Who is Jadé Fadojutimi, young painter already represented by mega-gallery Gagosian?
Née à Londres dans les années 90, Jadé Fadojutimi est déjà une jeune sensation de la peinture abstraite. Dans ses toiles affleurent des éléments figuratifs, comme des bribes de souvenirs. Nouvellement représentée par la méga galerie Gagosian, elle dévoilait sa première exposition en Asie, à Tokyo, à la Taka Ishii Gallery.
Propos recueillis par Nicolas Trembley.
Interview by Nicolas Trembley.
Ce qui frappe instantanément dans les toiles de Jadé Fadojutimi, c’est d’abord la formidable énergie qui semble s’en dégager. Sa dernière exposition à Tokyo (la première à lui être consacrée en Asie) ne proposait “que” quatre grands formats. Pourtant, ils semblaient occuper l’intégralité de l’espace, tant par leurs couleurs, à la fois stridentes et pastel, que par ces mouvements picturaux générant une oscillation entre abstraction et figuration dont ils portent la trace. Née à Londres au début des années 90, l’artiste est un pur produit de l’éducation artistique à l’anglaise : Slade School of Fine Art et Royal College of Art. Sa peinture se développe au gré des émotions qu’elle ressent au moment où elle peint. Une pratique performative et thérapeutique qui engage tous ses sens, mais aussi sa biographie : celle d’une jeune femme artiste aux origines nigérianes, installée à Londres, en 2023. D’ailleurs l’exposition précitée portait justement le titre : Memory in Translation. Si Joan Mitchell figure parmi ses références, la mode et la musique sont tout aussi importantes, de même que les mangas, qui l’ont souvent amenée à se rendre au Japon. C’est là-bas, dans son exposition, que nous l’avons rencontrée pour qu’elle nous parle de son travail. Nous la retrouverons bientôt en France, à Arles, où elle effectue une résidence à la Fondation Luma.
Numéro : Pouvez-vous nous parler de vos récentes toiles présentées à la Taka Ishii Gallery de Tokyo ?
Jadé Fadojutimi : Je serais tentée de les qualifier de paysages purement abstraits, mais je dirais qu’il y a aussi dans ces toiles un dialogue avec la figuration. J’aime à penser que chacune d’entre elles se place, individuellement, quelque part sur le continuum entre abstraction et figuration. Je voudrais que, pour moi comme pour celles et ceux qui les regardent, elles restent suffisamment ouvertes pour que s’installe – visuellement – un dialogue personnel avec elles… Et c’est là que les titres que je leur donne entrent eux aussi en ligne de compte. Ma pratique artistique a toujours intégré non seulement mon intérêt pour certaines sous-cultures japonaises, mais aussi pour le contexte spatial dans lequel je me trouve, et également les articles ou les objets que je choisis de conserver dans mon espace familier, sans oublier les photos que je prends au quotidien. Parce que, de mon point de vue en tout cas, les choix que nous faisons, les petites décisions que nous prenons, doivent être examinés et questionnés. J’aime réunir à la surface de la toile ce qui, je crois, constitue le reflet d’un moment de ma propre existence. En particulier aujourd’hui, où il est beaucoup question de ce que signifie “être soi” dans une société qui cultive la diversité – du moins à Londres. À travers ma peinture, il s’agit donc d’identifier l’importance de ce qui vous attire et de ce qui vous plaît, que ce soit la couleur, les motifs d’un vêtement que vous portez tout le temps, ou, dans mon cas personnel, une bande-son – parce que c’est essentiel pour moi –, en tout cas quelque chose qui a initié en vous ce dialogue intime. Je ne sais pas, moi… un questionnement profond sur l’existence, sur la beauté ou simplement sur la forme du canapé qui se trouve dans mon atelier, ou un échange avec mes plantes. Il est parfois compliqué de ne pas être invisible à soi-même. D’une certaine façon, ma nouvelle exposition est aussi un commentaire de la mémoire.
Quels sont les autres éléments qui influencent votre peinture ?
J’écris et je dessine beaucoup. Je revisite aussi certaines expériences de mon passé, c’est pour ça qu’il est important pour moi d’écouter des bandes-son que j’ai aimées dans mon enfance. Ce qui me plaît énormément dans la musique, c’est ce pouvoir qu’elle a de vous transporter dans un souvenir. Elle vous permet en plus de revisiter des émotions que vous avez éprouvées à ce moment-là. Dans mon atelier, j’ai des grosses enceintes de boîte de nuit, et je passe souvent des bandes-son de mon passé, des génériques d’anime [dessin animé japonais s’inspirant des mangas] japonais, de jeux vidéo, ou encore de fictions. Des compositions de Kevin Penkin par exemple. J’aime aussi énormément Hans Zimmer. Ces musiciens me permettent de m’immerger totalement dans un processus de pensée…
Dans quel environnement avez-vous grandi ?
