L’artiste Sophia Al Maria convoque l’imaginaire pour interroger les disparités socio-économiques au Qatar
Pour sa première exposition personnelle au Qatar où elle est née en 1983 et a passé une partie de son enfance, Sophia Al Maria présente au Mathaf à Doha Invisible Labors, Daydream Therapy. L’artiste convoque employés et anciens collaborateurs du musée, où elle a elle-même travaillé entre 2007 et 2011, pour former un contenu collectif et participatif qui interroge les disparités socio-économiques de son pays d’origine, mais aussi celles du monde de l’art dans lequel elle évolue et de ses protagonistes, en faisant triompher une certaine idée du pouvoir renversé par le rêve et l’imaginaire.
Par Martha Kirszenbaum.
Artiste, vidéaste et écrivaine, Sophia Al Maria est née au Qatar en 1983, et grandit aux États-Unis avant de s’installer au Caire puis à Londres. Son travail adresse les transformations majeures qu’ont connu les pays du Golfe ces dernières décennies, et le devenir de métropoles de la région. Elle formule ainsi la notion de «Futurisme du Golfe» décrivant comment la découverte du pétrole a apporté à ces pays une richesse aussi soudaine qu’incontrôlée, menant à un développement urbain sans précédent, à une consommation frénétique et à une obsession pour la technologie tout en accroissant les inégalités, les dérives environnementales, l’effacement de l’histoire et le fondamentalisme religieux. Fascinée par la manière dont les technologies et la notion de futur isolent les individus, elle convoque son imagerie au mythe de la science-fiction.
Pour sa première exposition personnelle au Qatar où elle est née et a passé une partie de son enfance, Sophia Al Maria présente au Mathaf Invisible Labors, Daydream Therapy, dont le titre s’inspire du court-métrage du réalisateur américano-haïtien Bernard Nicolas, réalisé en 1977 et intitulé Daydream Therapy. Il dépeint avec humour et poésie la vie fantasmée d’une employée d’hôtel Noire, dont les rêveries rebelles permettent d’échapper aux humiliations de son travail. Dans la continuité des idéaux transmis par ce film, projeté par ailleurs dans l’espace d’exposition, Sophia Al Maria place l’utopie et la collaboration au cœur de son projet. Elle convoque ainsi employés et anciens collaborateurs du musée, où elle a elle-même travaillé entre 2007 et 2011, pour former un contenu collectif et participatif. Qu’il soit assistant, gardien de salle ou femme de ménage, chacun a reçu ici carte blanche pour participer à l’exposition, en ajoutant par exemple un élément de leur choix aux collages présentés par l’artiste et qui rassemblent les archives photographiques de l’artiste, ainsi que ses carnets intimes, ses premiers selfies ou son vieux téléphone Nokia des années 2000.
Défiant l’idée de l’artiste comme auteur ou génie, Al Maria s’intéresse aux processus de transmission et de partage des savoirs. Alors que ses œuvres sont inspirées
des peintures murales que sa grand-mère lui permettait de réaliser dans sa maison de Doha lorsqu’elle était enfant et auxquelles participaient aussi les employés de maison, Sophie Al-Maria opère ici une transmission de la liberté qui lui a été inculquée par son aïeule. Plus loin dans l’exposition, une vidéo est le fruit d’une collaboration avec la musicienne koweïtie Fatima Al Qadiri, dont les recherches sonores sont également empreintes d’une réflexion sur la culture du Golfe. Enfin, une large sculpture en fibre de verre fait figure d’une image fantôme de l’équipement d’ingénierie d’extraction de gaz et de pétrole, qui forme la première source de revenus de la région.
En mettant en perspective les archives du Mathaf avec celles de son histoire personnelle, et en mêlant sa pratique artistique avec celle d’employés du musée, Invisible Labors, Daydream Therapy interroge et commente les disparités socio-économiques de son pays d’origine, mais aussi celles du monde de l’art dans lequel elle évolue et de ses protagonistes, en faisant triompher une certaine idée du pouvoir renversé par le rêve et l’imaginaire.
Exposition Invisible Labors Daydream Therapy au Mathaf, Qatar du 16 septembre 2022 au 21 janvier 2023.