Rencontre avec Ascendant Vierge, le groupe qui vous fera danser (et penser) tout l’automne
Flamboyant, kitsch et audacieux, le duo français Ascendant Vierge propose une pop apocalyptique et mystique, mêlant paroles métaphysiques sur notre monde en déliquescence et mélodies techno cathartiques. Une expérience totale, aussi visuelle que musicale, qui croise la culture club et le lyrisme d’une voix de Walkyrie au minois de Jeanne d’arc ultramoderne.
par Violaine Schütz.
“Un passif de souffre-douleur/ Ni de sa faute, ni de la leur/ Tu voulais être l’un des leurs/ Copieur, copieur/ Dis-leur, dis-leur/ Crie-leur, crie-leur…” Quand sort ce titre (intitulé Influenceur) du duo français Ascendant Vierge en 2019, il possède tout pour être l’hymne d’une génération désenchantée. Non seulement cette critique acerbe des stars des réseaux sociaux est formulée avec une once de tendresse et de poésie, mais en plus l’alliance de la voix lyrique de la chanteuse et de la mélodie synthétique s’avère obsédante.
Un an plus tard, en plein Covid, la chanson de techno abrasive résonne comme un cri d’espoir cathartique dans un moment difficile, qui invite à danser dans les ruines et à se déhancher la larme à l’œil. Pendant le confinement, des jeunes se filment avec leurs téléphones en train de danser dessus.
Rencontre avec Ascendant Vierge, le duo qui ressuscite l’esprit gabber
Une fois les clubs rouverts, lorsque Ascendant Vierge se produit en live, dans les salles françaises, celles-ci sont bondées. Le public entre en transe, scande les paroles qu’il connaît par cœur. Certains se font tatouer des textes du groupe, son logo ou son nom. L’audacieux tandem reçoit même des messages d’infirmiers qui lui disent que sa musique les a aidés au plus fort de la pandémie. Sans l’avoir imaginé une seule seconde, les voici propulsés au rang d’idoles de la génération Z, d’objet de culte générationnel.
Un statut qui sera confirmé par les tubes qui suivront, des titres qui font réfléchir autant que danser, comme Faire et refaire, Discoteca ou Petit Soldat, regroupés pour la plupart sur un EP intitulé Vierge (2020). Le duo est le premier surpris de la liesse populaire qu’il suscite. En sortant des live, Mathilde Fernandez est en état de choc, incapable de parler, submergée par la ferveur de ses fans transis. Pourtant, les deux moitiés d’Ascendant Vierge (qui ont tiré leur nom de scène de leur signe astrologique et leur ascendant) ne sont pas des débutantes.
Ce vendredi 13 septembre, le groupe confirme une fois de plus son statut de duo à suivre de toute urgence avec la sortie de Le plus grand spectacle de la Terre (2024) un nouveau disque flamboyant imaginé en vue de leur concert au Zénith le 30 novembre prochain et influencé par le gabber aussi bien que par la pop des années 90.
L’ascension fulgurante du duo formé par Paul Seul et Mathilde Fernandez
Le tandem se compose de deux figures de la musique actuelle aux looks excentriques, Paul Seul et Mathilde Fernandez, puisant leur esthétique dans le mouvement cyberpunk, le kitsch des années 2000, les jeux vidéo et le transhumanisme. C’est en 2018, après leur collaboration sur le remix du titre Oubliette, présent sur l’EP Hyperstition (2018) de Mathilde Fernandez qu’a pris corps leur projet commun. Créature baroque d’origine niçoise installée à Bruxelles, qui ne communique pas son âge, Mathilde Fernandez est une chanteuse et pianiste pop gothique aux morceaux oniriques, presque mystiques.
Elle a notamment sorti un EP concept intitulé Live à Las Vegas (2015), collaboré avec l’immense Christophe, le groupe de rock La Femme et l’artiste et scénographe Cécile di Giovanni. Théâtrale, sa voix échevelée et puissante fait à la fois penser à celles de Klaus Nomi, de Kate Bush, de Diamanda Galás et de Mylène Farmer. Pourtant, l’artiste qui vient des arts plastiques (elle est passée par la Villa Arson à Nice) et du spectacle vivant cite d’autres influences pour ses envolées de Walkyrie au minois de Jeanne d’Arc moderne : “Adolescente, j’ai écouté beaucoup de metal et de black metal. Je trouve les lignes mélodiques qui portent les chansons de Rammstein incroyables. J’aime aussi Lisa Gerrard, la chanteuse de Dead Can Dance, connue comme la voix de la BO de Gladiator. Elle a une très belle voix, très cinématographique. Quand elle chante, c’est comme si elle déversait ses organes. Mes autres influences ? Les musiques de film, Angelo Badalamenti, Brian Eno et la musique ambient.”
