25 avr 2023

Qui est Léo Walk, chorégraphe français au succès fulgurant ?

Il a élaboré son style sensible à partir des figures du breakdance. À 28 ans, le danseur et chorégraphe Léo Walk, à la tête de sa compagnie La Marche Bleue, a conquis tous les milieux, depuis la mode jusqu’au cinéma, qui l’a programmé en vedette de la cérémonie des César. Après un premier spectacle très réussi, il a présenté ce mois d’avril sa deuxième création au Théâtre du Châtelet.

Texte par Delphine Roche.

Portrait par Jacob Sutton.

Réalisation par Jean Michel Clerc.

Le danseur Léo Walk © Jacob Sutton Coiffure : Jacob Kajrup chez Calliste Agency. Assistante réalisation : Nina Le Diabat. Set design : Hana Al-Sayed chez Production AS. Numérique : Halldora Magnusdottir chez Déjà-vu Paris. Retouche : Spring Studios. Production : Art Partner

Léo Walk : le danseur et chorégraphe qui séduit le cinéma et la mode 

 

Il est un des fers de lance d’une nouvelle génération de danseurs et chorégraphes venus du hip-hop. À 28 ans, Léo Walk est absolument partout, incontournable. Ceux qui ne le connaissaient pas ont dû le découvrir lors de la cérémonie des César, en février 2020, où sa compagnie La Marche Bleue s’est illustrée sur scène. D’autres l’ont certainement remarqué via ses créations pour les marques Lacoste ou Ralph Lauren, ou encore pour la Fondation Louis Vuitton. Plutôt que de lui monter à la tête, le succès donne au jeune homme la gravité précoce de ceux qui croulent déjà sous de nombreuses responsabilités. Il y a déjà quatre ans qu’il a fondé sa compagnie constituée de danseurs venus de l’“underground”, plutôt que des ballets classiques ou des écoles de danse contemporaine. Au carrefour des styles hip-hop, électro et contemporain, La Marche Bleue rassemblait, dans sa première version, des danseurs aux profils variés tels Mès Lesne, inspiré par le flamenco et devenu lui-même chorégraphe, ou Ablaye Diop, mixant lui aussi diverses influences dans son expression personnelle… Lorsque Léo Walk danse, pour sa part, il revisite des figures classiques du breakdance pour leur donner une fluidité, une élégance et une sensibilité personnelles.



Aux côtés de nombreuses personnalités de sa génération, il témoigne de la façon dont la danse hip-hop, apparue en France dès les années 80 dans le sillage de New York, a infusé pour créer, quarante années plus tard, des langages hybrides adaptés aussi bien à la scène qu’aux multiples espaces ouverts aujourd’hui aux expressions corporelles, parmi lesquels, bien sûr, Internet, véritable vivier de créativité mondiale dans ce domaine. C’est d’ailleurs la liberté que le Français était venu chercher, dès son enfance, dans la culture hip-hop : “Après un passage par la capoeira, j’ai commencé à m’entraîner avec mes amis dès l’âge de 7 ans, parce que le professeur de hip-hop ne voulait pas me prendre avant mes 8 ans, explique-t-il. Un ami plus âgé, qui suivait les cours, me montrait donc tout ce qu’il apprenait. On se mettait dehors avec mon poste et on répétait. C’est vraiment l’image-cliché du hip-hop ! J’ai connu cette période où on mettait un album d’Eminem ou de 50 Cent et où on s’entraînait. Le breakdance, c’est une école de la liberté, le contraire du système scolaire, ou de la danse classique par laquelle j’ai fait un passage éclair. On t’enseigne un mouvement tel qu’il existe, et c’est à toi de le développer à ta manière. Il s’agit de créer sa langue à soi. Je parle mieux avec la danse qu’avec les mots. C’est ce qui me plaît, ma danse est très organique. D’ailleurs, à un moment, dans le milieu breakdance la consigne était de rester 100 % hip-hop et underground, et ce type de carcan ne me plaisait pas du tout.”

