Le mythique photographe Philip-Lorca diCorcia exposé à Paris chez David Zwirner
À l'occasion du Paris Gallery Weekend, la galerie David Zwirner présente dans son jeune espace parisien inauguré il y a quelques mois une exposition du photographe américain Philip-Lorca diCorcia. Numéro art s'est entretenu avec cet artiste culte ainsi que Greg Lulay, le directeur de la galerie David Zwirner à New York, au sujet des clichés merveilleusement théâtralisés qui y sont présentés.
Propos recueillis par Matthieu Jacquet.
Avec ses clichés ultra-réalistes et méticuleusement agencés, le photographe Philip-Lorca diCorcia est passé maître dans un art subtil de la mise en scène. De nombreuses réalités du monde d’aujourd’hui se lisent dans les récits visuels de cet Américain : celles d’une société de plus en plus mondialisée, urbanisée et inégalitaire, soumise à l’aube du XXIe siècle à de nouveaux modes d’existence qu’il signifie avec splendeur et théâtralité. S’inspirant volontiers de la photographie de mode, l’artiste imprègne plusieurs de ses projets éditoriaux de ses réflexions un rien cyniques, dont sa fructueuse collaboration avec W Magazine se fait certainement l’exemple le plus puissant. Actuellement à l’affiche d’une nouvelle exposition personnelle à la galerie David Zwirner, le photographe revient pour Numéro art sur sa rencontre avec le galeriste et certaines de ses œuvres exposées. Greg Lulay, directeur de la galerie new-yorkaise, évoque quant à lui ce qui fait tout le talent de cette figure majeure de notre époque.
Numéro art : Comment avez-vous rencontré David Zwirner et quels souvenirs avez-vous gardé de cette rencontre ?
Philip-Lorca diCorcia : Rien ne s’est passé dans l’ordre que l’on peut imaginer. En 2007, j’ai rencontré David dans son bureau et il m’a dit : “Je pense que vous devriez savoir que nous sommes passés de représenter quinze à désormais vingt artistes, et aujourd'hui nous ne sommes pas encore là où nous souhaiterions être.” Il était très honnête sur ce que la galerie pouvait proposer et sur ses faiblesses. Je n’avais pas vraiment de réponse à cela mais David a toujours été très franc. Tout ce que l'on peut en conclure c'est qu’ils représentaient vingt artistes à l’époque, et que désormais ce nombre est passé à plus de cinquante. Par ailleurs, j’aime beaucoup David et je connais et apprécie ses enfants. Ce n’est pas exactement une famille, mais cela donnait l’impression d’en être une.
“Dans toutes ces images, j’avais une idée du scénario. On y lit aussi une critique, pas seulement du monde de la mode, mais du monde en général.”
Pouvez-vous décrire quelques œuvres exposées en ce moment dans l’espace parisien de la galerie ?
PLD : La galerie dévoile une image réalisée au Caire pour le magazine W d’un garçon assis dans un chantier. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est le cousin de Christian Louboutin. Je ne savais pas qu’il avait des origines égyptiennes. Le cousin venait de ce qu’ils appellent en Égypte “le Nord”. Sa peau foncée, au Caire, signifie que l’on vient de la partie sombre de l’Égypte. Et la fille à ses côtés était très blanche, très privilégiée. En faisant ce genre de choix, on donne de l’importance à ce qui, dans d’autres circonstances, n’aurait pour seul but que de mettre en avant des vêtements. Une autre image vient de ma série réalisée en 2000 à New York, qui montre deux femmes et un jeune homme photographiés dans le célèbre restaurant Windows on the World. Ces personnages reviennent tout au long de la série. Le garçon pourrait très bien travailler dans les rues, il ressemble à un gigolo. Le cliché exposé à Paris le montre étendu sur un sofa, près des deux femmes et d’un officier militaire. Dans mon travail, il m’arrive de faire des erreurs car on n’a pas le temps de changer d’avis, mais dans toutes ces images, j’avais une idée du scénario. Ces personnes étaient ce qu’elles étaient. Elles appartenaient à un groupe élitiste d’individus qui en invitaient d’autres. Ce garçon, qui était l’un d’entre eux, venait de Floride dont il s’était échappé.On y lit aussi une critique, pas du monde de la mode, mais du monde en général.
Greg Lulay, l’exposition de Philip-Lorca diCorcia dans l’espace parisien de la galerie rassemble des œuvres réalisées à la fin des années 90 et au début des années 2000. Pourquoi David Zwirner a-t-il choisi de revenir à ces travaux ?
Greg Lulay : Entre 1997 et 2008, Philip-Lorca diCorcia a réalisé onze séries de photographies en collaboration avec le directeur créatif de W, Dennis Freedman. Ces sujets restent parmi les projets éditoriaux les plus ambitieux de la décennie ; diCorcia et Freedman ont traversé le monde pour les réaliser, du sommet du World Trade Center à un célèbre club échangiste parisien. Présentées à Paris, ces images semblent très pertinentes aujourd’hui : l’une montre une femme seule dans un avion, une scène extrêmement puissante en cette période où les déplacements ont été très réduits. Plusieurs images ont aussi été réalisées à Paris. L’une des plus iconiques représente l’actrice française Isabelle Huppert dont le visage se détache d’un groupe de passants dans une rue parisienne bondée.
“Ces clichés proposent un équilibre délicat entre glamour et détermination, imagination et ironie.”
Quel serait le fil rouge de cette nouvelle sélection ?
G.L. : Bien que l’exposition rassemble des photographies issues de différents projets éditoriaux réalisés entre 1997 et 2008, elles tissent ensemble des récits denses, parfois loin de l’emphase habituelle de la beauté conventionnelle que l’on retrouve dans l’industrie de la mode. À la place, ces clichés proposent un équilibre délicat entre glamour et détermination, imagination et ironie.
Des photographies ou séries inédites y sont-elles dévoilées ?
G.L. : Nous présentons trois clichés qui n’ont jamais été montrés par la galerie. Et en parallèle de l’événement parisien, nous inaugurons une exposition exclusivement en ligne intitulée Philip-Lorca diCorcia: Heavenly Bodies. On y verra trois nouvelles images d’une série réalisée en 2018, à l’occasion de l’exposition Heavenly Bodies: Fashion and the Catholic Imagination au Metropolitan Museum of Art de New York.
Philip-Lorca diCorcia, jusqu'à la fin juillet à la galerie David Zwirner, Paris 3e.
Découvrez la programmation complète du Paris Gallery Weekend ici, du 2 au 5 juillet 2020.