La Fondation Bally s’impose à Lugano comme une nouvelle destination incontournable
La Fondation Bally s’installe au cœur d’une exceptionnelle villa sur les rives du lac Lugano et s’impose déjà avec sa première exposition ”Le Lac Inconnu” comme un lieu incontournable.
par Thibaut Wychowanok.
Close your eyes. L’inscription en vinyle noir apparaît sur la vaste baie vitrée de la villa Heleneum embrassant le sublime lac Lugano. Mais pourquoi fermerait-on les yeux face à un tel paysage ? L’injonction est de l’artiste Haim Steinbach. Elle ouvre la première exposition de la fondation Bally imaginée par sa nouvelle directrice, Vittoria Matarrese. Steinbach collectionne depuis des années des morceaux de textes qu’il transfère habituellement sur des murs. Sorties de leur contexte, ces phrases reprogramment notre vision et notre compréhension des lieux d’exposition. Elles nous invitent à de nouvelles règles du jeu et à “voir” autrement.
Ici, il faudrait abandonner quelques instants notre fascination pour l’environnement fantastique qui s’offre au regard. Il est question désormais de fermer les yeux pour plonger dans notre paysage intérieur et expérimenter les visions mentales du lac imprimées dans notre mémoire. C’est tout le programme de ce “lac inconnu” imaginé par Vittoria Matarrese : laisser pénétrer le lac à l’intérieur de la villa et de notre esprit et inviter à l’expérience des sensations procurées. Avant d’être le titre de l’exposition, l’expression issue du roman Le Temps retrouvé de Marcel Proust y désignait alors l’inconscient, celui de nos pensées et émotions les plus profondément enfouies. Elles émergent tout au long du parcours de la villa Heleneum, lieu d’une poésie folle et parfait écrin pour le projet – et inversement.
Sur un mur d’écrans, face au lac, la vidéo d’Emilija Skarnulyte nous plonge en immersion totale dans les eaux du golfe de Naples où une sirène-archéologue (l’artiste lituanienne) explore les fonds marins et les ruines d’une civilisation disparue. Pris entre deux eaux, le lac et la mer, le visiteur navigue lui-même dans la contemplation douce et méditative avant de laisser poindre les sensations vertigineuses d’une fin possible du monde. Les vestiges sont-ils ceux de notre époque de crise climatique ? Parmi la vingtaine d’artistes internationaux réunis, dont certaines stars comme Philippe Parreno et Rebecca Horn, les deux toiles d’Oliver Beer frappent en fin de parcours. L’Anglais a enregistré les sons du lac Lugano avant de les projeter via des enceintes sur la toile. Les vagues sonores dispersent alors les pigments secs en poudre préalablement disposés.
L’inconscient du lac, sa musique intime, prend alors une forme physique fascinante. Avec Mel O’Callaghan, le bâtiment semble lui-même respirer de son environnement. Ses capsules en cristal presque transparentes reflètent et déforment l’espace, les corps et le paysage en matière quasi liquide. Tout y est réuni, éthéré, extase et hallucination à l’image de cette première exposition d’une rare intelligence (du lieu et sur l’art contemporain le plus actuel) et d’une exceptionnelle sensibilité. Après dix-sept ans d’existence, la fondation Bally passe définitivement à la vitesse supérieure, autant par son lieu que par sa programmation.
Le Lac inconnu à la fondation Bally, Lugano. Jusqu’au 24 septembre.