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Raphaël Quenard
Il a la tchatche d’un titi parisien, l’intensité d’un Dewaere et la modernité d’un Gaspard Ulliel. À 34 ans, Raphaël Quenard est devenu l’obsession des cinéastes et des maisons de couture. Acteur, scénariste, réalisateur et désormais romancier, il incarne une nouvelle génération d’artistes hybrides, affranchis des codes.
Publié le 27 mai 2025. Modifié le 4 juillet 2025.

Les débuts de Raphaël Quenard
Né le 16 mai 1991 à Échirolles, en Isère, Raphaël Quenard n’était pas prédestiné à briller sur les écrans. Loin des plateaux de tournage et des salles obscures, c’est d’abord dans les laboratoires qu’il fait ses armes. Élève studieux, il décroche son diplôme à l’École nationale supérieure de chimie de Paris, avant de poursuivre un stage de recherche à l’Imperial College de Londres, l’un des établissements scientifiques les plus réputés d’Europe. De retour en France, il s’engage un temps dans la vie politique en tant qu’assistant parlementaire, explorant les arcanes institutionnelles sans jamais vraiment y trouver sa place. Car déjà, une autre envie le taraude : celle de jouer, de dire, d’incarner.
Ce basculement vers l’art ne relève pas d’une reconversion planifiée, mais d’un élan intérieur irrépressible. Ce sont les scènes ouvertes, les castings sauvages, les planches de théâtre amateur qui deviennent peu à peu son terrain de jeu. Là, dans l’urgence et l’inconfort, il découvre sa vérité : une énergie brute, une voix traînante, un corps en tension qui capte immédiatement l’attention. Sa détermination est totale. Pour obtenir un rôle dans Titane de Julia Ducournau, Palme d’or à Cannes en 2021, il n’hésite pas à se faire passer pour un pompier afin d’être auditionné. Une ruse audacieuse, presque désespérée, mais à son image : directe, intense, habitée.
Cette anecdote, devenue emblématique, résume à elle seule le personnage. Quenard ne calcule pas : il fonce, quitte à brûler les étapes. Il ne suit pas un parcours académique de comédien, mais forge sa légitimité à coups de culot, d’obstination et de vérité. Ce n’est donc pas un hasard si ses premiers rôles marquent autant. À travers cette trajectoire atypique, il impose un visage nouveau du cinéma français : celui d’un acteur venu d’ailleurs, échappé des cadres, dont la sincérité foudroie et dont la liberté séduit. Raphaël Quenard n’a pas attendu qu’on lui ouvre les portes : il les a défoncées. Et c’est précisément ce qui le rend inoubliable.
Chien de la casse et Yannick : la révélation d’un acteur caméléon
En 2023, Raphaël Quenard entre dans la lumière avec une force qui surprend autant qu’elle s’impose. Deux rôles suffisent à faire basculer sa trajectoire : Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand, puis Yannick de Quentin Dupieux. Dans le premier, il incarne Mirales, un jeune homme du sud, paumé, possessif, drôle et tragique. Une figure brute et cabossée qu’il habite avec une vérité à vif, faite de silences tendus, d’éclats inattendus, de regards qui disent plus que les mots. Il donne à ce personnage une épaisseur rare, entre pulsion de domination et peur de l’abandon, jusqu’à bouleverser. Dans le second, il campe un spectateur qui interrompt une pièce de théâtre et prend les comédiens en otage. L’idée semble absurde, mais Quenard en fait un moment de cinéma unique, entre satire sociale et thriller claustrophobe. Il joue le grotesque avec sérieux, l’angoisse avec une touche d’humour noir. Il désarme par son naturel.
Ces deux performances, qui n’ont a priori rien en commun, révèlent une même intensité : celle d’un acteur qui ne triche pas, qui ose l’ambigu, qui préfère le trouble à la facilité. Le public, la critique et la profession ne s’y trompent pas. En février 2024, il est nommé trois fois aux César : pour le meilleur acteur, le meilleur espoir masculin et le meilleur scénario original (coécrit avec Jean-Baptiste Durand). Il repart avec la révélation masculine, une distinction symbolique mais juste, tant elle souligne l’éclosion d’un acteur déjà incontournable.
Une liberté contagieuse
Pourtant, Raphaël Quenard ne se contente pas de briller sur les plateaux de cinéma. Il explore, invente, bifurque. En 2025, il coréalise I Love Peru, un docu-fiction aussi poétique que déstabilisant, présenté au Festival de Cannes. Le film floute les frontières entre réel et fiction, met en scène l’échec et la fuite avec une douce ironie. En parallèle, il publie chez Flammarion un premier roman au titre grinçant : Clamser à Tataouine. Le livre, drôle, amer, vibrant, révèle une plume nerveuse, truffée d’images inattendues et de fulgurances langagières. Son style, libre et acide, dévoile une autre facette de son regard sur le monde : plus littéraire, mais tout aussi incarné.
À l’écran comme sur le papier, Quenard frappe par sa singularité. Sa silhouette nerveuse, son débit heurté, son accent traînant et son regard habité composent une présence rare, magnétique. À une époque saturée de profils lisses, il impose un contre-modèle fascinant, une altérité qui dérange autant qu’elle séduit. Régulièrement comparé à Patrick Dewaere pour sa sensibilité à fleur de peau et sa rage contenue, il revendique cette filiation sans mimétisme. Il y ajoute une autodérision, une étrangeté, un sens du décalage qui le rendent immédiatement identifiable.
La mode, elle aussi, succombe à cette aura hybride. En devenant ambassadeur Dior, il brouille les lignes entre élégance classique et énergie punk. Sur les tapis rouges, il porte le costume comme il habite ses rôles : avec une nonchalance habitée, une tension dans le port de tête, une douceur imprévisible dans le regard. Il attire l’objectif sans le chercher. Il incarne un certain romantisme contemporain, brut, vulnérable, intensément vivant.
Quenard n’entre pas dans le cinéma par la grande porte : il y fait irruption. Il n’interprète pas : il investit, il déborde. À chaque rôle, il propose une autre manière de jouer, de ressentir, de raconter. Cette liberté, il la cultive dans tous les champs, du théâtre à la littérature, du documentaire à la fiction. Et c’est précisément ce qui fait de lui bien plus qu’un acteur prometteur : une figure artistique à part entière, libre, multiple, et profondément ancrée dans son époque.