“Écrire des chansons est
la seule façon d’avoir une voix. Si on parle de politique
ou de crise climatique, notre voix n’existe pas. Je ne sais
pas si l’art peut sauver le monde, mais je pense que c’est l’une des dernières façons de toucher les gens.” Ascendant Vierge
De l’autre côté du spectre, il y a le Français Paul Orzoni, alias Paul Seul, cofondateur du collectif et label parisien pointu Casual Gabberz, qui est “plus proche de la quarantaine que de la trentaine” et à qui l’on doit entre autres des instrumentaux de morceaux de rap. Celui qui a vécu en Hollande et à Bruxelles (avant de redevenir parisien) a remis au goût du jour le gabber, un genre de musique électronique hypnotique et un sous-genre du mouvement techno hard-core ayant émergé au début des années 90, venu des Pays-Bas et des rave-partys. “Mon combat a toujours été, explique Paul Seul, de défendre, au premier degré, des musiques jugées de ‘mauvais goût’ par l’intelligentsia, comme le hard-core [musique électronique au tempo très rapide et empreinte d’une certaine violence]. Je déteste l’attitude classiste qui consiste à rejeter certaines sonorités ou à les aborder au second degré.”
Au premier abord, écouter Ascendant Vierge donne l’impression d’entendre Mylène Farmer propulsée dans une rave. Ou la diva du film Le Cinquième Élément (1997) chantant en live au Berghain, mythique club berlinois où le duo s’est produit. Pourtant, même si on y entend des relents de musiques de club telles que la trance, l’eurodance, le happy hard-core ou l’EDM, le tandem définit sa musique comme de la pop.
“La pop, c’est ce que les gens écoutent au quotidien, ce qui fédère, comme par magie.” Ascendant Vierge
“Nous construisons des chansons sur lesquelles nous espérons que les gens vont danser, explique Mathilde Fernandez, et qu’ils pourront apprendre par cœur. Nous avons pour objectif de toucher les gens. La pop, c’est ce qu’ils écoutent au quotidien, ce qui fédère, comme par magie. Nous préférons dire que nous faisons de la musique pop plutôt que de dire que c’est un mélange de styles, tout en sachant que la pop se nourrit de plusieurs courants très alternatifs. On peut cependant préciser que cette pop est postmoderne car elle emprunte beaucoup à la fois au rock et à l’électro. Parfois, certaines sonorités pourraient rappeler Calvin Harris ou Sia, d’autres sont plus ‘pompier’. Nous puisons dans plusieurs registres et ne nous interdisons rien. Nous expérimentons beaucoup.”
Paul Seul ajoute : “Nous sommes passionnés. Nous dévorons les biographies d’artiste et les reportages sur les game changers de la pop, c’est-à-dire ceux qui apportent des choses inventives dans la pop mainstream en piochant dans les musiques underground. Queen avait, par exemple, réintroduit l’opéra dans le rock, ce qu’on trouve fascinant.”
Une nouvelle chance, le premier album flamboyant d’Ascendant Vierge
Sur son premier album, dévoilé en avril 2023 et intitulé Une nouvelle chance, le duo – qui s’est récemment produit en live lors d’une session pour la maison Saint Laurent – propose des chansons encore plus subtiles, complexes et jouissives qu’à l’accoutumée. La plus grande force d’Ascendant Vierge réside, en dehors de ses mélodies fracassées qui invitent à une sorte de transcendance, dans sa proposition multidisciplinaire.
Lors d’une expérience totale, Ascendant Vierge mêle, dans ses clips et dans ses concerts, des scénographies dignes de l’art contemporain, en plus de mettre en avant des textes qui multiplient les doubles sens. On ne sait jamais si Mathilde Fernandez chante la fin d’une relation amoureuse ou l’effondrement de notre civilisation. L’univers du groupe repose sur un flou artistique voulu, qui oscille constamment entre l’euphorie et la mélancolie, l’intime et le sociétal, l’innocence d’une voix angélique et la brutalité des beats.