J’ai grandi dans la banlieue de Londres. Je suis d’ascendance nigériane, mais je suis née à Londres. Le dialogue avec ma pratique artistique et mon identité s’est noué lorsque j’ai pris conscience que, lorsque j’étais en famille, ma culture était celle d’une jeune Nigériane, mais qu’une fois le seuil de la maison franchi, j’étais une jeune Britannique. J’avais l’impression de flotter dans des limbes un peu étranges. J’ai toujours trouvé ça assez fascinant, et en même temps, je me suis sentie un peu perdue face à cette situation. Je m’interrogeais beaucoup sur la façon de me définir. Je remettais les choses en question, je me demandais si ceci ou cela était bien ou non, si cela se faisait ou pas. Ayant grandi à Londres, je me suis aperçue qu’en définitive je passais beaucoup plus de temps à l’intérieur qu’à l’extérieur. C’est aussi pour ça que je me suis intéressée aux anime. J’étais attirée par ces histoires car elles me faisaient découvrir une autre façon de communiquer les émotions humaines, que je ne retrouvais pas nécessairement dans le cinéma occidental. Les anime m’ont également permis d’ouvrir la perspective que j’avais de moi-même.
Vous sentez-vous proche d’un groupe d’artistes en particulier ?
Je suis une artiste solitaire. Je vais presque tous les jours à mon atelier, j’aime bien m’enfermer dans mon monde à moi. Ce lieu contient aussi toute une collection de choses qui me viennent de mon passé comme de mon présent. Lorsque je me retrouve dans cet espace, je laisse le reste du monde à l’extérieur. Quand je peins, je vis les choses avec énormément d’intensité et, dans ces moments-là, je ne peux être avec personne d’autre que moi-même. Puis il arrive un moment où j’ai besoin de fuir mon atelier.
Le lieu et l’architecture de l’endroit où vous exposez vous intéressent-ils ?
Oui, cela a de l’importance, notamment le sujet des fenêtres. Dans certaines de mes toiles, j’utilise un pigment de la marque Williamsburg. C’est une peinture dite “à interférences”, dont la couleur peut changer selon l’endroit où l’on se tient, en particulier à la lumière du jour. Ces interférences concernent quatre couleurs de peinture : le violet, le rouge, le bleu et le vert.
Vos dessins ont-ils pour rôle de préparer vos toiles ou sont-ils indépendants ?
La plupart sont indépendants. Je dirais que, de la même façon que les gens tiennent un journal intime, moi je dessine un journal intime avec les explosions d’énergie, de réflexions ou de couleurs qui me viennent à l’esprit. Dans mon atelier, j’ai tendance à recouvrir les murs de dessins. Plutôt que de me servir directement d’un dessin pour peindre une toile de bout en bout, je vais peut-être plutôt en extraire certains éléments, et laisser tout cela distiller dans une multitude d’œuvres.
Y a-t-il des choses dont vous aimeriez faire prendre conscience à travers votre pratique artistique ?
Ce que j’aime dans la peinture, c’est qu’elle produit des occasions de discussions avec nous-mêmes. Devant une œuvre qui vous attire, il arrive toujours un moment où, alors que vous cherchez à vous en éloigner, vous n’y parvenez pas. Je suis très intriguée par la nature du pont qui se crée entre une œuvre que l’on aime et soi. J’ai toujours eu envie de comprendre à quoi tient cet amour-là. Qu’est-ce qui me plaît là-dedans ? Et qu’est-ce que je n’aime pas ? Qu’est-ce que ça me rappelle ? Je crois que toutes ces questions sont légitimes. Ce que j’apprécie dans ma pratique de la peinture – comme dans les titres que je donne à mes toiles –, c’est de pouvoir en faire des espaces où les gens vont peut-être, eux aussi, se reconnaître. Se dire : “Voilà, ça, c’est ce que je vois, et cela ne pose pas de problème, mais pourquoi est-ce que je le vois comme ça ? Quelle signification cela a-t-il pour moi ?”
Jadé Fadojutimi est représentée par les galeries Gisela Capitain, www.galeriecapitain.de, Gagosian, www.gagosian.com et Taka Ishii, www.takaishiigallery.com
What immediately strikes the beholder of Jadé Fadojutimi’s paintings is the energy they give off. At her recent Tokyo exhibition (her first in Asia), she showed “only” four works, which nonetheless filled the entire space thanks to their colours, at once strident and pastel, and to the pictorial movement of which they bear the trace, oscillating between figuration and abstraction. Born in early-90s London, Fadojutimi studied art first at the Slade and then at the RCA. Her paintings are the result of a performative and therapeutic practice that engages not only all of her senses, but also her autobiographical experience as a female artist of Nigerian origin in 2023 London – whence her show’s title, Memory in Translation. While Joan Mitchell is a clear influence, fashion and music are just as important, as are mangas, which have often taken her to Japan. It was at her Tokyo exhibition that Numéro met up with Fadojutimi, who will soon be coming to France for a Luma Foundation residency in Arles.
