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Urs Fischer
Il sculpte pour que cela disparaisse. Urs Fischer, artiste contemporain d’origine suisse, bouscule les conventions du matériau, du temps et de la forme. Avec des œuvres géantes en cire, des installations immersives et une philosophie de l’impermanence, il est devenu une figure centrale de l’art conceptuel mondial.

Des sculptures monumentales pour interroger le réel
Les œuvres de Urs Fischer souvent gigantesques, sont pensées pour fondre, se détruire, se consumer. Son installation Untitled (Big Clay #4), immense sculpture en aluminium brossé installée à New York en 2013 réinvente le geste enfantin du modelage en monument brut. À l’inverse, You (2007), gigantesque trou creusé directement dans le sol d’une galerie new-yorkaise, devient sculpture négative — une œuvre invisible, mais ressentie physiquement. Ses bougies sculptées de visages géants (Francesco ou Rudi) se consument lentement, transformant la représentation humaine en vanité spectaculaire. Même une chaise en pain ou un mur de pain d’épices, comme dans Bread House (2004–2005), devient support d’une réflexion sur l’éphémère et l’absurde. Chez lui, la sculpture devient performance : fragile, temporelle, mais d’un impact visuel saisissant.
Matériaux non conventionnels
Cire, fruits, plastique, bois, argile — Urs Fischer convoque l’imprévu comme matière première. En 2009, Problem Painting fusionne toile et sculpture en utilisant des fruits réels incrustés dans la peinture, qui pourrissent avec le temps. À rebours du bronze ou du marbre classiques, il travaille la décomposition, la moisissure, le déséquilibre. Il détourne les codes de la sculpture pour dialoguer avec l’éphémère, le trivial, l’humain. L’objet chez Fischer n’est jamais ce qu’il semble : il glisse, se creuse, dégouline, défie les sens.
Une œuvre à la fois brute et hyper-conceptuelle

Chez lui, les installations immersives prennent le visiteur à rebours. On pénètre des espaces absurdes, parfois dérangeants, où le sol se dérobe ou les formes dégoulinent. Chaos #1–#501 (2021) en est un exemple radical : une série d’objets du quotidien scannés en 3D et mis en mouvement en duos aléatoires — danse d’objets banals devenus métaphysiques. L’art contemporain selon Urs Fischer est une traversée : on y perd ses repères, on y gagne un vertige.
Une réflexion sur la forme et le processus
Artiste conceptuel autant que sculpteur, Urs Fischer revendique le hasard, l’accident, le déséquilibre comme langage. Dans ses œuvres collaboratives comme YES (2011), il invite le public à modeler une sculpture collective en pâte à modeler — diluant l’auteur dans le processus. Ce n’est pas la finalité qui l’intéresse, mais le devenir. L’inachevé devient esthétique. Le temporaire, une forme d’éternité.
La galerie Gagosian, rue de Castiglione, a accueilli en mars 2024 Beauty, une exposition d’Urs Fischer consacrée à sa série Problem Paintings (2010). Dans la lignée de sa sculpture monumentale Wave, présentée à l’automne 2023 place Vendôme, et ensuite de sa toile Candyfloss exposée rue de Ponthieu, l’artiste suisse a proposé une nouvelle immersion dans son univers visuel déroutant. Ainsi, Fischer a mêlé réel et distorsion afin d’interroger notre rapport à l’image.
Et demain ?
Urs Fischer est aujourd’hui l’un des rares artistes contemporains à conjuguer popularité et rigueur conceptuelle. De la Biennale de Venise au MoMA ou de la Bourse de Commerce à Tokyo, ses expositions attirent autant les amateurs que les théoriciens de l’art. Il incarne une hybridation rare entre art visuel et pensée. Avec ses sculptures monumentales, ses installations périssables, il façonne une œuvre en mouvement. Une œuvre à vivre, à perdre et à recommencer.