévoile avec une sincérité désarmante qui ferait même fondre les coeurs les plus endurcis. Sa voix rauque qui ne laisse peu de place au lyrisme dégoulinant des chansons romantiques, laisse entendre les états d’âmes d’une artiste à fleur de peau. Rencontre.
La faute de syntaxe dans le titre crée une oralité qui se rapproche de la manière dont vous parlez dans vos chansons. C’est important ce ton cru et oral ?
C’est exactement ça. J’ai un ami qui a corrigé ce titre en voulant rajouter la négation, mais je lui ai répondu que ce n’est pas correct mais que c’est plus proche de la vraie vie. J’aime balancer des choses sans passer par quatre chemins et je les rééquilibre toujours avec des phrases plus romantiques ensuite.
Et quelles sont vos inspirations musicales sur cet album ?
Je suis un peu « vieille » mais bien entendu, j’écoute ce qui se fait, mais c’est rare que ça devienne une référence pour moi. J’ai toujours les mêmes inspirations, la musique des années 60 (rires). Enfin, il y a peut-être une exception c’est Dua Lipa et surtout son dernier album sorti pendant le Covid, Future Nostalgia. C’est une femme et une artiste exceptionnelle. Il y a certaines sonorités que j’ai eu envie d’essayer de retrouver, mais après je ne veux pas copier et comme je compose moi-même je suis limitée parce que je ne sais faire. Mais même si musicalement, l’influence ne se fait peut-être pas sentir, c’est un album qui m’a donné beaucoup de force et de bonne humeur notamment pendant la pandémie.
Votre évolution musicale, qui va du folk chanté en anglais à l’électro et la pop, correspond-elle à votre évolution personnelle ?
Tout cela s’est passé assez naturellement. Le folk au début de ma carrière, c’est parce que j’écoutais énormément de musique des années 60 et que je voyageais beaucoup, donc forcément je parlais anglais. Et mes figures tutélaires musicales sont des Anglais. Après je suis passée au français et j’ai modifié ma manière de composer parce que je ne voulais pas faire du guitare-voix en français. C’était impossible pour moi donc j’ai appris le piano. C’est ça qui a coloré d’une autre couleur ma musique et depuis je m’ouvre à de nouvelles choses.
Un artiste nous disait récemment qu’il y avait une grande différence pour lui entre chanter en anglais et en français, surtout lorsqu’il s’agissait de parler de sentiments. Qu’en pensez-vous ?
Ce sont des thèmes que j’explore autant en anglais qu’en français, mais c’est vrai qu’écrire en français, ce n’est pas facile. Tu n’as plus la carapace que te propose la barrière de la langue. Dire “I miss you” en anglais, ce n’est pas la même chose que dire “tu me manques. » J’adore écrire en français mais parler d’amour c’est peut-être un peu impudique.
Justement, pourquoi parlez-vous autant d’amour?
Ce thème correspond à ce que je suis. J’adore observer les relations entre les gens et en parler. Sur le prochain disque, je suis beaucoup dans l’observation. Sinon toutes mes chansons sont quasiment autobiographiques. On m’a souvent dit de changer de disque, mais c’est impossible. Je suis très bien là-dedans. Et souvent, des gens m’écrivent et me disent que ça les aide. Parfois, on me demande même des conseils… (rires) Un couple à la terrasse d’un café par exemple, m’a expliqué que mon disque les avait suivi pendant leur séparation.
Est-ce qu’il y un côté cathartique dans vos chansons ?
Il y a une forme de réparation. Ce sont des chansons qui arrivent avec un certain retard par rapport à la vie, mais je ne suis pas sûre que ça me soigne vraiment. En tout cas, la musique me permet de dire des choses que je n’ai pas eu le temps de dire bien souvent.
La chanson Tous des connards s’adresse-t-elle à des personnes croisées sur votre chemin ?
J’en ai rencontré quelques-uns mais cette chanson a un double niveau de lecture. Je veux qu’on l’écoute au premier degré, après s’être fait larguer, avec l’envie de tout casser. Mais c’est surtout très ironique. Je chante avec un sourire en coin. Bien entendu je ne crois pas une seconde au fait que tous les hommes soient des connards. Il y a des hommes très bien. Mais c’est ça qui me fait rire, de balancer une bonne idée reçue. C’est marrant parce que beaucoup sont mal à l’aise avec cette chanson…
Vous parlez beaucoup de toxicité et d’amour malheureux…
Ces thèmes sont très présents sur mon dernier disque mais aujourd’hui c’est totalement autre chose. Je suis passée à un autre sujet, dans ma vie personnelle et musicalement… Bien sûr qu’on peut aimer différemment. Mais j’ai surtout envie de faire passer le message que cette toxicité n’est pas une fin en soi, qu’on peut se trouver dans ces schémas à certains moments de son existence mais qu’on peut aussi en sortir. Sur l’album Braquage, je n’étais pas dans la valorisation de l’amour toxique, mais souvent, les relations te surprennent et tu te rends compte de la réalité des choses quand il est trop tard.
Vous abordez la sexualité et le rapport au désir dans vos chansons. Est-ce un acte militant ?
Je pense que c’est important que les filles s’emparent de ce thème, après je n’écris jamais en me disant que je veux que ce soit militant. Il y a une chanson sur le disque dans laquelle j’essaie d’explorer le rapport au sexe, au corps et au partenaire. Et j’essaie de montrer une certaine forme de sensualité… Ce qui manque parfois dans le rap que j’adore par ailleurs. Certains textes de rappeurs résonnent comme des phrases balancées par de gros lourdauds au bar qui ne savent pas s’y prendre… Mais je trouve ça génial qu’il y ait de plus en plus de chanteuses qui osent parler de sexe et dire « une bite est une bite. »
Je sais pas si ça va (2022) de Marie-Flore, disponible sur toutes les plateformes.