Léo Walk : de la tournée de Christine and the Queens au Théâtre du Châtelet

 

Tout va plutôt vite pour Léo Walk, qui écume les battles de breakdance et les championnats, puis se distingue – sous la direction de la chorégraphe française Marion Motin (qui a notamment accompagné Madonna et fait danser Stromae ou Angèle) – durant la tournée de la chanteuse Christine and the Queens. “J’avais tout juste 18 ans, j’étais le plus jeune de tous les danseurs de la troupe”, se souvient-il. Rapidement naît en lui le désir de fonder sa propre compagnie et de créer son propre spectacle, pour véhiculer des émotions qui lui appartiennent. C’est ainsi que naît la pièce Première Ride. “C’est l’histoire d’un voyage, d’une transition, d’un passage entre deux mondes, avec un avant et un après, comme dans tous les voyages. Huit jeunes sont dans une voiture, le temps d’un trajet qui devient une traversée symbolique entre l’enfance et l’âge adulte. Un peu comme une initiation. […] Huit danseurs qui ont chacun une vie, une histoire, un style, des peurs et des contraintes, mais qui sont tous dans la même voiture, sur le même chemin, curieux du monde qui attend plus loin.

 

Présentée sur de nombreuses scènes, parmi lesquelles celle du Théâtre du Châtelet, la pièce sculpte l’énergie d’un groupe traversé par des moments de cohésion et d’individualité, de repli sur soi et d’effervescence. Plutôt que de traduire l’enjeu dans une mise en scène trop littérale, Léo Walk s’est attaché à transmettre des émotions à partir des personnalités de chacun de ses danseurs. “Je jongle entre plusieurs énergies, de façon générale c’est la vie qui m’inspire, explique-t-il. Et aussi les documentaires animaliers, qui m’apaisent. Parfois, je trouve que mes danseurs bougent comme une grenouille ou comme un poulpe. Je peux écouter une musique le matin, ou un podcast, et avoir envie de danser dessus. J’aime aussi les mouvements qui sont sensibles, petits, alors que dans la culture hip-hop il faut toujours impressionner l’autre. Et dans mes pièces, j’aime que rien ne soit exprimé littéralement. Si je pense à un couple d’amoureux qui se séparent sous la pluie, je ne vais pas transposer cela sur scène, mais plutôt le suggérer.”

La maison d’en face de Léo Walk au Théâtre du Châtelet 

 

Alors que la transposition sur des scènes de théâtre des danses hip-hop, ou venues de l’underground, a cours depuis plus de vingt ans – mais donne parfois lieu à des collages maladroits entre culture “savante” et culture “street” (la première étant convoquée pour élever, légitimer la seconde, qui n’a pourtant pas à rougir de ses origines) –, Première Ride émouvait par son authenticité et sa cohérence, donnant à voir la créativité novatrice d’un groupe de jeunes adultes évoquant leurs propres questionnements, leurs propres combats, à travers une énergie extraordinaire. Après le succès de Première Ride, Léo Walk et sa compagnie s’apprêtent à présenter cette année Maison d’en face, une œuvre née de l’expérience du confinement sur des vingtenaires qui ont dû adapter brutalement leur mode de vie à des circonstances imprévisibles. “J’ai toujours vécu beaucoup dehors, je ne suis pas casanier, mais pendant le confinement j’ai trouvé quelque chose d’intéressant dans ce rapport à la maison et à l’intime. Ce processus a presque été thérapeutique, car je me suis demandé pourquoi, quand je suis dehors, je me sens rempli, mais vide quand je me trouve dans un intérieur. L’idée a donc été d’imaginer une grande maison dans laquelle je vivrais tout ce que je vis dehors. Maison d’en face est la retranscription en mouvements d’une expérience vécue, car pendant le confinement je me suis isolé avec certains de mes amis qui écoutent Renaud et Freeze Corleone, qui jouent à la pétanque en costume… C’est précisément cette schizophrénie qui constitue notre époque et qui m’inspire. Après Première Ride, qui racontait le voyage initiatique d’un groupe d’ados qui vivent ensemble leurs premiers émois, je m’attache à des amis qui, sans sortir de chez eux, entament un voyage intérieur à la découverte d’eux-mêmes et de leur rapport aux autres, au travers d’itinérances amoureuses et amicales.” La pièce, qui est passée par le Théâtre du Châtelet en avril 2023 aura inscrit encore plus fortement le beau Léo Walk dans le paysage de la danse.

 

Maison d’en face de Léo Walk, à la salle Pleyel à Paris, le 24 novembre 2023