“Les doubles sens me permettent de caser tout ce que j’ai sur le cœur, analyse Mathilde Fernandez. Si c’est trop direct, ça ferme beaucoup de possibilités. Je glisse cependant des clés. Le morceau Aimer sur le long terme parle de l’amour au temps de Tinder. Du fait que l’amour devient consommable, comme tout le reste, dans la société capitaliste. Tout peut se prendre et se jeter, sans forcément se recycler. Mais j’emploie des mots un peu en dehors de l’ordinaire. Quand je chante : ‘Le remède est un philtre dans l’imaginaire/ Nul n’est capable d’aimer jusqu’à l’éternel’, le mot ‘philtre’ s’écrit avec ‘ph’ et non avec un ‘f’. Je parle du philtre d’amour parce que, au moment de l’écriture, je sortais de l’opéra Tristan et Iseut. Mais on peut aussi entendre le mot ‘filtre’, comme ceux qu’on utilise sur les réseaux sociaux.”
“Cette société se fout clairement de notre gueule et on n’a pas le droit de dire qu’on n’est pas content. On est obligé d’être content.” Ascendant Vierge
Paul Seul renchérit : “Je ne demande jamais à Mathilde ce qu’elle a voulu dire exactement dans les paroles, car je trouve ça agréable et intrigant quand on ne sait pas vraiment de quoi on parle, qu’il y ait plusieurs pistes de lecture. J’aime l’idée que plein d’images puissent naître et que l’auditeur puisse s’approprier un morceau. Comme Mathilde le dit, concernant le titre de notre album : ‘Dans la vie, il y a plein de nouvelles chances possibles, personnelles, mondiales. Cela fait autant écho au monde qu’à ce qui se passe à l’intérieur de nous. Quand on parle de crash, il peut s’agir de celui de notre société autant que de celui de nos personnes.”
Certains titres sont plus explicites. Le percutant Petit Soldat, dont la rage punk rappelle la verve révoltée des Bérurier Noir, évoque, nous confie Mathilde Fernandez, “la mauvaise sensation que l’on peut éprouver face à la société qui nous exploite et qui nous ment. Cette société se fout clairement de notre gueule et on n’a pas le droit de dire qu’on n’est pas content. On est obligé d’être content.” Si l’époque troublée – entre pandémie, loi sur les retraites et inflation – que nous vivons avait une bande-son, ce serait sans doute la pop-techno exubérante brandie par le duo français Ascendant Vierge.
D’ailleurs, la pochette les dépeint en rescapés d’un crash aérien. Les maux de l’époque, comme l’amour au temps des applications de rencontre, le sentiment d’être différent, l’addiction aux réseaux sociaux ou le sentiment d’être jetable, se retrouvent au centre de textes profonds, scandés sur des mélodies qui nous amènent tout droit dans les clubs moites.
Autres obsessions du duo ? Le sentiment d’irréalité, l’incommunicabilité, l’ennui ou encore la fin du monde. Paul Seul explique : “Je viens d’avoir un enfant, donc j’espère que nous ne sommes pas encore tout au bord de la falaise, mais j’ai quand même l’impression que nous sommes les spectateurs des derniers temps. Avec Mathilde, la question de l’apocalypse nous travaille depuis longtemps. Tout va s’écrouler, et nous avec.”
L’oncle de Mathilde Fernandez est astrologue, et son grand-père a écrit un livre intitulé Dieu le grand absent. “J’ai l’impression que tous les morceaux sur lesquels je chante, même ceux qui datent d’avant Ascendant Vierge, parlent de la même chose : appréhender le monde avec une certaine mélancolie, avec le sentiment que tout cela n’est peut-être, au fond, qu’une illusion. J’ai l’habitude de dire que je suis tellement pessimiste que ça me rend optimiste. Comme il n’y a plus rien à faire, au moins, je ne suis pas surprise.”
Ascendant Vierge, sorte de « chevaliers » de l’Apocalypse vêtus en fluo, sont en revanche convaincus que l’art, et la musique en particulier, sert encore à quelque chose dans le marasme généralisé. “Écrire des chansons est la seule façon d’avoir une voix. Si on parle de politique ou de crise climatique, notre voix n’existe pas. Je ne sais pas si l’art peut sauver le monde, mais je pense que c’est l’une des dernières façons de toucher les gens. Quand tu écris des chansons, elles entrent dans la tête des gens, elles les font réfléchir, prendre une pause ou du recul. C’est le début de quelque chose. Une nouvelle chance. Une chanson pénètre peut-être davantage encore dans le cerveau et y reste plus longtemps qu’un discours. Et on trouve ça formidable que notre musique entre dans le cœur des gens, qu’elle les traverse et les irradie, tout comme elle nous traverse. C’est pour ça qu’on fait ce métier.”
Le plus grand spectacle de la Terre (2024) d’Ascendant Vierge, disponible. Le groupe sera en concert au Zénith à Paris le 30 novembre 2024.