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Raf Simons
Publié le 30 juillet 2025. Modifié le 1 août 2025.

Les débuts de Raf Simons
Né en 1968 à Neerpelt, en Belgique, Raf Simons ne se destinait pas à la mode. Pourtant, cet écart initial nourrit la singularité de son regard. D’abord formé en design industriel et mobilier, il construit son œil dans l’univers du volume, de la ligne pure et de la fonctionnalité. Ce n’est qu’après avoir assisté à un défilé de Martin Margiela qu’il bascule, presque instinctivement, vers la création vestimentaire. Ainsi, sa marque éponyme naît en 1995, sans formation textile, mais avec une esthétique déjà profondément ancrée.
Dès ses débuts, Raf Simons impose un style hybride. Nourri par la musique électronique, l’architecture brutaliste et la rébellion silencieuse des adolescents, il développe une approche radicale. Ses silhouettes longilignes, ses costumes étroits, ses coupes nettes séduisent une génération en quête de repères. Elles parlent à une jeunesse qui, dans chaque couture, reconnaît un fragment de son propre désordre intérieur.
Les années Jil Sander
En 2005, il prend la direction artistique de Jil Sander. Maison allemande emblématique du minimalisme, qui semble à première vue parfaitement correspondre à son langage. Néanmoins, il y introduit une sensualité discrète, des couleurs pastel, des volumes amples et une poésie inattendue. Grâce à lui, la froideur devient chaleur. L’épure, quant à elle, se transforme en suggestion.
Pendant sept ans, il transforme l’héritage rigoureux de la maison en un terrain de jeu sophistiqué. Tandis que les contrastes deviennent des dialogues, Raf Simons s’impose comme l’un des rares créateurs capables d’unir rationalité et émotion. Par ailleurs, il s’autorise des clins d’œil floraux et des références à la sculpture, sans jamais trahir la ligne originelle.
Dior : le choc des héritages

Puis, en 2012, une nouvelle page s’ouvre. Simons prend la tête de la maison Dior, succédant à l’exubérance baroque de John Galliano. Certes, il ne vient ni de Paris, ni du monde de la couture. Pourtant, il comprend immédiatement l’essence de Dior : l’équilibre entre structure et féminité.
Son premier défilé haute couture devient un manifeste silencieux. Tandis que les fleurs recouvrent les murs, les tailleurs reprennent la coupe de la veste Bar. Les robes flottent comme des idées. Il ne cherche pas à choquer, mais plutôt à traduire. Saison après saison, il revisite les archives tout en affirmant une modernité radicale. Ainsi, la rigueur devient mouvement. Le passé, quant à lui, devient tremplin.
Pendant trois ans, il réconcilie Dior avec une pureté retrouvée. Il ose les matières techniques, les coupes géométriques, les clins d’œil futuristes. Surtout, il insuffle un souffle nouveau dans la tradition française. Sa mode prend la forme d’une architecture émotionnelle.
Calvin Klein : l’Amérique décousue
En 2016, une autre aventure commence. Il traverse l’Atlantique pour rejoindre Calvin Klein, dont il devient le directeur créatif tous secteurs confondus.
Quelques années plus tard, il quitte la maison. Il laisse alors une vision radicale, sans compromis. Trop pointue pour les exigences commerciales américaines, peut-être. Pourtant, cette parenthèse confirme une chose : Raf Simons ne compose jamais avec ses convictions. Il préfère partir que se trahir.
Prada : la rencontre des esprits
En 2020, un événement inédit survient dans l’histoire de la mode. Miuccia Prada annonce qu’elle partagera la direction artistique de sa maison avec Raf Simons. Ce tandem, improbable en apparence, fonctionne pourtant à merveille. Tous deux intellectuels, amateurs d’art contemporain, conçoivent la mode comme un outil critique. Chaque collection devient réflexion. Chaque pièce, proposition.
Le duo explore la forme, le genre, le vêtement comme signal. Ils n’ont pas besoin de briller. Ils préfèrent questionner. Ensemble, ils déconstruisent les conventions sans céder à la facilité. Ils prouvent qu’il est possible de créer à deux sans diluer une identité.
Une marque personnelle en retrait
Après vingt-sept ans de création, Raf Simons décide en 2022 de mettre fin à sa propre marque. Ce geste fort traduit peut-être le désir de recentrer son énergie. Il affirme également que la mode ne se limite pas à un nom brodé sur une étiquette. Pour lui, la création dépasse l’ego. Elle exige clarté, cohérence, humilité.
Toutefois, son influence demeure omniprésente. Dans les nouvelles générations, dans les coupes envahissant les podiums, dans l’audace discrète de stylistes qui citent son travail sans toujours le dire, il persiste. Il marque les esprits par l’absence autant que par la présence.
Signature, langage et posture
Ce qui distingue Raf Simons, ce n’est pas seulement l’esthétique. C’est cette manière de penser le vêtement comme une architecture de l’intime. Il n’habille pas seulement les corps. Il façonne des états d’âme. Il évite l’effet pour rechercher la justesse.
Aujourd’hui, bien qu’il ait suspendu sa griffe, Raf Simons continue de modeler le paysage de la mode. Son alliance avec Prada démontre qu’on peut construire dans le silence. En choisissant le retrait, il impose paradoxalement sa présence.
Au fond, il reste designer de mobilier. Il façonne encore des structures. Désormais, ces structures se portent. Elles habitent les rues, les podiums, les regards. À travers elles, il exprime une vision du monde : complexe, sobre, traversée par le doute, mais lucide.