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Paris 2024 : dans les coulisses des Jeux Olympiques (épisode 1/10)

LIFESTYLE

Outre leur aspect sportif, les Jeux Olympiques 2024 mettent également en avant un volet social et inclusif, et un autre écologique, qui nécessitent la coopération étroite de multiples acteurs de secteurs divers. À l'approche des JO, Numéro revient ici sur la préparation de cet événement en dix épisodes, au fil d’une chronique racontée à la première personne, articulant les interventions de personnalités majeures. Au programme de ce premier volet : le traumatisme de Paris 2012…

Purificateurs d’air expérimentaux installés au cœur du village olympique et paralympique, réparti sur trois communes – Saint-Denis, Saint-Ouen et l’Île-Saint-Denis –, afin de redistribuer l’air ambiant expurgé de ses particules les plus fines. Une innovation unique au monde © Mario Palmieri.

Le 6 juillet 2005, le Comité international olympique (CIO), réuni à Singapour, vote l’attribution des JO de 2012. Pour les Parisiens, déjà battus par Pékin quatre ans plus tôt mais sûrs de leur fait, rien ne se passe comme prévu...

 

Paris 2012, le traumatisme, rencontre avec Étienne Thobois, Tony Estanguet et Thierry Rey

 

Étienne Thobois, directeur général du COJOP : J’ai eu la chance de vivre Atlanta 1996 en tant qu’athlète, pour l’épreuve de badminton. Puis je suis passé de l’autre côté en travaillant sur la candidature de Lille 2004, portée notamment par M. Bonduelle [Bruno Bonduelle, ancien patron de la célèbre entreprise du même nom]. Des candidatures françaises malheureuses, j’en ai donc connu trois : Lille 2004, Paris 2008 et finalement... Paris 2012. Au moment de l’attribution des Jeux de 2008, on savait à peu près que Paris tenait le rôle de lièvre face à Pékin. Mais pour 2012, c’est vrai qu’on y croyait. L’ennemi, à nos yeux, c’était Madrid. Toutes les simulations qu’on avait réalisées nous plaçaient à risque devant la capitale espagnole. Mais ce jour de 2005, les voix de Madrid se sont reportées sur Londres au dernier moment, ce qui n’était pas prévu.

 

Pierre Rabadan, adjoint à la Mairie de Paris, en charge du sport, des jeux Olympiques et Paralympiques et de la Seine : J’ai entendu dire que durant la dernière semaine avant l’attribution, il y a eu un lobbying très important des Anglais à Singapour. [Selon plusieurs sources, Tony Blair, alors Premier ministre, avait reçu des votants dans sa suite d’hôtel, contrevenant aux règles du CIO.]

 

Tony Estanguet, triple champion olympique de canoë-kayak (2000, 2004, 2012), président du COJOP : J’étais à Singapour ce 6 juillet 2005, comme une quarantaine d’autres athlètes. En tant que champion olympique, j’avais même participé à la commission d’évaluation de la candidature parisienne, quelques mois avant. D’une manière un peu égoïste, je trouvais chouette l’idée de terminer ma carrière à Paris en 2012. On a tous été assez traumatisés par ce qu’on a vécu. L’ambiance dans la salle quand le verdict tombe, cette déception collective, c’est un moment important pour le sport français, qui marque toute une génération. On dit souvent que ce sont les victoires qui comptent, mais il y a aussi des défaites majeures.

 

Thierry Rey, champion olympique de judo (1980), ancien conseiller sport du président François Hollande (2012-2014), conseiller spécial de Paris 2024 : On s’est vraiment pris une tarte énorme. On a perdu non pas sur le dossier, mais sur l’attitude, le message. Les Anglais ont été plus forts, roués, avec le Premier ministre Tony Blair notamment. On a perdu à quatre voix près [54 voix pour Londres, 50 pour Paris] et ils avaient à leur tête Sebastian Coe, un ancien champion. Nous, on avait le maire de Paris, Bertrand Delanoë. Il gérait bien le dossier, mais les membres du CIO préfèrent entendre un athlète plutôt qu’un politique. Cette soirée était désespérante. En plus, tu es à Singapour, tu te tapes douze heures de vol retour dans un avion affrété où tout le monde fait la gueule. On ne peut en vouloir qu’à nous-mêmes, et les Jeux de Londres ont été géniaux.

 

Tony Estanguet : C’est le premier moment où j’ai compris un truc : Londres avait fondé sa candidature sur un axe puissant autour de la jeunesse, de l’inspiration, là où nous étions moins tournés vers les autres. Lors des présentations, c’était vraiment deux salles, deux ambiances. Cela s’est joué à rien, ce qui prouve qu’on n’était pas complètement hors sujet, mais on a perdu. Je ne l’ai pas oublié. Quand nous sommes repartis quelques années plus tard vers une nouvelle candidature, nous étions forts du traumatisme de 2005.

 

 

Cet épisode est le premier d'une série de 10 épisodes, publiés chaque semaine sur numero.com à l'approche des Jeux Olympiques 2024.