Numéro: Tell us about the work you recently showed at Tokyo’s Taka Ishii Gallery.
Jadé Fadojutimi: Though they’re purely abstract landscapes, there’s a dialogue with figuration within that too. I like to think of them as being on the spectrum between abstraction and figuration. I’d like them to remain open for both myself and the viewers, who will have their own dialogue with them visually. This is when my title starts to play a role too. As well as a conversation around my interest in certain Japanese subcultures, my work has also always been about the space I find myself in and the items or objects I choose to keep in my space, whether the studio or the home, as well as photos I find myself taking every day. Because I think those small decisions we make are some- thing to question and consider. So my paintings are about noticing what the importance of the thing you’re drawn to is, whether it was the col- our or pattern of a certain item of clothing you wear all the time, or a soundtrack, for me personally, because I love soundtracks a lot. A thing that started a conversation with you internally – a conversation about, I don’t know, deep questions to do with existence, or beauty, or simply the shape of the couch in my studio and a dialogue with the plants. I like to bring them together on the canvas to reflect a moment of my own existence. And I think that, when we’re having a lot of conversations about what it means to be you in a society of cultivating diversity, at least in London, it can be hard to notice yourself. In a way, my new show is a comment on memory.
What else goes into your work?
I’m doing a lot of writing. And a lot of the drawing I’m doing is if I’m seeing shows or if I’m traveling, and also reflecting on how my past experiences as a child became interweaved with my practice. Which is why I find it important to listen to soundtracks that I loved as a kid: the music has the power to transport you back to a memory and revisit the emotions you felt that first time. In my studio, I have these large club speakers to submerge myself in soundtracks and the thought processes they engender.
What kind of music?
Japanese anime soundtracks, as well as video-game and drama soundtracks. Kevin Penkin is one, and I love Hans Zimmer too.
What’s your background?
I was born and grew up in suburban London, in a Nigerian family, but I wasn’t introduced to art through my parents. The conversation with my practice and identity started with this understanding that when I was home, I had the culture of being a Nigerian girl, but when I stepped out the door I was a British girl. It felt like this weird limbo space where when you go home different things are expected of you than when you’re outside. I always found that fascinating. And at the same time it left me feeling quite lost as a kid, questioning myself as to how I define myself, even separately to those two entities. As a kid I was always questioning things, wondering whether it’s okay not to be okay, for example. I spent a lot of time inside, and I think that’s where I found this obsession with anime, because I was drawn to the stories that were communicating, to me, a different way of translating human emotion, one I didn’t find in Western cinema. It opened up my perspective about myself.
When did you decide you wanted to be an artist?
I don’t think I ever decided I wanted to be an artist. I just loved making art. All the time. At school I took photographs, and then I started painting. I chose to study art at university because I wanted to do what I enjoyed. At the Slade, where I had to choose between painting or sculpture, I chose painting because I love colour. My way of existing is to just step into the things that fascinate me. When I was really young, I wanted to be a fashion designer. And my dream is to be a composer. So now I call myself a composer of colour.
Do you feel affinities with a particular group of artists?
I’m a lone artist. I go to the studio almost every day. I like to trap myself in my own world, maybe too much at times. My studio plays a big part in that, it’s like a collection of things I have from past and present parts. it feels like a mini installation. Once I’m in that space, I shut out the world. Because I’m such an intense painter, there aren’t many moments when I’m with others. But there are times I want to run away from the studio, which I think is important. That’s when I start contacting everyone to say, “Hey…!”
How much do you care about the spaces you exhibit in?
I do care, especially when there’s a window. In certain paintings I use Williamsburg’s interference paint: depending where you stand, especially if there’s a window, the painting changes colour. Interference paint comes in violet, red, blue and green.
Are your drawings preparatory studies for your paintings or independent works in their own right?
Most of them are independent. Some people write a diary, I guess I draw a diary – the burst of energy, thoughts, or colours that are in my mind. In the studio, I tend to fill my walls with the drawings. And rather than using a drawing directly to start and finish a painting, I might extract elements from the drawing and let them intertwine into many works.
What do you seek to make people conscious of through your work?
What I love about painting is that it’s a discussion with ourselves. When you see a work you’re drawn to, there’s always a moment where you want to leave but you can’t. I’m always curious about that bridge of conversation we’re having with the work we enjoy, because I always want to notice what it is I love about it, what it is I don’t like, and what it reminds me of. I think all those thoughts are valid. I want my canvases to be spaces where people maybe recognize themselves and think, “I see this, and that’s okay, but why do I see this? And what does that mean to me?”
Jadé Fadojutimi is represented by the galleries Gisela Capitain, www.galeriecapitain.de, Gagosian, www.gagosian.com and Taka Ishii, www.takaishiigallery.com